Vulgarisation des sciences cognitives : rencontre avec Lucille Soulier, bénévole à Incognu

Publié par Carla Trouche, le 13 janvier 2021   1.4k

Lucille est une jeune chercheuse en psychologie, intéressée depuis toujours par le fonctionnement de l’être humain, son épanouissement repose aussi dans la transmission de connaissances et dans le partage de savoirs scientifiques. C’est donc tout naturellement qu’elle a rejoint l’association InCOGnu il y a quatre ans alors qu’elle commençait sa thèse. 

Un parcours axé autour de la psychologie… et de l’éducation 

Lucille Soulier est ATER (Attachée temporaire d’enseignement et de recherche) en psychologie du développement à l’Université Jean-Jaurès de Toulouse. Son domaine d'étude est la psychologie, elle a par ailleurs un fort attrait pour l’enseignement d'où son orientation professionnelle. 

Après sa Licence de Psychologie, Lucille a obtenu une licence en sciences de l’éducation. Très intéressée par les situations d’apprentissage, son intérêt se porte tout particulièrement sur l’apprenant et son fonctionnement. C’est en cela qu’elle trouve son compte : la psychologie cognitive et la psychologie du développement. Elle s’est ainsi inscrite dans un Master de psychologie du développement puis a obtenu son doctorat dont la thèse portait sur l’impact des émotions sur les apprentissages scolaires. Le poste qu’elle occupe actuellement lui permet de mener ses travaux de recherche et de dispenser conjointement des cours à des étudiants en psychologie à l’université.

 Partager et diffuser mes connaissances m’attire depuis longtemps. Dès le Master, j’ai su que je souhaitais être enseignante-chercheuse afin de combiner la recherche et l’enseignement. 

Pendant sa thèse, Lucille se lance dans le bénévolat au sein d'InCOGnu. Attirée par les thématiques abordées par l’association et en lien avec ses intérêts de recherche et personnels, Lucille est également intéressée par l’idée de diffuser et partager ses connaissances avec un public non-initié. De plus, InCOGnu représente aussi l’occasion de rencontrer d’autres personnes qui partagent son intérêt pour les sciences cognitives et leur diffusion. C’est finalement grâce à une collègue de bureau déjà membre d’InCOGnu, qu’elle trouve l’impulsion nécessaire pour rejoindre l’association en 2016.


Le bénévolat chez InCOGnu : les sciences cognitives autrement 

L’association InCOGnu a été créée en 2006 par des étudiants en sciences cognitives. Sont regroupées les disciplines qui étudient le fonctionnement du cerveau, la cognition, la pensée à savoir la philosophie, l’anthropologie, la psychologie, les neurosciences, l’intelligence artificielle ou encore la linguistique. InCOGnu réunit majoritairement des étudiants, anciens étudiants et jeunes chercheurs de ces disciplines. L’objectif de l’association est de rassembler les gens autour des sciences cognitives et de diffuser et promouvoir les connaissances scientifiques auprès du grand public.  

InCOGnu est maintenant bien implantée sur Toulouse et l’association est connue dans le secteur de la médiation scientifique. Son activité bénéficie d’ailleurs du soutien du CNRS en tant que Club CNRS Jeunes et Sciences et Citoyens.

La diffusion des sciences cognitives se fait de plusieurs manières :

  • InCOGnu organise des soirées-débat dans un bar une fois par mois (temporairement suspendu en raison du contexte sanitaire). C’est l’occasion pour un chercheur ou une chercheuse de présenter son travail ou de parler d’un de ses thèmes de recherche. Il s’agit d’un temps convivial, ouvert à tous et où le savoir est vulgarisé pour atteindre un plus large public
  • Plus ponctuellement, l’association anime des ateliers lors d’événements de vulgarisation scientifique à Toulouse tels que La Semaine du cerveau, Scientilivre ou encore Exposcience.
  • Les bénévoles d’InCOGnu interviennent aussi à la demande pour diffuser des connaissances. Ils organisent des activités ou des animations de médiation scientifique dans diverses institutions (écoles, lieux culturels, entreprises…) sur différentes thématiques (le cerveau, les émotions, les fonctions exécutives, etc.)

L’intégralité des ateliers et les interventions sont pensées et animées par les membres de l’association qui sont majoritairement étudiants ou chercheurs. C’est, selon Lucille, très enrichissant de pouvoir créer puis mettre en œuvre les animations.

 Pour moi, le plus stimulant dans mon implication dans l’asso c’est de réfléchir à de nouvelles animations, de les créer et de les animer ! Comme les membres viennent de différentes disciplines, nous avons des points de vue différents sur un même objet d’étude : cela rend le travail de création d’autant plus intéressant ! 

Ce qui a motivé Lucille à rejoindre l’association c’est avant tout son goût pour les rencontres et le fait de partager ses connaissances autour des thématiques qui l’intéressent. Puis, faire partie d’un réseau de chercheurs qui ont les mêmes centres d’intérêts s’avère très épanouissant pour la jeune femme.

Grâce à InCOGnu, Lucille explique qu’elle a pu rencontrer un public auquel elle n’est pas confrontée en général puisque les enseignants-chercheurs travaillent en laboratoire, en comité restreint et que leur production de connaissance reste dans un milieu très limité. Elle souhaiterait ainsi, par son implication dans l’association, faire connaître et permettre aux sciences de s’exporter dans d’autres milieux. Elle estime que certains aspects des sciences humaines mériteraient d’être mobilisés au quotidien afin de mieux comprendre certaines situations et donc mieux les appréhender. Son investissement vise donc à mettre ses connaissances à la portée de tous pour permettre à des personnes intéressées de s’en saisir.

 Faire partie de l’asso pendant mes années de thèse a été une bouffée d’oxygène. Je pouvais continuer de développer des projets en rapport avec les sciences indépendamment de mes obligations professionnelles. Avoir un espace où il est possible de créer, de rencontrer du monde, de se poser des questions sur nos pratiques en tant que doctorant ou chercheur, sur ce qu’il est important de transmettre ou la manière de faire de la vulgarisation a été très formateur ! Etre bénévole au sein d'InCOGnu me permet de prendre du recul sur mes pratiques professionnelles quotidiennes qui sont des activités très engageantes émotionnellement. 



Les sciences cognitives à la portée de tous…

Les sciences cognitives concernent plus ou moins tout le monde. Un public non initié peut rapidement se sentir intéressé puisque nous expérimentons tous la cognition au quotidien mais sans toujours s’en rendre compte.

Lucille croit en le projet d’InCOGnu puisque selon elle les thématiques abordées peuvent parler au grand public même si les personnes n’y sont pas initiées.

 La cognition peut intéresser tout le monde : nous expérimentons tous au quotidien des comportements ou phénomènes qui peuvent nous poser question. 

Afin de captiver le public, Lucille explique qu’il faut tout d’abord être vigilant quant au format que prend le contenu à transmettre. La vulgarisation est rarement attractive si elle prend la forme d’un cours ou d’une conférence. Les activités doivent être interactives, engager le dialogue et garder le public actif : cela peut passer par des jeux, des quiz…

Vulgariser les sciences se fait différemment selon la thématique abordée, le public visé et le cadre dans lequel l’intervention se déroule. Il n’y a donc pas de recette miracle nous confie Lucille, le tout est de garder un contenu ludique, attractif et surtout qualitatif !


… Sans tomber dans la simplification

Par ailleurs, le thème du cerveau et des pensées est emprunt à beaucoup de croyances erronées véhiculées, parfois involontairement, par les médias, certains films ou même la pop culture. Les bénévoles d’InCOGnu ont remarqué que nous sommes tous beaucoup exposés à ces neuromythes ou à des fausses croyances sur le cerveau et veulent aider les gens à faire le tri du vrai, du faux, de l’exagéré ou du déformé. Les neuromythes peuvent par exemple être : « Nous n’utilisons que 10% de notre cerveau », « Nous sommes cerveau droit ou cerveau gauche », « Bientôt la technologie nous permettra de lire dans les pensées »… Ce ne sont pas des choses totalement fausses mais plutôt des raccourcis.

Retenons que « vulgariser ce n’est pas enlever tout ce qui est compliqué dans une notion, c’est trouver la meilleure façon pour expliquer des sujets complexes ».

Dans les animations proposées par InCOGnu, les bénévoles tentent de déconstruire les fausses croyances pour rapprocher le public de connaissances scientifiques actuelles. Il s’agit de réparer les idées reçues et de forger leur esprit critique. C’est en amenant les gens à critiquer les informations qu’ils reçoivent ou qu’ils vont chercher que se construit la connaissance, détaille Lucille.

 Mon but ultime c’est de rendre les gens autonomes dans la recherche d’information en leur donnant des bases et des clés de lecture pour être critique, pour être capable de savoir où chercher de l’information et savoir identifier des sources fiables. 

Par ce même biais, Lucille voudrait amener une désacralisation des sciences et du statut de chercheur : expliquer au grand public comment se passent les débats et les études que mènent les scientifiques, comment ils obtiennent de la connaissance, comment on parvient à produire de la connaissance scientifique aujourd’hui.

Souvent, les personnes qui assistent aux événements de vulgarisation scientifique cherchent à avoir des réponses un peu toutes faites, simples et compréhensibles rapidement. Pour Lucille, il est très important de résister à ce désir du public. Elle ne veut pas tomber dans la production d’un contenu séduisant en surface pour attirer du public, tendance qu’elle regrette sur YouTube ou certains médias par exemple qui proposent des unes accrocheuses pour finalement recourir à certains neuromythes…

Elle résume en disant que la vulgarisation ce n’est pas aussi simple que cela paraît. 

 Il faut à la fois rendre le contenu attractif, agréable à écouter et à regarder sans tomber dans une trop grande modification ou simplification qui pourrait provoquer des croyances erronées dans le public. Il faut savoir rester juste, nuancé et modéré. 



L’enseignement et la vulgarisation, des domaines complémentaires !

Lucille termine en évoquant le lien qu’il existe entre l’enseignement et la vulgarisation. Certes ce ne sont pas les mêmes buts qui sont poursuivis mais les mêmes compétences sont mobilisées ! Dans les deux cas, en tant qu’intervenant, il s’agit de partager ses connaissances en adaptant son discours au public qui se trouve en face. L’échange et le partage sont des valeurs qui lui tiennent beaucoup à cœur. Lucille exprime à quel point il est valorisant de rencontrer des personnes intéressées, concernées, curieuses et affectées par les intérêts qu’ils ont en commun.

 Je pense qu’il y a beaucoup de ponts entre l’enseignement et la vulgarisation. Dans le cadre de l’association il s’agit d’un public spécifique avec des buts un peu différents que ceux que je peux poursuivre en tant qu’enseignante mais les compétences mobilisées sont identiques. Que cela soit pour l’enseignement ou pour mon engagement au sein de l'association InCOGnu. Ce qui me plaît c’est de partager mes connaissances et de participer à leur diffusion. 

Son engagement dans l’association lui a permis de faire des connexions entre la recherche et la vraie vie. Elle parle d’une expérience enrichissante où les échanges se font dans les deux sens.

 Les interactions avec des personnes extérieures au monde universitaire viennent nourrir mes pratiques de recherche et cela est rendu possible par mon engagement au sein d’InCOGnu. 

Pour finir, Lucille nous explique que faire de la vulgarisation scientifique et échanger avec un public naïf amènent les chercheurs à porter un autre regard sur leur objet d'étude en les poussant notamment à adopter une nouvelle vision des notions qu'ils manipulent au quotidien et qu'ils n'ont plus l'habitude de questionner.


Que l’avenir d’InCOGnu et de Lucille soit plein de découvertes et de partage !