Vers une chimie plus verte
Publié par Université de Montpellier UM, le 31 octobre 2018 2.3k
En revisitant la technique ancestrale du mortier et du pilon, les chercheurs ont développé des procédés de mécanochimie permettant de produire de nouvelles molécules sans utiliser de solvant toxique. Un pas de plus vers une chimie plus verte.
Quel est point commun entre un pot de crème hydratante, un médicament anti-migraineux et une bouteille en plastique ? Tous ces produits sont issus de la chimie organique. « Par ses activités de synthèse, cette chimie qui se consacre aux composés contenant des atomes de carbone contribue à la préparation d’un grand nombre de produits du quotidien », explique Frédéric Lamaty, chimiste à l’Institut des biomolécules Max Moussseron (IBMM).
Une cuisine qui a recours à un ingrédient clé : le solvant. « Il est employé pour faciliter le contact entre les différents produits mis en réaction et créer de nouvelles molécules », explique le chimiste. Problème : ces solvants organiques sont loin d’être neutres. « Ils sont très polluants pour l’environnement, il arrive qu’ils soient accidentellement déversés dans la nature avec des conséquences graves telle que la pollution des rivières, des mers et des nappes phréatiques », alerte le chercheur. Les solvants s’avèrent également toxiques pour ceux qui les manipulent et doublement dangereux pour la santé car ces produits volatils explosifs et inflammables sont à manipuler avec d’extrêmes précautions.
Comment concilier cet usage avec la nécessité de développer une chimie verte, plus respectueuse de l’environnement ? Pour limiter les dégâts, les solvants peuvent être récupérés et recyclés. « Mais il existe une approche totalement différente, prometteuse et innovante : la mise au point de procédés complètement nouveaux qui s’affranchissent de l’utilisation de solvants en recourant au broyage », explique Frédéric Lamaty.
Une technique ancestrale
Des procédés nouveaux qui s’inspirent de savoir-faire ancestraux. « Il s’agit ni plus ni moins que de la technique du mortier et du pilon », précise le chercheur. L’idée est simple : en « mélangeant » mécaniquement différents produits solides, on peut aboutir à la synthèse de molécules nouvelles comme on le fait avec les solvants. Pourquoi cette technique, appelée la mécanochimie, a-t-elle été si longtemps délaissée par la chimie organique ? « L’idée qu’il ne pouvait pas y avoir de synthèse sans solvant s’est installée chez les scientifiques dès l’Antiquité, quand des erreurs de traduction du grec au latin ont conduit à extrapoler une phrase d’Aristote postulant que les liquides se mélangeaient mieux que les solides », explique le Frédéric Lamaty.
Une bourde qui a longtemps entravé tout développement pour la chimie organique sans solvant. « Pourtant, des travaux isolés utilisant des outils aussi sommaires que le mortier et le pilon témoignaient déjà de la possibilité d’effectuer des réactions chimiques organiques par mécanochimie ». Si les chercheurs qui planchent sur la mécanochimie sont encore très peu nombreux, la technique pourrait bien se développer pour répondre aux défis d’une chimie plus verte. « Pour encore mieux " mélanger" les solides, selon l’expression d’Aristote, les chimistes se sont récemment tournés vers des équipements de type broyeur à billes capables de générer une plus grande efficacité de broyage avec moins d’efforts de la part du manipulateur et des quantités plus importantes de produit », se réjouit le chimiste de l’IBMM, laboratoire pionnier en mécanochimie avec une équipe dédiée à ces recherches depuis plus de 15 ans.
Fabriquer des médicaments
Grâce à la mécanochimie, les chercheurs parviennent à synthétiser de nouvelles molécules qui suscitent un énorme intérêt de la part notamment de l’industrie pharmaceutique. « Notre équipe à l’IBMM a par exemple réussi à produire un peptide, une molécule bioactive qui est un très bon candidat pour fabriquer un nouveau médicament », explique le chimiste. Des études plus complètes permettent désormais d’envisager la production de médicaments peptidiques préparés sans solvants par mécanochimie. « Nous travaillons également sur la synthèse de nouvelles molécules qui pourraient avoir un intérêt majeur dans l’industrie de l’électronique», précise le chercheur.
Avec des molécules plus propres pour une chimie plus verte, la mécanochimie a un bel avenir devant elle. « La nécessité de s’inscrire dans une optique de développement durable a permis l’émergence d’une technologie de rupture entraînant des retombées scientifiques originales, constate Frédéric Lamaty. Il ne reste plus qu’à convaincre un plus grand nombre de chimistes organiciens des bénéfices scientifique, technique, économique et écologique de la méthode, d’autant qu’une nouvelle approche mécanochimique prometteuse, faisant appel cette fois-ci à la technique d’extrusion réactive, se développe actuellement. »
Illustration : © Emmanuel PERRIN/CNRS Photothèque
Réaction après l'ajout d'hydrure de sodium à de l'hydrazine borane dans un mortier. C'est la dernière étape d'une synthèse par voie mécanique d'un nouvel hydrure de bore, pour le stockage chimique de l'hydrogène.