Une timide légumineuse dévoile ses secrets de nodulation

Publié par IRD Occitanie, le 22 février 2021   750

Les légumineuses tropicales n’ont jamais été autant étudiées pour leur capacité à s’associer avec des bactéries fixatrices d’azote. Parmi elles, Aeschynomene evenia est originale car elle établit une symbiose très particulière. Pour en dévoiler les mécanismes, le LSTM a réalisé le premier séquençage de son génome et identifié un tout nouvel acteur qui pourrait être la serrure de cette association plante-bactérie.

Les Aeschynomene sont des légumineuses tropicales qui tirent leur nom du grec signifiant « d’humeur timide » en raison de la capacité de plusieurs espèces à fermer leurs feuilles quand on les touche, comme le font leurs lointaines cousines, les sensitives. Mais c’est par leurs étonnantes propriétés de nodulation avec des bactéries fixatrices d’azote qu’elles attirent l’attention des scientifiques depuis près d’un siècle et que le LSTM en a fait un objet d’étude privilégié.

A. evenia (haut-gauche) interagit symbiotiquement avec des Bradyrhizobium photosynthétiques à la pigmentation orangée (bas-droite) qu’elle héberge dans des nodules à la fois au niveau de la tige (haut-droite) et de la racine (bas-droite).

© IRD - LSTM

Une symbiose atypique très excitante pour la science

Comme la plupart des légumineuses, les Aeschynomene développent une symbiose avec des bactéries appelées rhizobiums. La plante héberge son partenaire rhizobien au sein d’un organe racinaire particulier, le nodule, et lui fournit des molécules carbonées. En échange, grâce à son complexe enzymatique nitrogénase, la bactérie fixe l’azote atmosphérique en une forme assimilable pour la plante. L’intérêt ? En dépit du coût énergétique élevé de cette fixation, elle permet à la plante de satisfaire ses besoins importants en azote pour assurer son fonctionnement et sa croissance. « Certaines Aeschynomene ne s’arrêtent pas là, explique Jean-François Arrighi, généticien au LSTM. Plusieurs d’entre elles sont en effet capables de développer des nodules également au niveau de la tige, une propriété partagée avec seulement une poignée d’autres légumineuses semi-aquatiques mais pouvant conférer un très haut niveau de fixation de l’azote ». De plus, elles peuvent être nodulées par des souches de Bradyrhizobium qui sont exceptionnelles à double titre : d’une part, ces bactéries sont capables d’une activité photosynthétique - contrairement aux autres rhizobiums -, et d’autre part ne possèdent pas les gènes nod nécessaires à la synthèse des facteurs Nod qui sont les molécules signal clé de la symbiose rhizobium-légumineuse. Cette deuxième particularité avait d’ailleurs été découverte en 2007 par un autre chercheur du LSTM.

Le génome d’Aeschynomene evenia. Le génome a été assemblé en chromosomes et annoté pour les gènes et d’autres éléments structuraux.

© IRD - LSTM

Approche génétique pour découvrir un mécanisme inédit

Tout l’enjeu est donc de comprendre comment cette symbiose dite Nod-indépendante est réalisée. Pour s’attaquer à une telle question, le LSTM met en œuvre une double stratégie : chercher la « clé » des Bradyrhizobium photosynthétiques et la « serrure » qu’elle ouvre chez les Aeschynomene. Pour le modèle d’étude « plante », le dévolu a été jeté sur A. evenia. Avec la collaboration de plusieurs laboratoires de recherche français et européens, dont les plateformes de bioinformatique de Toulouse (GenoToul BioInfo) et de Montpellier (SouthGreen), le LSTM a séquencé le génome d’A. evenia, révélant qu’il contient près de 32 700 gènes. Si l’obtention de ce génome est une avancée importante en soi, reste à déterminer quels gènes sont importants pour l’établissement de la symbiose Nod-indépendante. « Pour cela, une approche génétique puissante a été retenue : la mutagenèse. Elle consiste à inactiver des gènes de façon aléatoire dans le génome et à rechercher ensuite parmi les plantes mutées celles qui ont un phénotype d’intérêt », livre le chercheur. L’analyse de 67 000 plantes d’une population traitée à l’Ethyl Methane Sulfonate - un agent chimique qui modifie la séquence de l’ADN - a permis d’isoler 250 mutants altérés pour la nodulation chez A. evenia.

Section d'un nodule d'A. evenia montrant le tissu central de couleur orangée qui contient les Bradyrhizobium fixateurs d'azote

© IRD - LSTM

Sur la piste de la « serrure » d’Aeschynomene evenia pour une agriculture plus durable

En comparant le génome de mutants bloqués dans les étapes les plus précoces de l’interaction symbiotique à celui de référence pour A. evenia, le LSTM est parvenu à identifier un gène codant un récepteur de type « Receptor-like Kinase ». Est-ce la « serrure » tant recherchée ? Une caractérisation approfondie de ce nouveau récepteur est maintenant nécessaire pour tester cette possibilité. Mais sa découverte est déjà un grand pas en avant pour mettre à jour des mécanismes de nodulation inédits chez les légumineuses. De telles connaissances contribueront à mieux comprendre les différentes façons d’établir une symbiose fixatrice d’azote. Elles seront aussi utiles pour mieux mettre à profit cette fixation biologique à la place de l'utilisation d'engrais de synthèse afin de promouvoir une agriculture plus durable. A terme, elles permettront enfin de proposer des stratégies de transfert de cette capacité à des plantes d’intérêt agronomique comme les céréales.

 

Publication :                  

Quilbé J, Lamy L, Brottier L, Leleux P, Fardoux J, Rivallan R, Benichou T, Guyonnet R, Becana M, Villar I, Garsmeur O, Hufnagel B, Delteil A, Gully D, Chaintreuil C, Pervent M, Cartieaux F, Bourge M, Valentin N, Martin G, Fontaine L, Droc G, Dereeper A, Farmer A, Libourel C, Nouwen N, Gressent F, Mournet P, D'Hont A, Giraud E, Klopp C, Arrighi JF. Genetics of nodulation in Aeschynomene evenia uncovers mechanisms of the rhizobium-legume symbiosis. 2021. Nature Communications, 12(1):829. https://doi.org/10.1038/s41467-021-21094-7

 

Aller plus loin :

Exposition Fabuleuses légumineuses

Contact science : Jean-François Arrighi, IRD, UMR LSTM JEAN-FRANCOIS.ARRIGHI@IRD.FR  

Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR


Source : https://www.ird.fr/une-timide-...