Une aventure de médiation scientifique : avec le Lycée Jean Monnet, la physiologie en apesanteur !
Publié par Genopolys Montpellier, le 17 mai 2021 1.2k
Chaque année, le Centre National d’Etudes Spatiales (CNES) lance un appel d’offre pour le projet Parabole des lycéens : les élèves doivent proposer des expériences scientifiques réalisées en pesanteur normale, mais dont les résultats seraient intéressants à comparer à ceux obtenus en impesanteur. Si leur projet est sélectionné (3 lycées par an), tout le groupe se rend à Mérignac durant une petite semaine, dans les locaux de Novespace, pour installer les expériences à bord de l’Airbus A 310 0G de Novespace. Dans cet avion, grâce à des manœuvres spécifiques permettant une trajectoire formant une succession de paraboles, il est possible de vivre 31 fois 20 secondes d’impesanteur (encadrées par 62 fois 25 secondes environ d’hyperpesanteur : 1,8g). Lors de ce vol, 1 à 2 personnes (majeures) du groupe réalisent les expériences en impesanteur.
Anne Galleron, professeure de SVT au lycée Jean Monnet et passionnée d’espace, s’est lancée dans cette aventure avec un groupe d’élèves. Un projet de longue haleine, dans lequel elle m’a proposé de m’impliquer en 2018.
Je suis Marie Péquignot, chercheuse Inserm, travaillant sur les maladies de la vue à l’Institut des Neurosciences de Montpellier, et depuis de nombreuses années, je suis médiatrice scientifique. Ces dernières années, j’y consacre la majeure partie de mon temps, essentiellement à Genopolys, une Unité d’Accompagnement à la Recherche, dont une mission principale est de favoriser la rencontre entre sciences et société.
J’ai rencontré Anne dans ce cadre : j’avais participé à un speed-dating avec ses élèves sur les métiers de la science, organisé par Magali Kitzmann, chercheuse CNRS et médiatrice à plein temps à Genopolys. Elle m’avait alors invitée à donner une conférence « Œil et Art » dans le lycée, du temps où l’œil était au programme de 1ère. Le courant était passé, et lorsqu’elle m’a proposé de rejoindre l’équipe du projet Parabole du lycée Jean Monnet, j’ai trouvé l’aventure alléchante, et je me suis lancée !
Quatre expériences étaient proposées dans notre dossier de réponse à l’appel d’offre :
Expérience 1 - L’étude de la fréquence cardiaque à l’effort
Expérience 2 - Le réchauffement de la main après l’avoir refroidie ou son refroidissement après l’avoir réchauffée
Expérience 3 - La vitesse d’une réaction enzymatique catalysée par la glucose oxydase, en mesurant la diminution de l’oxygène
Expérience 4 - La vitesse de l’analyse visuelle, dans 3 petits tests visuels de difficulté d’analyse croissante
Pour chacune, les élèves des 3 niveaux (2nde, 1ère, Terminales) du lycée ont travaillé sur la mise en place des expériences, pour les rendre les plus reproductibles possibles d’une séance à l’autre : quel matériel utiliser et comment mettre en œuvre l’expérience. Il fallait également adapter les conditions pour qu’elles soient réalisables en apesanteur en toute sécurité, et dans un temps très court : en effet, le temps d’impesanteur à chaque parabole étant de 20 secondes, il fallait que chaque expérience tienne dans ce court délai.
Toutes ces mises en place ont été l’occasion de discuter avec les élèves sur les étapes de la démarche scientifique :
ETAPE 1 : nous avons émis des hypothèses. Pour la fréquence cardiaque à l’effort, l’hypothèse était qu’elle serait plus basse, le cœur ayant moins d’efforts à faire en impesanteur. Pour le réchauffement et le refroidissement de la main, les élèves s’attendaient à ce que ce soit plus lent en impesanteur, car il a été montré que le sang circule moins dans les extrémités dans cette condition, pour la vitesse de la réaction enzymatique, ils partaient du principe qu’elle serait plus rapide, l’absence de pesanteur pouvant impliquer une plus grande liberté pour l’enzyme et donc plus de rencontres avec le substrat. Enfin, pour la vision, l’hypothèse était que plus la tâche était compliquée, plus l’impesanteur perturberait l’analyse.
ETAPE 2 : nous avons imaginé pour chacune une expérience en 20 secondes maximum, permettant de répondre à la question, en réfléchissant aux biais possibles afin de les éviter au maximum. Pour la première expérience, par exemple, nous avons prévu un effort couché, afin d’éviter le biais des muscles posturaux, qui font un effort en 1g mais pas en 0G. Pour la 2è, les premiers tests ont montré qu’il fallait changer de main entre chaque répétition afin de laisser le temps à la main testée de revenir à sa température de départ. Pour la 3è, l’expérience a été faite en mettant le substrat (glucose) dans les bioréacteurs, ce qui permettait de le préparer à l’avance, et d’injecter l’enzyme fraichement préparée au moment de l’expérience. Enfin pour la 4è, après l’avoir testée sur téléphones et sur tablettes, ces dernières ont été choisies car plus grandes, ce qui permettait une meilleure précision des gestes, un point important pour les expériences en impesanteur.
A cette étape, le dossier de réponse à l’appel d’offre du CNES de 2019 a été rédigé et envoyé, et nous avons eu la joie d’apprendre en juin 2019 que le lycée Jean Monnet avait été sélectionné pour le vol Parabole de 2020 !
Le travail a donc repris dès la rentrée 2020, avec un groupe de lycéens renouvelé, les Terminales étant partis sous d’autres cieux, des 2ndes leur ont succédé, et Florian, en BTS Design Graphique, nous a rejoints pour la communication visuelle. Le travail a commencé par une visite de Novespace, en octobre 2019, pour Anne, Michel Royo, professeur de Physique-Chimie du lycée, embarqué dans l’aventure dès le début comme responsable de la communication photo et vidéo, et moi. Nous avons pu en particulier monter dans l’avion ZéroG. Un moment marquant ! Nous avons également pu voir les châssis, armatures métalliques en forme de pavé qui permettent d’accrocher toutes les expériences.
Dès la séance suivante, et afin de mieux visualiser l’espace dont nous allions disposer, nous avons construit un châssis de la même taille que ceux sur lesquels seraient accrochées nos expériences dans l’avion. Ce montage qui s’est fait sous la houlette de Michel, grand bricoleur !
Nous avons été accompagnés par Angélique Gaudel-Vacaresse, chargée des projets scolaires du CNES, pour toute la partie pédagogique et communication du projet, et Alexis Jolion puis Alexandra Jaquemet, tous deux ingénieurs à Novespace, pour toute la partie technique et sécurité dans l’avion ZéroG. Sous leur houlette, il a fallu analyser tous les risques chimiques, électriques et mécaniques, puis trouver des solutions adaptées pour tout accrocher solidement, tout protéger, étanchéifier, cataloguer et peser, mais aussi vérifier l’âge des batteries de chaque appareil montant dans l’avion ! Un travail nécessitant une grande rigueur, très intéressant !
Les élèves ont également continué à réfléchir sur les expériences selon la démarche scientifique précédemment suivie :
ETAPE 3 : il a fallu optimiser les conditions pour avoir une reproductibilité maximale, par exemple pour l’expérience enzymatique, nous sommes partis d’une enzyme toute neuve, stockée dans les meilleures conditions, et pesée sur une balance de précision. Nous avons également utilisé le tampon spécifique de l’enzyme, pour une efficacité maximale. De plus, après de multiples tests quant à l’appareillage utilisé pour prendre la fréquence cardiaque, le choix s’est porté sur une ceinture pectorale associée à une montre connectée, qui permettait des mesures précises et reproductibles.
ETAPE 4 : nous avons réfléchi à la significativité des résultats : il était évident qu’il serait possible de faire éventuellement de nombreuses mesures en 1g, mais l’expérience dans l’avion ZéroG étant unique, il fallait organiser les expériences le plus précisément possible pour répéter au maximum chacune, tout en sachant que les résultats seraient informatifs, mais manqueraient des répétitions que nécessitent une expérience scientifique en tant que telle. Nous avons décidé de faire les expériences de vision sur les 2 volants afin d’en étudier la variabilité interpersonnelle.
A cette étape malheureusement, la crise sanitaire de la COVID est arrivée, et le vol prévu en mai 2020 a été reporté à une date ultérieure non définie. A la rentrée scolaire 2020, tout le groupe était dans l’incertitude. Nous avons continué à réfléchir sur nos expériences et à améliorer encore leur mise en œuvre, en partie en visioconférence, en suivant l’évolution de la situation. Cette période a été l’occasion de travailler sur les formats de communication scientifique, en étudiant un poster et un article scientifique, pour en sortir les grands principes d’organisation et pouvoir s’en inspirer pour la rédaction de supports de même type, une fois nos expériences terminées. Nous avons appris fin octobre 2020 que notre vol serait le 1er avril 2021 !
Début mars 2021, Anne, Michel et moi nous sommes rendus à Mérignac pour installer les expériences dans les châssis de l’avion, et toutes nos solutions trouvées pour sécuriser les expériences ont été définitivement validées par Novespace !
Malgré le confinement et la séparation du groupe due à l’alternance présentiel/distanciel dans le lycée, nous nous sommes organisés pour suivre les étapes suivantes de notre démarche scientifique.
ETAPE 5 : nous avons mené les expériences en pesanteur normale (condition 1) dans les mêmes conditions de temps et d’organisation que lors du vol, en utilisant notre châssis en bois pour placer les expériences. Les expériences de vision ont été faites également même si nous savions qu’il faudrait les refaire durant les phases de vol normal en 1g, car nous serions sous médicament anti-mal des transports et que nous nous attendions à une perturbation de nos fonctions suite à cette prise.
Durant ces séances de mesure, nous avons appris que le groupe de lycéens n’aurait pas l’autorisation de sortir du département et ne pourrait donc pas participer à la mise en place dans l’avion, ni au vol. En tant que volante de secours, j’ai donc accompagné Anne, première volante, pour le vol en apesanteur. C’est donc sur nous deux que reposait la 6è étape de notre démarche scientifique :
ETAPE 6 : nous avons ensuite réalisé les expériences en impesanteur (condition 2). Les tâches étaient réparties entre les 2 volants, pour plus d’efficacité. Nous avions soigneusement répété chacune pour être le plus efficace possible le jour J malgré la perturbation due à l’hyperpesanteur et à l’impesanteur.
Il est difficile de décrire la sensation d’impesanteur, on peut dire qu’on flotte, mais c’est tellement en dessous de ce que l’on ressent ! Et pourtant, je ne vais pas vous cacher que malgré le médicament contre le mal des transports, je n’ai pas coupé aux nausées et autres désagréments vers le milieu du vol, mais j’ai pu gérer sans soucis, grâce à la présence discrète mais efficace et à la gentillesse du médecin et des « anges gardiens » de Novespace présents dans l’avion. J’ai pu finir les tâches qui m’incombaient dans nos expériences si longuement préparées, et même faire une petite séance de free-flotting, c’est-à-dire une parabole dans une zone vide et sécurisée, juste pour profiter des sensations. Et c’était incroyable ! J’avais du mal à réaliser, c’était vraiment très surprenant, je pensais savoir à quoi m’attendre mais c’était très différent ! Fabuleux !
Vincent Meens, le responsable des projets étudiants au CNES, nous a accompagnées, durant la préparation avec Angélique, puis durant le vol. Il nous a proposé de faire les expériences visuelles en parallèle, car il ne prenait pas le médicament, ce qui nous a permis d’avoir des mesures supplémentaires.
Nous avons eu 2 soucis dans nos expériences : d’une part la chaufferette servant à chauffer la main a refusé de chauffer, et d’autre part, 2 des 4bioréacteurs embarqués ont donné des résultats non analysables (taux d’oxygène trop bas au départ ou extrêmement fluctuant lors de la mesure).
De retour sur le plancher des vaches, nous avons démonté les expériences, et tout ramené à Montpellier. Puis, nous avons poursuivi notre démarche scientifique.
ETAPE 7 : nous avons analysé les résultats : nous devons affiner nos conclusions, mais il semble que la fréquence cardiaque à l’effort ne soit pas différente entre 1g et 0g, ce qui était contraire à notre hypothèse. Pour l’expérience 2, le réchauffement de la main était effectivement beaucoup plus lent en impesanteur qu’en 1g, ce qui était notre hypothèse de départ. Pour l’expérience enzymatique, nous n’avons que 2 courbes à analyser, mais leur comparaison avec les résultats en 1g donne à penser que la réaction enzymatique est plus lente en impesanteur, ce qui est l’inverse de notre hypothèse de départ. Enfin, pour l’expérience 4, d’analyse visuelle, les résultats sont très différents entre les 3 cobayes. Pour 2 d’entre eux, les scores obtenus en pesanteur normale et en impesanteur étaient en moyenne les mêmes (ou plus élevé pour 1 personne dans la tâche semi-complexe), mais nous avons observé une plus grande variabilité dans les résultats en 0g. Pour le 3è, les scores étaient meilleurs et la variabilité quasi-nulle en impesanteur. Ces résultats ne collaient pas avec notre hypothèse de départ d’un ralentissement des processus d’analyse visuelle avec l’impesanteur, et montrent surtout que ce genre d’expérience nécessite un grand nombre de sujets pour compenser la grande variabilité interpersonnelle !
Pour finaliser notre démarche scientifique, nous avons encore 2 étapes :
ETAPE 8 : nous devons réfléchir aux conclusions par rapport aux hypothèses de départ, ce qu’elles impliquent, et échafauder de nouvelles hypothèses à partir desquelles proposer les expériences hypothétiques futures.
ETAPE 9 : enfin, nous allons communiquer sur l’expérience et sur les résultats obtenus. Nous avons pu expliquer notre travail en amont du vol aux participants des 2 autres lycées sélectionnés en même temps que nous : le Lycée Jean-Jacques Henner d'Altkirch et le Lycée des Flandres d'Hazebrouck lors d’une visioconférence organisée par Angélique. Nous avons ensuite raconté les péripéties des expériences en vol et les premiers résultats lors d’une 2è visioconférence une semaine après le vol. Il était très intéressant de voir les expériences de 2 autres lycées, qui étaient axées sur la physique, donc très différentes des nôtres. Nous avons décidé de présenter nos résultats sous forme d’un poster et d’un article de format scientifique que nous devons préparer.
Cette aventure est passionnante. Il est extrêmement intéressant de travailler ainsi sur ces expériences très concrètes avec les élèves, en particulier en petit groupe. En tant que médiatrice, j’ai beaucoup apprécié de les voir réfléchir sur les expériences et d’en discuter avec eux, c’est un format de médiation scientifique très inhabituel ! Mais c’était également très stimulant en tant que participante, lorsqu’il a fallu réfléchir tous ensemble à tous les risques et trouver pour chacun une solution, voire plusieurs, et discuter avec Alexandra pour trouver la plus efficace ! La rédaction du poster et de l’article va être intéressante également. Et bien sûr pouvoir participer au vol dans l’avion ZéroG a été la cerise sur le gâteau.
Je tiens à remercier tout d’abord Anne Galleron, sans qui cette aventure n’aurait pas eu lieu. Sa ténacité est sans pareil ! Nous avons formé une équipe de choc, complémentaire et efficace. Merci à tous les élèves : Imane, Mario, Pierre, Aymerick, Mathilde, Mickaël, Mathéo, Alexane, Djebril et Clara, et tous les autres, qui se sont succédés. Pour ceux qui sont restés, il fallait être tenace durant toutes ces années, bravo ! Un grand merci à Michel Royo pour sa gentillesse, son accompagnement et son soutien logistique et en images ! Merci à Florian, pour ses images et le dessin du logo de notre mission. Merci à Mme Brun, pour les T-shirts floqués de ce logo, que nous avons portés fièrement à Novespace. Merci à Mr Cabrera, le proviseur du lycée Jean Monnet, pour son soutien constant depuis le début de cette aventure.
Merci au CNES pour offrir cette chance de voler en impesanteur. Tous les lycées devraient s’emparer de ce programme ! Merci en particulier à Angélique pour son aide tout le long de ces 2 années, sa disponibilité et sa gentillesse ! Et merci à Vincent pour son soutien logistique et sa gentillesse également.
Merci à Novespace, en particulier Alexandra Jaquemet, pour son professionnalisme, son envie d’aller au bout du bout de chaque question. Ton « good to go » n’en a été que meilleur ! Merci à tout le personnel de Novespace, en particulier le médecin de bord, les ingénieurs et tous ceux qui veillaient sur nous durant le vol.
Merci à Maria, de Carte Blanche, pour l’organisation du séjour, qui a dû être un vrai casse-tête avec les changements permanents. Et merci pour ton sourire et pour le petit apéro (avec distances de sécurité !).
Et enfin merci à tous les scientifiques présents à bord pour nous avoir expliqué patiemment leurs expériences !