Trypa-NO ! : une contribution décisive à l’élimination de la maladie du sommeil
Publié par IRD Occitanie, le 16 février 2021 740
Soutenu dès sa première phase (2016-2019) par la Fondation Bill & Melinda Gates puis pour la seconde jusqu’en 2022, le programme Trypa-NO ! a d’ores et déjà prouvé son efficacité dans sa croisade contre la maladie du sommeil qui sévit en Afrique sub-saharienne. Preuves à l’appui livrées dans la récente publication de l'UMR INTERTRYP parue dans PLoS Neglected Tropical Diseases.
Quel médecin tropicaliste n’a pas rêvé d’éliminer la tristement nommée « maladie du sommeil » ? Cet objectif qui paraissait inatteignable devient désormais réaliste grâce à un effort international sans précédent combinant recherche et lutte contre la maladie, sous la houlette de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Une stratégie coup de poing contre la maladie du sommeil
La maladie du sommeil ou Trypanosomiase Humaine Africaine (THA) est majoritairement due à un parasite, Trypanosoma brucei gambiense, transmis par la piqûre d’un insecte vecteur, la glossine ou mouche tsé-tsé. Présente au Mali dès le 14ème siècle, cette maladie à répartition par foyers touche encore 13 pays d’Afrique sub-saharienne et provoque des atteintes neurologiques qui conduisent au coma et à la mort. Dans la continuité de cette régression amorcée depuis les années 2000 suite à cette mobilisation internationale sans précédent, l’OMS souhaite parvenir à l’élimination de ce problème de santé publique, et même à l’élimination de la transmission afin d’éviter tout redémarrage à partir d’un foyer. « La stratégie adoptée par le programme Trypa-NO ! reprend l’approche défendue dès les années 1970 par les pionniers de l’ORSTOM devenu depuis IRD. Il s’agit de mettre en œuvre simultanément et de manière coordonnée les approches médicale et anti-vectorielle dans les foyers actifs de THA pour assurer l’efficacité et la durabilité des résultats », assène Philippe Solano, directeur de l’unité INTERTRYP. Sous la coordination de la Foundation for Innovative New Diagnostics (FIND), l’opération est donc menée de front dans quatre pays en zone endémique (Guinée, Côte d’Ivoire, Ouganda, Tchad) et associe outre l’IRD, la Liverpool School of Tropical Medicine et l’entreprise Vestergaard, en concertation avec les partenaires africains de recherche et de lutte de ces 4 pays. Cette force de frappe rassemble ainsi des médecins, infirmiers, agents de santé, parasitologues, géograohes, entomologistes, épidémiologistes, vétérinaires, modélisateurs et socio-anthropologues du Nord et du Sud.
Réduction drastique des populations de glossines et des cas de THA
Trypa-NO ! met en œuvre des stratégies d’intervention qui ont déjà fait leurs preuves telles que la surveillance des cas déclarés, le dépistage massif et la lutte anti-vectorielle (LAV) tout en veillant au développement d’outils innovants, de nouveaux traitements, de nouveaux outils de lutte anti tsé-tsé, et à la durabilité des interventions. L’IRD (Veerle Lejon, INTERTRYP) coordonne également un projet européen (EDCTP2) visant à adapter les algorithmes de diagnostic de la THA aux contextes d’élimination (www.ditect-hat.eu). Pour ce qui est du dépistage, plusieurs outils sont utilisés selon les circonstances. Des outils de dépistage sérologique de masse (card agglutination test for trypanosomiasis, CATT) ou individuels (TDR : tests de diagnostic rapide) ; de nouveaux modes d’action adaptés aux basses prévalences : les dépistages « porte-à-porte », ou par « mini-équipes mobiles » dans les lieux repérés comme à risque tels que les ponts d’embarquement en Guinée, les plantations de cacaoyers et caféiers en Côte d’Ivoire ou encore les marchés au Tchad. Ce trépied « dépistage / diagnostic / traitement » - allié à la LAV basée sur le large déploiement d'écrans à glossines - est adossé à une base de données hébergée par FIND qui collecte les contributions de tous les participants en les rendant accessibles à tous en particulier aux modélisateurs et aux pays endémiques. L’ensemble permet de proposer aux pays des micro-plans d’action comportant des cartes et des cahiers des charges et d’introduire des technologies digitales de suivi. « Et çà marche ! La THA est l’une des rares maladies pour laquelle l’objectif de l’OMS 2020 est en passe d’être atteint », s’enthousiasme Philippe Solano. Effectivement, en trois ans, les acteurs engagés dans ce programme peuvent se réjouir des résultats : le taux de THA a été réduit de 60 à 80 % dans les foyers actifs de la maladie. Plus précisément, la densité des tsé-tsé a été réduite de plus de 80 % dans les foyers d’Ouganda et de 95 % en Côte d’Ivoire tandis que le nombre de cas de THA est passé de 200/an à moins de 10/an au Tchad. « La stratégie choisie a porté ses fruits malgré les difficultés comme l’épidémie d’Ebola en Guinée, auxquelles on peut rajouter l’afflux de réfugiés en Ouganda, estime Mamadou Camara, coordonnateur du Programme national de lutte contre la THA. Et elle continue d’être mise en œuvre malgré l’impact des mesures prises contre la Covid-19 ».
Rester vigilants dans les zones à risque
Pour 2021-2022, les scientifiques d’INTERTRYP sont impliqués dans divers essais cliniques sur de nouveaux traitements, financés par l’Union Européenne et coordonnés par Drugs for Neglected Diseases initiative. Avec leurs partenaires de Guinée et de RDC, ils portent leur activité sur deux nouvelles molécules en particulier, le fexinidazole et l’acoziborole (produites par Sanofi qui les donne gratuitement à l’OMS), susceptibles de révolutionner le traitement de cette maladie. Il faut savoir que jusqu’à tout récemment, les médicaments utilisés contre la THA étaient basés sur des dérivés d’arsenic aux effets secondaires parfois mortels. Les molécules testées sont à prise orale et sont efficaces sur les deux phases de la maladie (la phase lymphatico-sanguine suivie de la phase nerveuse). Toutes deux représentent une opportunité unique d’une intégration plus large du diagnostic/traitement dans le système de santé périphérique et pourraient apporter une aide décisive pour l’interruption de la transmission. « Pour donner une chance à l’objectif OMS 2030 « interruption de la transmission », il faut prévoir la suite de Trypa-NO ! pour éviter tout risque de redémarrage », souligne Philippe Solano. L’idée est de continuer la surveillance là où c’est nécessaire tout en supprimant progressivement les grands dépistages de masse et les écrans anti-glossines - mis en place et suivis par des villageois formés dans le cadre du programme – dans les sites où plus aucun cas de THA ne sera déclaré pendant 5 années consécutives et cela en gardant une capacité de riposte immédiate au cas où un nouveau cas surviendrait. En avançant vers l’élimination et en étendant les activités vers les autres pays où la THA est encore rapportée, de nouvelles questions se posent notamment sur le rôle des réservoirs cryptiques (animaux et humains), aussi l’approche One Health menée dans l’unité INTERTRYP (IRD/CIRAD) prend toute son importance pour assurer la durabilité des succès obtenus et éviter les réémergences.
Publication : Ndung’u, J.M., Boulangé, A., Picado, A., Mugenyi, A., Mortensen, A., Hope, A., et al. (2020) Trypa-NO! contributes to the elimination of gambiense human African trypanosomiasis by combining tsetse control with “screen, diagnose and treat” using innovative tools and strategies. PLoS Negl Trop Dis 14(11): e0008738. https://doi.org/10.1371/journal.pntd.0008738
Aller plus loin :
- Lancement de la feuille de route OMS 2030 sur les Maladies Tropicales Négligées
- Film : La maladie du bout de la piste
- Ouvrages : Lutte contre la maladie du sommeil et soins de santé primaire ; Manuel de lutte contre la maladie du sommeil
- Site web IRD : Elimination de la maladie du sommeil : le programme Trypa-NO ! prolongé
Contact science : Philippe Solano (membre du Comité de pilotage de Trypa-NO !), IRD, UMR INTERTRYP PHILIPPE.SOLANO@IRD.FR
Contacts communication :
Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR
Source : https://www.ird.fr/trypa-no-un...