Trois vidéos indispensables si vous diffusez des informations scientifiques !
Publié par Tania Louis, le 26 août 2016 3.3k
J’ai décidé d’inaugurer mon compte sur EchoSciSud avec un article qui concerne toute personne qui transmet des informations à caractère scientifique. Qu’elle s’adresse à des spécialistes ou au grand public. Qu’elle agisse sur internet, sur un support papier ou directement dans la vraie vie. Qu’elle fasse de la recherche, de l’enseignement, de la médiation, du journalisme, de l’animation…
J’ai moi-même occupé la plupart des fonctions listées ci-dessus et j’ai conscience des différences qui les séparent. Pourtant force est de constater qu’il y a aussi des similitudes entre elles. Je ne prétends pas ici donner des conseils sur la façon de mener une transmission d’informations scientifiques (j’y reviendrai peut-être plus tard, si le sujet vous intéresse je pense que la règle incontournable est « connais ton public et adapte toi à lui »). J’avais plutôt envie de vous parler du travail préparatoire d’obtention et de vérification des informations scientifiques que vous voulez transmettre.
Lorsque vous traitez de connaissances bien établies dans la discipline concernée, comme les lois de Newton, la structure de l’ADN ou le concept de pH, le contenu d’ouvrages de référence peut suffire à trouver tout ce qui vous intéresse. Peut-être êtes-vous quand même suffisamment curieux pour aller voir s’il y a des actualités scientifiques en lien avec votre sujet. Ou avez-vous justement envie de parler d’une découverte relativement récente, qui ne fait pas partie de la base solide qui fonde sa discipline voire qui est carrément controversée.
Toute personne qui transmet une information scientifique a une responsabilité vis-à-vis de son public : celle d’être honnête sur la teneur et la fiabilité de cette information. Encore faut-il pouvoir évaluer cette fiabilité et avoir conscience de la façon dont on peut déformer l’information en voulant la transmettre.
Et même si ça a l’air évident quand c’est formulé de cette façon, en pratique, ça peut être assez compliqué.
C’est pourquoi j’avais envie de partager avec vous trois vidéos que je considère comme particulièrement enrichissantes. Pas pour donner des leçons, mais pour faire réfléchir chaque transmetteur d’informations scientifiques sur ses propres pratiques.
La première vidéo concerne la fiabilité des articles scientifiques eux-mêmes et a été réalisée par Veritasium. Son titre parait provocateur, mais après l’avoir regardée cela vous semblera plus inquiétant que surprenant : Is Most Published Research Wrong? (Oui, c’est une vidéo en anglais, qui n’a pas encore de sous-titres en français.)
Je ne rentrerai pas dans les détails car la vidéo le fait très bien, mais de nombreux facteurs expliquent qu’une partie non négligeable des résultats scientifiques publiés par les chercheurs sont faux. Débusquer les articles dont il faut se méfier n’est pas évident quand on n’est pas expert du domaine (et reste parfois compliqué en connaissant le sujet), mais n’oubliez pas d’exercer votre sens critique même face à un résultat scientifique. Plusieurs choses peuvent vous mettre la puce à l’oreille, comme le caractère sensationnel d’une découverte (surtout si elle n’est pas due à un progrès technologique récent), le fait que, malgré plusieurs mois voire années, tous les articles sur le sujet aient été publiés par la même équipe de recherche, ou la présence d’analyses statistiques sans information détaillée sur la façon dont elles ont été obtenues. Si vous avez un doute, n’hésitez pas à fouiller pour vérifier si des débats voire des démentis existent déjà. Et lisez la discussion de l’article, il arrive que les auteurs soient eux-mêmes prudents vis à vis de leurs découvertes.
Selon votre objectif et votre sujet, il est possible que vous ne remontiez pas vous-même jusqu’aux publications scientifiques originelles et que vous fassiez confiance à des supports intermédiaires. N’oubliez pas que ces intermédiaires sont eux aussi susceptibles de commettre des erreurs, volontaires ou non.
C’est précisément ce sujet que traite la deuxième vidéo que je souhaitais vous présenter : l’épisode 27 de Dirty Biology, par Léo Grasset. Contrairement à ce que laisse penser son titre, il ne parle pas des OGM mais des déformations potentiellement subies par les informations scientifiques, et ce à chaque étape de la chaîne de transmission.
Oui, tout ça peut sembler assez décourageant. Les articles scientifiques ne sont pas faciles d’accès et pas forcément fiables. Les sources intermédiaires dénaturent l’information. À quoi peut-on se fier ?
À notre sens critique ! Et à quelques principes méthodologiques.
Quand votre première source est un article journalistique, pensez à jeter
un coup d’œil aux sources de cet article (s’il n’y en a pas, c’est mauvais
signe). Si vous remontez jusqu’à une publication scientifique, lisez le résumé.
En général il est accessible gratuitement et relativement compréhensible par
des non spécialistes. En tous cas, s’il y a une grosse différence entre l’information
de la publication scientifique et l’article que vous lisiez au départ,
méfiez-vous. Et finalement, s’il est nécessaire de déformer outrageusement une
information scientifique pour la rendre intéressante auprès de votre public, il
vaut sans doute mieux la mettre de côté et en chercher une autre.
Si vous avez des doutes sur la qualité de votre information, n’hésitez pas à les exprimer. Utilisez du conditionnel, prenez des précautions… Y compris dans votre titre et vos illustrations, certaines personnes ne regardent que ça. C’est peut-être aussi une bonne occasion pour parler à votre public de ce qu’est la démarche scientifique, avec son lot d’incertitudes et de remises en question permanentes ! Et pour lui apprendre à faire lui-même preuve de de sens critique vis-à-vis des informations que vous lui délivrez.
Évidemment, même avec toute la bonne volonté du monde, parfois, on peut se tromper. Mais tant mieux si ça arrive le moins souvent possible (et si on peut se corriger quand on s’en aperçoit).
La déformation la plus courante est la transformation d’hypothèses émises avec beaucoup de précautions par les chercheurs en une affirmation franche (ou presque). Par exemple quand « nos résultats montrent que A est associé à B ce qui suggère qu’à long terme il serait potentiellement envisageable d’adapter des traitements ciblant A pour lutter contre la maladie C causée par B » devient « Les traitements contre A, un remède inespéré contre C ? », voire « Un nouvel espoir pour les malades de C ! ».
Pour être plus précise, la palme d’or des raccourcis revient à la transformation d’une corrélation en causalité. Glissement très bien expliqué dans la troisième et dernière vidéo de ma triade : chocolat, corrélation et moustache de chat, par La statistique expliquée à mon chat.
Cette vidéo n’est pas une simple démonstration de maîtrise des codes du web à coups de petit chat mignon. Elle revient sur une étude de 2012 qui montrait que plus la consommation de chocolat dans un pays est élevée, plus il y a de Prix Nobel originaires de ce pays. Et explique pourquoi non, on ne peut pas en conclure que le chocolat rend intelligent.
Ce sujet est relativement léger, mais on trouve régulièrement des raccourcis du même type dont la propagation peut avoir des conséquences graves. J’ai notamment en tête une étude de 2002 (celle-ci : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/12049024) basée sur des questionnaires concernant la vie sexuelle, le bien-être et les performances intellectuelles de quasiment 300 femmes. En l’absence d’expérimentation, des analyses de questionnaires ne peuvent aboutir qu’à l’établissement de corrélations, pas de causalités. Pourtant cette étude a donné lieu à la publication de nombreux articles expliquant que les rapports sexuels non protégés permettent aux femmes de lutter contre la dépression. Entre les grossesses non désirées et les maladies sexuellement transmissibles, je ne suis vraiment pas convaincue de la pertinence de relayer ce genre d’« informations », surtout en l’absence totale de preuves solides…
Bref, à la fois en tant que diffuseur d’informations scientifiques et en tant que récepteur d’informations scientifiques, allumez votre détecteur à amalgame corrélation/causalité ! C’est un outil indispensable mais préparez-vous psychologiquement, la fréquence d’alarme risque de vous surprendre.
J’espère que ces trois vidéos vous seront utiles et, comme elles l’ont fait pour moi, vous amèneront à réfléchir à vos propres pratiques de diffusion scientifique et aux contextes dans lesquels elles s’inscrivent. Si vous aussi vous avez des vidéos/articles/livres/anecdotes/conseils à partager sur le sujet, n’hésitez pas !
Tania LOUIS (@SciTania sur twitter)
Mise à jour du 29 août 2016 :
J'ajoute une quatrième vidéo aux trois premières, pour les personnes qui sont confrontées à des données statistiques.
David Louapre, de la chaîne Science étonnante, y présente le paradoxe de Simpson.
En quelques mots : quand on essaye d'évaluer un lien de causalité sans prendre en compte l'existence d'un facteur de confusion qui modifie à la fois la cause potentielle et la conséquence potentielle, on a de fortes chances de se faire embobiner par les statistiques. Une bonne raison de se méfier des analyses a posteriori de données qui ont été établies sans prendre en compte l'éventuelle existence de facteurs de confusion !