Sous nos pieds : le voyage caché de l’eau dans la roche
Publié par OSU OREME, le 15 mars 2025
À l’ouest de Montpellier, les garrigues du Causse d'Aumelas sont parcourues par un réseau invisible de rivières souterraines qui sillonnent discrètement les entrailles de la terre. Ces chemins cachés se forment au fil du temps et constituent des cavités et de conduits karstiques qui contrôlent l’écoulement de l’eau souterraine et peuvent influencer l’écoulement des rivières de surface. Hydrogéologue au laboratoire HydroSciences Montpellier (HSM), je vous invite à explorer ce monde souterrain fascinant pour mieux comprendre son rôle sur notre ressource en eau et les crues soudaines.
C’est quoi, le karst ?
Imaginez une roche calcaire qui, au fil des siècles, se laisse sculpter par l’eau. Sous l’action conjointe de l’eau et du dioxyde de carbone, des grottes et conduits de différentes dimensions se forment dans la roche fracturée, créant un véritable labyrinthe souterrain où l’eau s’engouffre et circule. C’est ça, le karst. Bien connu des visiteurs de la grotte de Clamouse, de celle des Demoiselles ou encore des promeneurs des causses et plateaux calcaires, ce phénomène reste mystérieux pour beaucoup. Pourtant, il joue un rôle majeur dans les écoulements et est donc au cœur de la gestion de notre ressource en eau.
Eau de surface et eau souterraine : un dialogue millénaire
Dans les rivières comme le Coulazou, affluent principal de la Mosson, les épisodes de crues racontent une histoire fascinante. Quand j’emmène des étudiants sur le terrain, je leur dis que « les hauteurs d’eau et différentes variables physico-chimiques sont mesurées en continu depuis plus de 20 ans ici ». Dans cette rivière qui entaille le causse d’Aumelas, on analyse les débits, la conductivité électrique – un indicateur de la charge minérale de l’eau – et la température pour savoir si l’eau provient de la surface ou de la nappe souterraine.
Pourquoi est-ce si important ? Parce que ces échanges entre l’eau souterraine et l’eau de surface jouent un rôle clé dans la dynamique des crues, dans nos écosystèmes et dans notre propre approvisionnement en eau potable.
Observer pour mieux comprendre
Sur le bassin versant du Coulazou, plusieurs points de mesure sont équipés de sondes qui collectent des données toutes les 15 minutes. Elles enregistrent les précipitations, la hauteur d’eau, la conductivité et la température. Quand il pleut, les épisodes de crues apportent leur lot de surprises. Ici, ces crues sont souvent des crues éclair : des montées brutales et rapides des eaux en quelques heures seulement. Pour l’année 2024, on a enregistré jusqu’à trois pics de crue en quelques semaines, avec des niveaux d’eau qui montent brusquement d’un mètre ou plus. Ces crues, bien que rapides, laissent derrière elles des traces visibles appelées laisses de crue : des dépôts de matériaux transportés par l’eau.
Les crues éclair sont caractéristiques des régions karstiques méditerranéennes, où l’eau s’infiltre rapidement dans la roche mais peut aussi ressortir tout aussi brutalement, transformant des ruisseaux calmes en torrents impétueux.
Les enjeux d’aujourd’hui et de demain
L’eau ne circule pas partout de la même façon. En Normandie ou dans la Somme, les crues des rivières sur des terrains crayeux peuvent durer plusieurs semaines. Ici, dans les paysages karstiques méditerranéens, tout s’écoule beaucoup plus vite. Cette différence influence la recharge des nappes phréatiques, essentielles pour nous fournir de l’eau douce.
Mais ce n’est pas tout. Les crues peuvent aussi transporter des polluants issus des activités humaines, ce qui peut provoquer une contamination de l’eau souterraine, heureusement de très courte durée la plupart du temps. Certains puits karstiques peuvent aussi se transformer en véritables « poubelles » lorsque les eaux pluviales entraînent des déchets sauvages.
Une ressource à protéger
L’observation des interactions entre le karst et les rivières permet aux scientifiques d’améliorer leurs modèles de prévision. Ces outils numériques servent à comprendre comment l’eau s’écoule mais aussi à anticiper les épisodes de crues ou de sécheresse. En collaboration avec le réseau d’observation SNO KARST, nous partageons nos connaissances entre scientifiques pour mieux protéger cette ressource vitale.
Et ailleurs ?
Mon travail et celui de mon équipe ne se limitent pas à l’Hérault. En Europe du Sud (Espagne, Italie), en Amérique du Sud (Pérou, Chili), en Afrique (Maroc, Algérie, Tunisie) et jusqu’en Indonésie (Java), l’exploitation de données d’observatoires similaires, dans des bassins karstiques ou dans d’autres contextes géologiques, permet de comprendre ces dynamiques et d’agir face à des situations de crise hydrique souvent plus marquées qu’en Europe. Par exemple, au Pérou sont étudiées les ressources en eau dans les Andes amazoniennes, tandis qu’en Afrique du Nord, des travaux portent sur la durabilité de la ressource en eau et les effets de la surexploitation des nappes souterraines en contexte de changement climatique.
Le message des scientifiques
L’eau est une ressource précieuse, mais fragile. Comprendre ses chemins cachés, c’est apprendre à mieux la protéger. Sous nos pieds, l’eau poursuit son épopée invisible – un voyage silencieux mais essentiel pour la vie en surface.
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