Sophie Lanco : l’égalité en soi n’existe pas, ne peuvent exister que des traitements équitables
Publié par IRD Occitanie, le 2 février 2024 930
Chercheuse en biologie marine à l’UMR MARBEC, Sophie Lanco s’attache à comprendre le fonctionnement et prédire l’évolution des organismes et des écosystèmes marins en s’intéressant tout particulièrement aux oiseaux. Elle a travaillé 15 ans sur l’écosystème côtier péruvien, et développe ses recherches actuelles dans l'Atlantique tropical, au Brésil et à Cuba notamment. Avec en ligne de mire une meilleure cohabitation entre les animaux et les hommes. Elle répond à nos questions dans le cadre du plan d’action égalité de l’Institut.
« Il me semble que dans le milieu scientifique comme ailleurs, dans le domaine femmes-hommes comme dans d’autres, nos différences en tant qu’êtres humains sont multiples et intersectionnelles. »
Quel parcours vous a amené à prendre les fonctions que vous avez aujourd'hui ?
J’ai passé ma jeunesse à fréquenter les estrans, leurs paysages, leurs habitants, et à tenter d’apprivoiser depuis cette frange rythmée par les marées l’étrangeté de ces mondes liquides et foisonnants de vie. Avec la mer comme boussole, je me suis passionnée pour la biologie et l’écologie, tout en cultivant mathématiques, physique et chimie en classes préparatoires et en école d’ingénieur agronome. Trois masters, le premier en écologie halieutique, le second en océanologie biologique et le troisième en droit maritime m’ont permis d’acquérir une vision pluridisciplinaire des océans et de leurs enjeux. J’ai travaillé deux ans, dans une organisation professionnelle de pêcheurs en France et dans une université des sciences de la mer au Chili, avant de m’engager dans une thèse en écologie marine à l’IRD. J’ai poursuivi deux ans en postdoctorat avant d’être recrutée à l’IRD. Ce parcours, à première vue éclectique, s’est révélé être une richesse dans ma vie de chercheuse aujourd’hui, où s’entremêlent des questions disciplinaires en écologie marine et de nombreux programmes interdisciplinaires sur les océans.
L’égalité femmes-hommes, comment l'interprétez-vous dans le milieu scientifique ?
Il me semble que dans le milieu scientifique comme ailleurs, dans le domaine femmes-hommes comme dans d’autres, nos différences en tant qu’êtres humains sont multiples et intersectionnelles (le genre certes, mais aussi l’âge, les origines ethniques et sociales, le handicap, etc.). L’égalité en soi n’existe pas. N’existent en réalité que des traitements équitables qui reconnaissent explicitement les différences et visent à créer une égalité des chances. Dans le milieu scientifique, reconnaître ces différences et travailler à l’équité signifie notamment lutter contre les stéréotypes de genre qui infusent encore trop certains parcours de formation, ou découragent l’accès à certaines fonctions, cultiver les espaces, les manières, le respect, l’écoute et les aménagements qui permettent à chacun et chacune d’exprimer la meilleure version de soi-même et d’enrichir le collectif.
Avez-vous un exemple - dans votre vie professionnelle ou celle d’une proche - qui pourrait illustrer la notion d'empowerment des femmes ?
Mes expériences personnelles et celles de mes collègues du Sud comme du Nord me suggèrent que « l’empowerment » des femmes sera collectif ou ne sera pas. Pour s’émanciper dans un cadre de fonctionnement sociétal qui a été conçu par et pour des hommes, les femmes ont d’abord besoin de créer des collectifs pour faire entendre l’originalité de leurs points de vue, avant de pouvoir questionner le cadre en lui-même. J’ai pu par exemple expérimenter dans différents collèges scientifiques l’efficacité de la stratégie de l’amplification, qui a été décrite au départ par les cheffes de cabinet et conseillères du gouvernement Obama aux Etats-Unis : pendant une réunion, lorsqu’une femme développe une idée, il arrive trop souvent que son argument soit ignoré ou, dans le meilleur des cas, confisqué. Or, si d’autres femmes le reprennent, cela amène plus facilement les hommes de l’assistance à reconnaître la contribution.
Pensez-vous que la place des femmes dans la science est en train d’évoluer dans le bon sens ?
On pense trop souvent que l’histoire des femmes évoluerait d’un état de servitude vers une libération, le mouvement vers l’égalité allant de soi. C’est un artefact puisque, bien que grandes absentes des récits historiques, les femmes n’ont cessé d’agir, d’écrire, de créer, et de faire de la science. On voit donc que deux mouvements sont essentiels pour améliorer la place des femmes en sciences : d’une part reconnaître les femmes du passé qui ont œuvré à la connaissance et créer une source d’inspiration pour les plus jeunes ; et d’autre part continuer à améliorer les conditions de l’équité dans l’accès et la progression dans les carrières scientifiques d’aujourd’hui. S’il me semble que sur le premier aspect un immense travail reste à faire, sur le second aspect les progrès sont notables. Au niveau du recrutement des chercheuses et des chercheurs, la parité est mieux respectée aujourd’hui. Et dans le reste de la vie scientifique, la politique des quotas, insatisfaisante sur le fond, mais intéressante comme outil d’accompagnement d’une transition, permet un rééquilibrage de la représentation des femmes dans la vie scientifique.
Pour vous, qui ou quels sont les alliés nécessaires pour faire avancer l’égalité de genre ?
A titre individuel, déconstruire les entraves liées au genre, c’est l’affaire de tout le monde : des femmes, des hommes, des jeunes, des vieux, des pères comme des mères qui elles aussi transmettent souvent sans s’en rendre compte les schémas de genre qui enferment. A titre collectif, avancer vers l’équité demanderait de repenser tout un cadre de fonctionnement de la science qui à l’heure actuelle valorise à outrance les indicateurs de l’individu et la ‘collaboration’ (au sens de travailler côte à côte et en compétition), au détriment de la création collective et de la coopération (au sens de travailler ensemble à la réalisation d’un projet commun). C’est dans une véritable coopération que nos différences, au lieu d’handicaper certains individus, deviendront une richesse pour tous. Et des projets communs d’ampleur et urgents à résoudre, ce n’est pas ce qui manque dans cet anthropocène qui nous met au défi.
Quelle émotion est votre moteur ?
Je vois trois moteurs essentiels à la vie scientifique que je mène : la soif de connaître, l’émerveillement de comprendre, et le goût des autres et de leur différence. L’IRD est le lieu de recherche idéal pour cultiver de front ces trois émotions.
Source : https://www.ird.fr/sophie-lanc...