Sols majeurs
Publié par Université de Montpellier UM, le 26 janvier 2018 1.4k
Préserver notre terre nourricière : c’est l’indispensable défi de l’agriculture aujourd’hui. Pour le relever, les scientifiques se penchent sur ce berceau des cultures, le sol. Un écosystème d’une complexité insoupçonnée…
« Impossible de comprendre le sol si on le sépare de son contexte, prévient d’emblée Robin Duponnois, microbiologiste spécialiste des sols et président du Comité scientifique français de la désertification. Seule une approche globale permet de comprendre des phénomènes qui sont très complexes ».
Vitales symbioses
Petit aperçu de la complexité en question : sans le couvert végétal qui fournit la matière de base du cycle de la vie souterraine – feuilles mortes et autres débris végétaux – mais aussi sans l’innombrable peuple caché du sous-sol, insectes, champignons microscopiques et autres bactéries symbiotiques, seuls capables de transformer cette matière (voir texte en bas), point de salut pour la plante.
Car celle-ci ne vit pas que de soleil et d’eau fraîche. Et elle est tout, sauf autonome. A elle seule, elle n’est capable d’accéder qu’aux nutriments les plus proches de ses racines. Insuffisant pour assurer sa croissance… Heureusement, les champignons mycorhiziens* s’emploient à coloniser ces mêmes racines grâce à leurs « hyphes », fins filaments capables d'explorer un grand volume de sol – donnant ainsi accès à infiniment plus de ressources nutritives. Plus étonnant, ces mêmes champignons jouent le rôle de nourrices : « on trouve dans le sol des molécules complexes, organiques ou minérales, qui ne sont pas directement assimilables. Le champignon va "digérer" ces grosses molécules, puis utiliser ses hyphes pour transférer à la plante les nutriments ainsi recyclés ».
En échange, le champignon se voit offrir du carbone par la plante, bien mieux placée que lui pour l’extraire de l’atmosphère. Des plantes qui forment donc avec leurs copains champignons d’inextricables réseaux interconnectés. Et qui ne peuvent se développer que grâce à cette symbiose… sauf à en compenser l’absence par l’apport artificiel d’engrais minéraux.
De la « révolution verte » à l’agroécologie
Des engrais il est vrai capables de booster très facilement les végétaux : grosso modo, vous introduisez un minéral soluble dans le sol… et ça pousse. C’est l’idée déjà ancienne de la « révolution verte » : cultiver des variétés sélectionnées pour leur capacité optimale de production, à grand renfort d’engrais, mais aussi de pesticides, d’irrigation et de machinisme, tout en privilégiant la culture monovariétale à grande échelle.
Quel impact sur les sols, sur l’environnement ? A l’époque on ne se pose pas la question. Nous sommes dans les années 60, juste après les grandes famines. L’objectif est limpide : produire, en quantité. Une révolution qui n’a de vert que le nom ; coûteuse en eau, en produits chimiques et en pétrole, cette agriculture industrielle a de graves inconvénients, au premier rang desquels un appauvrissement de la biodiversité, pilier majeur de la sécurité alimentaire.
Imiter la nature
Les temps ont changé : les scientifiques en appellent aujourd’hui à une agriculture capable simultanément de nourrir les hommes et de respecter l’environnement. Première loi de cette « agroécologie » : « intervenir le moins possible ! Et appliquer les processus biologiques naturels – ceux qui sont à l’œuvre dans une forêt. Par exemple, réintroduire un couvert végétal en replantant des arbres ; favoriser l’action de la microflore du sol (champignons mycorhiziens, bactéries fixatrices d’azote…) ; ou encore valoriser les capacités symbiotiques des plantes entre elles ».
Une approche aussi humble que pragmatique. « On essaie d’observer des pratiques traditionnelles bien adaptées aux réalités du terrain, pour aider à les optimiser. L’agriculture familiale a ainsi de nombreuses caractéristiques vertueuses : petites surfaces, espèces endémiques et cultures polyspécifiques, savoir-faire locaux et faible irrigation… Si l’on veut assurer la sécurité alimentaire dans les pays en voie de développement, elle propose clairement un modèle d’avenir », précise Robin Duponnois.
* Une mycorhize est le résultat de l'association symbiotique entre des champignons et les racines des plantes.
Oasis souterraines
« Dans une seule cuillère à café de terre de votre jardin, il peut y avoir plusieurs millions d’organismes vivants », révèle Tiphaine Chevallier, du laboratoire Eco & Sols. Les sols sont composés d’argile, de limon, de sable. Mais pas uniquement : on y trouve aussi l’eau, l’air,… la vie ! Si le minéral y prédomine, la matière organique entre aussi dans la composition de ce vivant cocktail vulgairement nommé terre. Une matière organique recyclée pour les plantes par d’innombrables habitants souterrains (microorganismes, mais aussi microfaune : protozoaires, tardigrades ou acariens, macrofaune : cloportes, vers de terre, iules…). Des organismes qui assurent le bon fonctionnement du sol et produisent les nutriments vitaux pour les végétaux : azote, phosphore ou encore potassium. Ces oasis de vie sont aujourd’hui en danger : chaque année, dans le monde, dix millions d’hectares de terres arables sont perdus à cause de la désertification. Une menace qui pèse directement sur la vie de 480 millions de personnes.