Retours du Jeu dans tous ses états à l'Atelier Canopé 31
Publié par Célia Blancou, le 8 juillet 2019 3k
Qu’il soit appelé “jeu” par les enfants ou qu’il se cache sous le statut de “loisir” pour les adultes, nous jouons tous. Divertissant, libérateur, captivant ou même frustrant, le jeu peut aussi servir d’outil de médiation pédagogique, thérapeutique ou encore éducative. C’est précisément ce dont il a été question lors de l’après-midi “Le jeu dans tous ses états”, organisé par l’Atelier Canopé 31. À Toulouse, par 39° la journée du mercredi 26 juin, je suis allée participer à la conférence “Les vertus du jeu pour des médiations pédagogiques, éducatives et thérapeutiques” tenue par Vincent Bidault, ainsi qu’aux divers ateliers qui l’ont suivie. Une journée très riche que je vous partage ici !
“Les vertus du jeu pour des médiations pédagogiques, éducatives et thérapeutiques”, conférence par Vincent Bidault.
Vincent Bidault est infirmier en pédo-psychiatrie et est actuellement conseiller technique santé pour la protection judiciaire de la jeunesse. Mais avant ça il était surtout, étant ado, un très gros joueur ! Capable de jouer aux jeux de rôle des heures durant, c’est son propre goût pour le jeu qui l’a finalement amené pour son mémoire, il y a 15 ans, à se pencher sur la question du jeu vidéo chez les adolescents.
La définition du jeu : le jeu du mot
Mais d’abord, qu’est-ce qu’un jeu ? En français, il n’existe pas de définition exacte de ce qu’est le jeu, de ses limites : on sait ce qu’il n’est pas, mais il est très difficile d’exprimer avec précision ce qu’il est. Intuitivement, nous l’associerions systématiquement au plaisir. Mais alors qu’en est-il des échecs, dont la pratique n’en déclenche finalement que très peu ? Vincent Bidault explique alors que cette association est typique de notre société actuelle, et c’est justement du fait de cette définition vague mais machinale que n’importe quoi devient un jeu commerciable : Toutou Rista, Médor Pète-Fort ou autres Délir’O Toilettes ; et qu’à l’inverse, un jeu tel que Dixit, aujourd’hui succès incontestable en France (et ailleurs), aura eu toutes les peines du monde pour se faire éditer car considéré comme outil thérapeutique.
Concrètement, le sens du mot “jeu” en français désigne trois choses bien distinctes selon Winnicott (célèbre pédo-psychiatre et psychanalyste) :
L’objet matériel : un plateau, un ballon, des dés…
Le “game” : ce sont les règles du jeu, ce qui permet de l’inscrire dans un cadre, une structure.
Le “play” : c’est-à-dire le jeu auquel on joue quand on joue. Plus clairement, il s’agit de la dimension créative que l’on apporte au jeu, au-delà des règles et des consignes.
Mais dans la pratique, qu’est-ce qui est jeu ? Vincent Bidault le définira comme étant une activité :
LIBRE : un enfant (ou un adulte !) a le droit de dire non. Si on le force, ça n’est plus un jeu ;
SÉPARÉE : en termes d’espace (dans un coin jeu, sur une table, etc.) et de temps (il n’a pas de conséquence sur le reste de la vie des joueurs) ;
À L’ISSUE INCERTAINE : on ne sait ni qui va gagner, ni ce que l’on va vivre durant la partie ;
IMPRODUCTIVE : à la fin du jeu, on ne produit rien ;
RÉGLÉE : il doit y avoir des règles (attention toutefois à ce qu’elles ne soient pas trop complexes : en 5 minutes, on doit pouvoir commencer à jouer) ;
FICTIVE : on se trouve dans un autre monde où les codes ne sont plus les mêmes (on peut simuler un pistolet avec ses doigts sans que cela ne soit perçu comme une agression ou une provocation, par exemple) ;
FRIVOLE : ce monde n’a pas de lien avec le réel.
Les différents types de jeu
Malgré toute la frivolité qu’il évoque, le jeu reste une discipline qui a ses codes et ses classements pour les professionnels. On parle des normes COL (Classement Objet Ludique) ou ESAR pour référencer les différents types de jeu ; notamment très utilisées dans les ludothèques. Concernant la norme ESAR (la plus récente et la plus utilisée), les jeux sont rangés comme suit :
- Les jeux d’Exercice (les jeux sensoriels, de manipulation, d'action-réaction...)
- Les jeux Symboliques (les jeux de rôle, production graphique, simulation virtuelle...)
- Les jeux d’Assemblage (les jeux de construction, agencement, montage scientifique...)
- Et les jeux de Règles, (les jeux d'association, stratégie, hasard, énigmes, les questionnaires...)
Toutefois, comme le précise le conférencier, un jeu trop parfait (comme un très beau camion de pompier, par exemple) est un jeu dont on ne peut faire qu’un seul usage. Or, un des intérêts et des mécanismes de base du jeu est la créativité, et il faut pouvoir autoriser les enfants à détourner les usages premiers des objets pour les encourager à créer et s’exprimer. Pour citer totalement Vincent Bidault,
le jeu n’est pas dans l’objet, mais dans l’usage qu’on en fait.
Pourquoi un enfant joue-t-il ?
Le plaisir que prend un enfant à jouer est le moteur de son activité, mais que lui permet concrètement le jeu ? Dans la pratique, le jeu devient un objet médiateur qui facilite le processus de développement de l’enfant, et lorsqu’il joue, il :
Peut exercer sa souveraineté : c’est lui qui est maître de son action, et c’est l’occasion pour lui de s’autoriser à l’expérimentation ;
Est en recherche d’affirmation de soi : qui il est, ce qu’il peut faire… et tout cela sous le regard de ses parents, dont la validation dépend fondamentalement ;
Recherche des repères : il se forge un idéal pour savoir vers quoi tendre ;
A également besoin de repartir dans des repères temporels (d’où les succès indémodables des périodes médiévales et des châteaux forts, ou des iconiques marelles, par exemple) ;
Anticipe et se prépare au monde des adultes : il construit son identité, développe son intelligence, sa concentration, sa motricité et sa représentation corporelle. Il apprend également la vie en collectivité à travers le respect (de l’autre, des règles), le fait de devoir ranger ensuite, etc. Enfin, c’est aussi une occasion de s’ouvrir sur le monde d’une part grâce aux jeux qui favorisent le groupe et la mixité, d’autre part grâce à toutes les histoires et anecdotes qui peuvent se tisser autour du jeu en tant que tel (d’où vient-il, qui y jouait, qu’est-ce que cela nous rappelle, etc.).
À chaque jeu, sa médiation : focus sur le jeu de rôle et le jeu vidéo
Les jeux sont donc objets de médiation, sortes de facilitateurs, et peuvent être également des révélateurs de choses enfouies au plus profond des individus. Ce fut le cas par exemple pour un jeune enfant dont s’est occupé le conférencier : jouant aux petites voitures, il simulait systématiquement des accidents. À force de jeu et de dialogues, ils comprirent que c’était un lourd secret de famille qui lui pesait sur les épaules : alors qu’il venait de naître, ses parents biologiques sont décédés dans un accident de voiture, et ses parents adoptifs sont en fait sa tante et son oncle (de chaque côté de la famille) qui s’étaient mis en couple peu de temps après le drame. Une situation au schéma familial particulièrement complexe donc, finalement révélée par le jeu.
Le jeu de rôle
C’est précisément ce type de souffrances profondes que le jeu de rôle peut amener à révéler, et plus exactement grâce au psychodrame : il s’agit d’une thérapie au cours de laquelle le ou les patients sont plongés dans une situation conflictuelle et jouent un rôle défini qui vise à révéler leurs mécanismes de défense. Sur le même principe de jeu de rôle, Yapaka, un programme de prévention de la maltraitance à l'initiative du Ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles de Belgique, a créé le Jeu des 3 Figures. À destination des enfants, l’objectif du jeu est d’augmenter l’empathie pour réduire la violence.
Le jeu vidéo
Quant à lui, le jeu vidéo est un objet médiateur précieux qui souffre pourtant d’une réputation très peu avantageuse. Plus terrible encore, à travers le jeu vidéo ce sont souvent les adolescents qui sont visés et stigmatisés à tort, car la moyenne d’âge des joueurs se situe en réalité entre 37 et 38 ans. Les comportements déviants qu’on leur prête ne sont donc pas l’apanage de la jeunesse, et il n’existe pas non plus de confusion entre réalité et virtuel de leur part, comme on peut l’entendre souvent dans les médias. En fait, comme l’explique Vincent Bidault, les enfants savent très bien faire la différence. En revanche, les usages excessifs sont effectivement une réalité mais qui résulte toujours d’une rupture psychologique initiale : sentimentale, narcissique, ou qui trouve ses origines au travail. Ces ruptures sont alors des brèches par lesquelles les joueurs s’enfoncent. Malgré tout, utilisé de manière ordinaire, le jeu vidéo est un excellent objet médiateur dans bien des cas car il apporte beaucoup aux joueurs, notamment par exemple au niveau narcissique lorsque cela fait défaut à un individu : dans le jeu vidéo, par les compétences que le joueur acquiert, par son avatar ou ses objets distinctifs, il est reconnu.
La conférence terminant tardivement car très dense en informations et de fait particulièrement instructive, l’équipe de Canopé 31 n’eut que quelques minutes pour présenter sa nouvelle plateforme “Apprendre par le jeu”, un service d’accompagnement à l’utilisation du jeu en classe ou en périscolaire. Accessible via le site du Réseau Canopé, les enseignants et animateurs peuvent désormais accéder à des kits pédagogiques et une base de fiches téléchargeables sur différents jeux “grand public” qui peuvent être utilisés dans l’apprentissage du cycle 1 jusqu’au lycée.
Les ateliers : découverte de jeux de médiation pédagogique, thérapeutique et éducative.
À partir de 15h30, les inscrits aux ateliers de l’après-midi ont été répartis sur les différents étages des locaux de Canopé 31. Chaque participant s’était inscrit à 3 ateliers maximum qui tournaient ensuite toutes les 35 minutes. Afin de pouvoir voir le plus possible d’ateliers et ainsi avoir une vue d’ensemble complète sur la diversité des jeux-outils de médiation, j’ai pu me balader librement entre les ateliers pour noter et prendre en photo tout ce que je voyais d’intéressant. Plutôt que de faire une revue des ateliers un à un, voici mon retour par thème sur cette après-midi pour le moins ludique.
Lutter contre ou sensibiliser aux discriminations
5 ateliers étaient dédiés à la thématique des discriminations, avec trois types de discriminations majeures : le handicap, les inégalités sociales et le harcèlement. Parmi eux, on retrouve tout d’abord un jeu présenté par la MAIF dont l’ambition est de faire changer le regard sur le handicap et développer de meilleurs réflexes en adéquation avec les attentes et les besoins des personnes en situation de handicap. Pour cela, les joueurs évoluent par équipe sur un grand plateau et doivent répondre à des quizz, simuler des situations de handicap ou réfléchir à ses propres réactions pour espérer atteindre le finish avant ses concurrents !
Dans le même esprit de jeu de plateau, Science Animation a présenté son jeu “La course à l’égalité”, développée dans le cadre de l’exposition “Sommes-nous tous de la même famille ?”. Ici, les joueurs incarnent des personnalités célèbres qui connaissent une situation de discrimination (raciale, de genre, etc.) et qui se traduit par un handicap équivalent dans le jeu : un handicapé moteur n’a qu’un dé au lieu de deux, une femme ne doit pas surtout pas se tromper pour pouvoir avancer comme les autres, etc.
L’association Artemisia, spécialisée dans la promotion de l’égalité hommes-femmes était également présente sur cette journée pour présenter son jeu Egali’Care, un jeu coopératif visant à former les professionnels accompagnant du public à la question de la parité de genre ; ainsi que dans un deuxième atelier présentant deux jeux de sociétés réalisés par des collégiens traitant de ces mêmes problématiques. Je n’ai malheureusement pas pu assister au premier qui n’avait lieu que sur les créneaux de début d’après-midi, et je suis tristement arrivée bien trop tard sur le second pour pouvoir voir de mes propres yeux les créations des jeunes adolescents.
J’ai tout de même pu assister à la présentation du jeu proposé par la MAE qui vise à sensibiliser les élèves du cycle 3 et 4 au harcèlement sexiste, sexuel et homophobe. Le jeu de plateau recense des situations de harcèlement pour amener les jeunes joueurs à échanger autour de ces attitudes et à approfondir leurs pensées avec l’enseignant. L’objectif est de les faire s’exprimer, les faire réfléchir à des réponses et solutions, et à prendre position sur chaque situation de harcèlement exposée.
Gérer et aider les troubles d’apprentissage ou émotionnels
Le premier jeu de cette thématique s’ouvre sur les troubles dys (qui regroupent la dyslexie, dyscalculie, dysphasie etc.) et le jeu proposé par Apedys. L’association, dont la mission est de former et informer les parents et professionnels du monde éducatif, est venue proposer un jeu de l’oie pour sensibiliser et changer le regard les élèves vis-à-vis des troubles d’apprentissage. Pour cet atelier également, je n’ai pas recueillir d’informations car arrivée à la fin de sa présentation.
Un autre atelier s’est également penché sur la question des dys, et plus particulièrement sur la dyscalculie. Le “jeu 1,2,3” est un jeu réalisé par Clothilde Fonteret, étudiante en Design de Produit, qui vise à faciliter l’apprentissage des notions mathématiques aux enfants dyscalculiques. Lui-même composé de 3 jeux (“1”, “2” et “3”), il est le fruit d’un véritable travail de designer que les intervenants ont pu nous présenter en partie : l’état de l’art établi, le très complet cahier des charges qui en a découlé, etc. Aussi, la difficulté monte crescendo entre les 3 jeux, allant de l’aide à la représentation concrète des chiffres, à l’écriture et jusqu’à l’appropriation complète du principe de calcul simple au travers du loisir, via un parcours sportif.
Plus loin, c’est un atelier très particulier que je retrouve : les jeux d’improvisation. L’improvisation théâtrale est un excellent moyen pour stimuler la cohésion de groupe, la réactivité et surtout la communication entre les participants. En j’en veux pour preuve les quelques minutes de la fin du dernier atelier auquel j’ai pu participer : dans une bonne humeur palpable, tous les participants enchaînent par deux des scénettes d’improvisation de 45 secondes, boostés par un intervenant plus qu’énergisant !
Enfin, toujours dans le travail des émotions, Vincent Bidault, qui nous tenait la conférence plus tôt dans l’après-midi, tenait également un atelier pour son jeu Feelings. Utilisé par son créateur notamment comme outil de médiation auprès d’adolescents aux pensées suicidaires, le jeu de cartes aux inspirations “Dixit-iennes” est un jeu évolutif en partie disponible sur internet et à destination de n’importe quel élève. Le jeu met en place des situations de la vie courante, et les joueurs, par équipe, doivent se projeter et deviner les émotions de leur partenaire. En définitive, ils échangent autour de leurs opinions et ressentis dans une dynamique d’empathie mutuelle.
Apprendre par le jeu
Pour la suite de ce tour des ateliers, je me suis rendue quelques minutes aux stands de Canopé, qui présentait pour l’occasion deux jeux autour de l’image : “Pause Photo Prose” et “Les Mots du Clic”, et toute une ribambelle de jeux de plateau sur la thématique du conte.
“Pause Photo Prose” est un jeu à la croisée de l’éducatif et de l’oeuvre d’art. Disponible pour 150€, le jeu est une véritable banque d’images de photos célèbres (d’où le prix, relatif aux droits d’auteur) et moins célèbres, qui permet non seulement une ouverture dans le domaine de l’art, mais également un questionnement sur l’origine des photographies et leur polysémie. Concernant le jeu “Les Mots du Clic”, je n’ai pas pu assister à sa présentation, toutefois j’ai pu comprendre que ce jeu d’observation et de réflexion cache un formidable moyen d’acquérir un vocabulaire très riche dans l’analyse de l’image. Les participants autour de la table étaient en tout cas conquis !
De l’autre côté du bâtiment, l’atelier dédié aux jeux sur la thématique du conte était également particulièrement animé ! Je ne suis pas arrivée au meilleur moment pour pouvoir capter l’intérêt de chaque jeu et vous le retranscrire dans cet article, mais je vous laisse cependant dans la pièce jointe associée à cet article le Catalogue Edu’Jeux réalisé par l’Atelier Canopé 31, qui liste tous les jeux disponibles au prêt dans la structure, dont ceux présentés durant cet atelier !
Construire avec ses élèves
Cette catégorie (dans laquelle j’aurais également pu présenter le travail d’Artemisia et leurs collégiens) présente deux jeux bien différents.
Le premier est un atelier de jeu coopératif, présenté par une intervenante de l’OCCE (Office Central de la Coopération à l’Ecole). Comme son nom l’indique, le jeu coopératif implique la collaboration active entre tous les joueurs, et doit se suivre d’une pause réflexive sur les raisons du succès ou de l’échec dans le jeu ; une pause pour se demander si les joueurs ont bien coopéré ou non, ce qu’ils auraient pu ou dû faire. Pour mettre en pratique la théorie, les participants de l’atelier ont pu expérimenter un jeu coopératif, le crayon coopératif, et une image vaut mieux que mille mots :
Enfin, l’ultime atelier sur lequel je n’ai malheureusement pas pu passer beaucoup de temps non plus, se nommait “Mener un projet de création de jeux avec ses élèves” et présentait deux jeux (un jeu de société et un espace game) réalisés par une classe de CAP. Je n’ai pu voir que le jeu de plateau, malgré tout j’ai été fort étonnée de la complexité du jeu : particulièrement élaboré pour un jeu réalisé artisanalement par des jeunes, il mélangeait mimes, négociations pour faire des échanges de cartes, des épreuves du jeu du pendu, une évolution sur un jeu de plateau, etc. En bref, il est tout à fait possible de construire un vrai jeu avec ses élèves, car la créativité n’a pas d’âge !
C'est donc à 17h que la journée se termine. Un peu déçue de ne pas avoir pu assister convenablement à tous les ateliers (c'était malheureusement techniquement impossible : pour les voir tous, il fallait que j'y reste moins de 10 minutes !), je pars tout de même avec quantité d'informations précieuses. À retenir pour la suite : le catalogue Édu'jeux de l'Atelier Canopé 31 à télécharger en pièce jointe de cet article, et la nouvelle plateforme “Apprendre par le jeu” pour accéder à des kits pédagogiques et des fiches détaillées sur les jeux comme outil de médiation.