Retour sur l'apéro #2 des Brasseurs de sciences : "Les sciences en débat"
Publié par Audrey Bardon, le 2 novembre 2017 2.8k
Lundi 16 octobre 2017, dans le chaleureux bar L’Estaminot. Une trentaine de Toulousains investis dans la culture scientifique échangent, argumentent, objectent. Tous sont réunis ce soir-là autour d’un sujet commun : comment animer un débat science-société ? Voici la synthèse du 2e apéro des Brasseurs de sciences, toujours aussi instructif.
A cette occasion, trois intervenants sont venus partager leurs expériences en débat, complétés par les remarques de l’auditoire.
Laurent Chicoineau
Fraichement arrivé à Toulouse, Laurent est aujourd’hui directeur du Quai des Savoirs, après avoir quitté ses fonctions de directeur de la Casemate à Grenoble. Il a longtemps participé à l’organisation de débats, et plus particulièrement dans le cadre du débat public national sur les nanotechnologies lancé en 2009. Une aventure périlleuse, durant laquelle de nombreux détracteurs sont venus perturber violemment les échanges.
« Certains se positionnaient dans la salle, cachés parmi le public et se mettaient, d’un coup, à applaudir. Le public suivait, sans se rendre compte que c’était un stratagème pour empêcher les intervenants de débattre. On a passé tout le débat comme ça ! »
« Souvent, avec les débats, on renforce les antagonismes. A la fin, ils se disent « J’avais bien raison de penser ça ! » ; on conforte les gens dans leur apriori. »
« Les intervenants surjouent très souvent leur rôle. On assiste à une sorte de comédie humaine. »
« Dès qu’il y a un problème, on se dit « bon, bah, on va faire un débat ». […] Pour les politiques, c’est plus une étape obligée d’un processus qu’un véritable moyen de faire avancer un projet. Mais ce n’est pas parce qu’on fait un débat qu’on est dans la démocratie ! »
« Dans un débat, on demande aux gens d’être pour ou contre, alors qu’une opinion, c’est une échelle de gris. On a donc décidé de changer le format, et de partir plutôt sur des ateliers de créativité. Les participants devaient imaginer des scénarios d’usage sur le thème « Des nanos dans notre vie ». »
« En France, dans un débat, il faut que ça fight ! »
Marlène Stricot
Marlène est quant à elle Chercheure-associée au Laboratoire d'Études et de Recherches Appliquées en Sciences Sociales, ainsi que Responsable Recherche, Évaluation et Formation au Quai des Savoirs. Précédemment, elle était chargée de projets au sein du festival de culture scientifique La Novela. Son défi de l’époque : repenser le format de débats sur des controverses.
« Le plus important pour nous était que le débat fasse œuvre de médiation scientifique. »
« On a porté une grande attention à la place du citoyen, afin qu’il soit libre d’être dans la posture qu’il souhaitait. Certains veulent juste observer. »
« Il est important de décomplexer le public face aux experts. »
« Nous avons fait appel à un facilitateur graphique qui traduisait en dessin les échanges. Une quarantaine de personnes ont ensuite discuté autour de la fresque, même des gens qui ne s’étaient pas exprimés. »
« Le plus gratifiant, c’est lorsque beaucoup de personnes dans le public participent et qu’ils restent après le débat pour prolonger les échanges. »
Antoine Doré
Antoine est sociologue à l’Inra, a participé à la construction d’un débat scénarisé autour des loups, « le Tribunal du loup » (1), durant lequel le public jouait le rôle des avocats, et des experts intervenaient comme témoins.
« Je suis très sceptique face aux débats. Je crois plutôt au « pragmatisme » américain [selon lequel les idées ne sont pas vraies ou fausses, elles sont utiles ou non]. Avec le débat, on remet en scène des rapports de force. »
« Il ne faut pas tenter de régler le conflit. Il y a des bons et des mauvais conflits. Certains peuvent être constructifs. »
« Il faut placer le public en état d’enquête, et non de simple suivi. »
« Il faut amener le sujet par la pratique, le retour d’expérience, et non l’opinion. Ça désamorce le côté idéologique. »
« Il ne faut pas faire changer d’avis sur un sujet, mais sur les opposants. »
« On croit que la science et la technique peuvent lutter contre l’idéologie. C’est faux ! Il faut revenir dans le vécu, l’usage et l’empathie. Faut que le discours soit incarné. »
Au final, quelques conseils :
- En fonction de notre objectif, le débat peut être, ou ne pas être, une bonne solution. Le débat n’est pas forcément le meilleur moyen de convaincre. Par contre, c’est un excellent outil pour de la médiation auprès de jeunes, pour leur apprendre à se construire une opinion et à argumenter.
- Il y a une forme de « pédagogie par le débat ». Beaucoup viennent pour apprendre, sans s’exprimer. Il faut leur laisser ce positionnement.
- Pour préparer un débat, il est important de réaliser une cartographie des enjeux et des acteurs concernés. Et il est essentiel que le modérateur maitrise le sujet.
- Quelques idées pour de bonnes conditions : limiter le nombre d’intervenants ; placer les experts au même niveau que le public, dispersés dans la salle ; éviter les scènes ; se doter d’une trame d’animation tout en laissant un maximum de liberté aux intervenants ; un rendu graphique affiché permet de prolonger le débat.
- Quelques formats ont été évoqués. Julie Dumond, de Délires d’encre, anime très souvent des débats avec des jeunes, en partant d’un livre lu avec eux. Puis elle leur propose un débat mouvant, avec plus de 2 positionnements possibles, en les invitant à argumenter. Un autre participant faisait faire des débats en petits groupes, sans experts. Les idées émergentes leur étaient ensuite soumises. Autre idée : le théâtre forum durant lequel le public joue une scène.
- Il est important de pousser chaque partie à se mettre à place de l’autre. Par un jeu de rôles par exemple. Ou en leur faisant écrire des fictions.
Après cet échange passionnant, place aux pitchs de projets.
Etienne Roussé et ses projets de radios scientifiques
Investis dans plusieurs associations, dont les Petits Débrouillards, Etienne a lancé deux webradios scientifiques sur Radio Mon Mirail : « Les Sciences du Mirail », faisant intervenant des spécialistes sur un thème, avec en fond sonore des musiques qu’ils apprécient ; et « Archéo mon amour » pour laquelle les spécialistes qui interviennent doivent amener des musiques parlant d’amour. Pour info, il recherche des bénévoles !
Le collectif d’étudiants Students Ex Machina et le colloque « L’être humain face aux technosciences ».
Ce collectif a pour but de réfléchir sur des questions éthiques et technologiques. Durant ESOF 2018, ils prévoient d’organiser un colloque grand public durant lequel ils présenteront leurs projets étudiants et proposeront des débats. Ils préparent un débat sous forme de jeu de rôles avec des cartes qu’ils présenteront dans la rue durant le festival grand public Science in the city.
Pour en savoir plus :
(1) Loups et élevages : une coexistence « compromettante » et Faire politique avec les animaux. Négocier avec des loups