Redonner le goût des sciences en changeant la façon d'enseigner, 2e partie
Publié par PLISKINE ROBERT, le 5 mars 2024 520
Après la question "Pourquoi ?" voici "Comment ?" . "Comment ça marche ?", hommage transparent à un animateur scientifique célèbre de la télévision.
L' Histoire des Sciences est truffée d'anecdotes plus ou moins authentiques sur un incident mineur à l'origine d'une grande découverte. La pomme n'est tombée sur la tête de Newton que chez l'humoriste Gootlieb, mais si tout le monde - même les bébés qui refont cette expérience des dizaines de fois sans se lasser - a observé que, quand on lâche un objet, il tombe, tout le monde n'en a pas déduit la Loi de la Gravitation Universelle. De même, j'ai du mal à croire que l'étudiant danois Oersted distrait ait pu remarquer la très faible déviation d'une boussole à proximité d'un courant très faible, mais plutôt qu'il ait "tenté le coup pour voir". De même, alors que tout le monde a observé la foudre depuis le début de l'humanité, il a fallu un Benjamin Franklin pour se poser la question de sa nature ("Pourquoi ?") et en imaginer l'expérience qui en a déterminé la nature ("Comment ?").
Le point commun à tous ces événements est que des choses courantes et observées des miliers de fois aient excité la curiosité d'un être apte à en tirer un sujet de recherche.
Pour commencer, je vais céder à mon "vice préféré" : tordre le cou à une idée négative trop répandue : "La recherche, à quoi ça sert ?". Question posée par ceux qui détestent qu'on dépense leur argent à des choses qu'ils ne comprennent pas. A rapprocher (méchamment !) de la question d'un Inspecteur des Impôts du Cher qui, en voyant les sommes énormes que je dépensais en Recherche et Développement alors que j'avais déposé 8 brevets d'invention : "Pourquoi continuez-vous à chercher alors que vous avez déjà trouvé ?" Authentique. Hélas.
Alors je réponds "La Recherche Pure, ça ne sert à rien. A part bien sûr à satisfaire ce besoin vital de l'Humanité de savoir plus, et d'aller plus loin. Et, accessoirement, par le biais de la Recherche Appliquée, à améliorer la vie en résolvant les problèmes." Entre la question des Grecs antiques "Pourquoi un morceau d'ambre frotté attire-t-il des fils et des cheveux ?" et notre vie quotidienne où des appareils électriques viennent à notre aide pour toutes nos activités physiques et intellectuelles, il y a des milliers de curieux qui ont étudié le phénomène pour en connaître la nature et les effets, et des milliers d'esprits pratiques qui ont mis en relation des problèmes à résoudre (comment produire des quantités d’électricité ? comment s'éclaire, se chauffer ? comment obtenir un moteur ? comment calculer vite ? comment obtenir de nouvelles espèces chimiques ?) avec les propriétés découvertes sur ce phénomène (électrostatique, électrodynamique, électromagnétisme, électrolyse, semi-conducteurs) : on les appelle les inventeurs.
Comme les inventions pratiques (toutes ne le sont pas, voir le « Catalogue des objets introuvables » de Carelman, chef-d'œuvre d'humour) ont des applications industrielles créatrices d'immenses richesses, on pourrait dire en court-circuit (pour l'électricité ?) que la Recherche Appliquée, via les inventions, finance la Recherche Pure qui n'est qu'un besoin, intellectuel mais viscéral (?) de l'espèce humaine. Quand sont apparues les inventions du Français Gaston Plante qui a inventé l'accumulateur, ou du belge Zénobe (ça ne s'invente pas !) Gramme qui a inventé la dynamo, pouvait-on imaginer qu'elles permettaient toute l'industrie électrique, des centrales aux véhicules électriques ? Alors disons : "La Recherche Pure, ça ne sert peut-être à rien de pratique, mais sait-on jamais ?".
Où fait-on de la Recherche ? Bien sûr, dans le cerveau des chercheurs. Mais encore faut-il leur fournir des moyens de travailler et, comme ce ne sont pas de purs esprits, des moyens de subsistance. D'où une séparation (purement théorique) des fonctions :
- A l'Université et aux organismes publics genre CNRS ou INSERM, organismes de développement intellectuel désintéressés, la Recherche Pure
- A l'Industrie, organisation destinée à réaliser des choses en en tirant profit, la Recherche Appliquée.
D'où la constitution du Jury du Salon International des Inventions et des Nouvelles Technologies de Genève, composé de Professeurs d'Universités chargés de vérifier la cohérence théorique des inventions proposées, et d'Industriels chargés de voir si des applications pratiques pourraient être créatrices de richesse en résolvant des problèmes pratiques. A ce titre, la première médaille d'or attribuée au premier Salon fut pour le "Velours Crochet", marque déposée Velcro. Une inspiration inattendue. En 1941, au cours d'une promenade dans les bois, l'ingénieur et inventeur suisse Georges de Mestral fut intrigué par les capitules de plantes uniques, les bardanes, qui étaient restées accrochées aux poils de son chien. Combien de gens se promenant en forêt avaient déjà observé un tel phénomène sur leurs habits ? Mais lui s'est penché sur le phénomène et comme il avait les compétences d'ingénieur nécessaires, il a créé le Velcro. Ce qu'on appelle "sérendipité", capacité, aptitude à faire par hasard une découverte inattendue et à en saisir l'utilité (scientifique, pratique) d’où sa définition officielle : l'art de découvrir ou d'inventer en prêtant attention à ce qui surprend et en imaginant une interprétation pertinente. C'est un beau raccourci entre l'étude d'un objet ou phénomène naturel et une invention tellement pratique qu'elle s'est répandue partout.
Ce dualisme indispensable entre la théorie et la pratique fait qu'en réalité nombre de chercheurs doctorants sont financés par l'Industrie, ce qui est gagnant-gagnant car l'industrie met des moyens techniques et financiers considérables au profit des moyens intellectuels du chercheur, et les résultats pratiques des retombées de ces recherchent financent l'industrie. Mon expérience professionnelle m'a prouvé qu'on fait beaucoup plus de recherche dans l'Industrie qu'à l'Université, même si elles sont différentes car leurs buts et leurs moyens sont différents.
Se rappeler par ailleurs que de grands projets qui semblaient très abstraits, comme aller sur la Lune au prix de moyens humains et matériels dépassant l'imagination du commun des mortels, avaient en réalité pour but une démonstration de force militaire pour les USA, et comme résultat la création de toute la micro-informatique et de l'industrie des satellites artificiels dont les applications quotidiennes civiles ne cessent de se développer (météo, télécommunications, GPS, logistique...).
En conclusion, je professe (on ne se refait pas) que, pour développer une nouvelle génération de scientifiques, mieux vaudrait leur montrer les passionnantes applications de la Science, leur raconter l'Histoire de ces milliers de passionnés qui l'ont développée, pour les pousser à étudier les travaux qu'ils ont faits et les Lois qu'ils en ont tirées, plutôt que l'inverse comme actuellement. Quoiqu'une certaine tendance se manifeste dans le bon sens comme, par exemple, au lieu d'étudier de façon abstraite l'équation différentielle de la charge/décharge d'un condensateur puis en montrer comment elle s'applique dans le défibrillateur, partir du défibrillateur que la plupart des gens connaissent et en analyser le fonctionnement grâce aux équations différentielles.