Redonner le goût des sciences en changeant la façon d’enseigner
Publié par PLISKINE ROBERT, le 4 mars 2024 470
Note préliminaire : cette étude est le résultat d’une vie passée dans les milieux scientifiques, une carrière d’ingénieur en haute-technologie suivie par une carrière d’enseignant des sciences.
L’auteur remercie d’avance tous ceux qui voudront bien la commenter, la critiquer ou l’aider, par leurs questions, à la développer. Adresse mail : servidom09@orange.fr
Le problème : dans un monde de plus en plus scientifique et technique, une proportion toujours plus insuffisante de la population en domine les bases pour bien utiliser les outils, comprendre leur fonctionnement, et éviter pour toute nouvelle technologie de se faire avoir par des margoulins qui en profitent pour vendre n'importe quoi, à n'importe qui et à n'importe quel prix. Ou de tromper par des titres ronflants comme « L’intelligence artificielle » qui n’est pas à proprement parler une forme d’intelligence mais de restitution organisée de connaissances introduites d’abord dans le système.
Dernier exemple qui a déclenché chez moi la nécessité d'écrire cet article : une publicité pour une voiture hybride (essence + électrique) : "Le plaisir de l'électrique sans la recharge". En insistant sur le principal problème de la recharge des batteries des voitures électriques (problème réel mal résolu), le constructeur de ce véhicule hybride dont la qualité et les performances ne sont pas en cause tente de tromper le client en utilisant un argument vrai, légal, mais plus que tendancieux. Il est évident qu'on n'a pas besoin de recharger en électricité une voiture hybride puisque sa source d'énergie est l'essence. Ce qui transfère le problème des bornes de recharge et/ou des accus avec un prix modéré de l'électricité au problème du prix des carburants. On ne résout pas un problème, on le transfère.
Ce procédé légal mais déloyal sur le fond ne peut prospérer que parce que la plupart des gens n'ont pas compris le fonctionnement d'une voiture hybride faute des connaissances de base en physique (électricité comme f.e.m. et f.c.e.m., mécanique comme couple, vitesse de rotation...) et en chimie (réactions comme combustion, rendement d'une réaction...). Voir mes articles concernant les véhicules hybrides.
Normalement, toutes les connaissances nécessaires ont été acquises avant même le niveau de Bac, qui est pourtant devenu très faible. Et pourtant elles ne le sont pas. Alors que faire, sinon se lamenter ?
Le développement scientifique s'articule autour de 2 questions : "Pourquoi ?" et "Comment ?".
Toute découverte scientifique commence par la question "Pourquoi ?", que chacun ou presque se pose devant une chose nouvelle ou inattendue, mais qui ne devient un objet de progrès scientifique que si la personne qui se la pose additionne une curiosité poussée (aller au-delà de la simple question et y réfléchir) ET des connaissances de base acquises lors de sa scolarité. Par exemple, tout le monde a constaté que la couleur du ciel est changeante, il suffit de regarder. Mais j'avais perturbé mon instituteur en CM2 en lui demandant : "Pourquoi le ciel est bleu le jour, rouge ou orangé le soir et noir la nuit ?". S'il m'a fallu attendre d'être en Maths Spé pour avoir la réponse, j'avais déjà provoqué la réaction dudit instituteur qui, devant une telle question posée par un gamin de 8 ans, a déclaré "Un futur scientifique". Il avait raison. En effet, l'esprit scientifique commence avec la curiosité ("pourquoi") et la faculté de préciser la question.
Pour développer l'enseignement des sciences, il faut d'abord développer la curiosité qui, pour être satisfaite, va provoquer une demande d'enseignement. Mais pour développer la curiosité, qui est due à une initiative de l'élève, alors que par la TV, Internet et les réseaux sociaux, il a davantage l’habitude d’absorber de l’information prête à consommer et pas forcément fiable, il faut cesser de lui faire ingurgiter des connaissances prédigérées comme le fait l'enseignement classique. Par exemple, au lieu de faire tomber du ciel la loi de Joule en électricité, il faut allumer une lampe à incandescence (pendant qu'elles existent encore...) et initier la discussion par une question "Qu'observez-vous ?". La réponse devrait être : la lampe brille et chauffe. Et la question à obtenir : "Pourquoi cette lampe brille-t-elle quand on la branche ? Pourquoi chauffe-t-elle ? Y a-t-il un rapport entre le fait qu'elle brille, qu'elle chauffe et surtout qu'elle chauffe quand on la branche ?" Ce qui débouche sur une explication par l'enseignant et l'énoncé des Lois de Joule et de Wien. En fait, c'est suivre le déroulement de l'histoire des sciences, partir de l'observation d'un fait et en chercher l'explication, plutôt que d’annoncer la loi de Joule P = U I ² et en donner comme exemple de conséquence le chauffage du filament de la lampe.
En pratique, l'Histoire des Sciences est la voie royale pour que la connaissance des élèves suive le même chemin que la pensée du chercheur et aboutisse naturellement à la même conclusion de principe, même si la formulation mathématique est fournie par l'enseignant.
Encore faut-il que l’enseignant connaisse l’Histoire des Sciences et soit motivé pour la raconter, alors que c’est passionnant.
Comment faire ? C'est plutôt simple : aller faire les cours à l'extérieur des salles classe, dans les musées scientifiques. Il y en a de nombreux en France, à commencer par deux essentiels à Paris, et qui valent le voyage : Le "Palais de la Découverte", où des expériences impossibles à voir ailleurs, souvent spectaculaires comme l'électrostatique, sont le prétexte à des questions posées par les médiateurs pour susciter des questions des spectateurs, auxquelles le médiateur répond. L'autre musée impressionnant est celui des Arts et Métiers, musée de l’Histoire des Sciences, où sont exposés, avec leur Histoire, les outils, appareils et prototypes qui ont permis les grandes découvertes. Se retrouver dans le Laboratoire de Lavoisier, face aux appareils qui lui ont permis de fonder la Chimie scientifique, est une expérience inoubliable. Ou la chambre à fils de Charpak, ou les machines arithmétiques de Pascal, ou le fardier de Cugnot (premier véhicule automobile), ou l'avion d'Ader...
"Une bonne expérience est celle qui pose plus de problèmes qu'elle n'en résout." (Jean Perrin)
Toulouse, capitale industrielle et scientifique, a son " Quai des savoirs", qui met à la disposition de tous de quoi exciter leur curiosité et provoquer leurs questions .
Mieux encore, "La cité de l'Espace", unique en son genre, permet en quelques heures d'acquérir les connaissances de base de l'astronautique en rendant intéressantes les lois de Newton et de Kepler. Sans oublier la possibilité de comprendre les reportages TV sur les progrès et les contraintes de l’astronautique. Pourquoi tous les satellites géostationnaires (télécommunications en particulier) sont-ils exactement à la même altitude de 36 000 km ? Pourquoi un télescope spatial ? PPourquoi les vols interplanétaires sont-ils des spirales et non des lignes droites ? Pourquoi ne peut-on ni manger ni boire normalement en apesanteur ?
Et de susciter des vocations par le désir (et le bonheur !) d'apprendre.
Dans une seconde partie nous verrons comment passer du "Pourquoi ?" au "Comment ?" , de la recherche pure à la recherche appliquée, des Centres de Recherche Universitaires aux Centres de Recherche de l'Industrie, et répondre à la question que se posent aussi bien les curieux que les opposants à toute dépense en recherche pure "À quoi ça sert ?". Il suffit de visiter une usine comme Airbus ou un Laboratoire Pharmaceutique pour avoir la réponse.