Raisonner logiquement : coïncidence n'est pas corrélation.
Publié par PLISKINE ROBERT, le 25 mars 2024 380
Conclusions fausses d'un raisonnement juste : coïncidence n'est pas corrélation.
Suite à mes articles sur le raisonnement et la méthode scientifique, en cette période où sont publiées plus d'infox ("fake news" et "deep fakes") pour influencer les modes de pensées que de faits vérifiés et commentaires justifiés, j'estime qu'un complément est nécessaire.
En dehors même des falsifications grossières qui ne sont pas l'apanage des régimes autoritaires ou des propagandistes politiques, sociaux et/ou commerciaux, une des manipulations les plus courantes est de mélanger coïncidence et corrélation : prétendre que deux phénomènes ou deux faits simultanés ont une liaison logique et/ou de cause à effet, et en tirer une conclusion souvent malhonnête quand elle n'est pas due à une simple ignorance.
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Cédant à mon habitude d'illustrer mes idées par une blague, en voici une :
Le chef traditionnel d'un village africain complètement isolé mais où on a trouvé du pétrole (!) est invité en France par le maire d'un village pour signer un jumelage. Il est invité à un grand match de football.
A son retour, il raconte à son peuple.
"En France ils ont de grands sorciers. Le chef du village français m'a invité à une cérémonie religieuse traditionnelle avec le chef d'un autre village. C'est le culte de leur dieu, le football, auquel de très nombreuses personnes font des sacrifices de tout leur argent. On m'a dit qu'ils respectaient tous le même dieu mais d'une autre façon, et qu'ils se battaient pour la gloire de leur secte. Tout le monde s'est retrouvé dans un temple plus grand que le plus grand de nos villages ; on m'a dit qu'il y avait 100 000 fidèles. Comme je ne peux pas imaginer un tel nombre, on m'a dit que c'était plus que tous les villages que nous connaissons chez nous réunis en un seul lieu. Chaque village avait envoyé ses prêtres, chaque village avait sa propre tenue liturgique, très bizarre parce qu'elle laissait les jambes nues.
D'abord sont rentrés et se sont rangés à droite du temple les 11 prêtres du village qui nous invitait. Tous les fidèles de la partie gauche du temple se sont mis à crier un cantique, avec des mots très vilains, mais on m'a expliqué que c'était pour appeler le mauvais sort sur l'autre secte.
Ensuite sont rentrés et se sont rangés à gauche du temple les 11 prêtres de l'autre village, et tous les fidèles de la partie droite du temple se sont mis à crier un autre cantique, mais avec les mêmes mots de malédiction sur l'autre secte.
Alors est rentré le Grand Prêtre de cette religion, habillé comme les autres avec sa tenue liturgique qui montrait les jambes, mais lui était tout en noir. Tout le monde le respectait, je pense que c'était le grand sorcier.
Alors il s'est passé un miracle : le grand sorcier a sifflé... et il s'est mis à pleuvoir.
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Déjà, dans mon article sur les vaccins et les antivax j'avais noté cette attitude intellectuellement malhonnête.
Au cours d'une émission "Le téléphone sonne" sur France Inter, il y a longtemps mais c'est toujours d'actualité, il y avait une controverse entre un médecin "vaccinateur" et un "antivax" (le terme n'existait pas à l'époque) qui insistait sur les conséquences mortelles des vaccins qui introduisent des germes mortels dans l'organisme. Dialogue :
- Le médecin : " Vous avez raison, vacciner peut tuer. Il y a peu, j'ai vacciné par le BCG un jeune homme qui refusait obstinément pour des raisons religieuses. 10 minutes après il était mort."
- L'antivax : "Ah , vous reconnaissez vous-même que vacciner peut tuer !"
- Le médecin : "En fait, il était si furieux en sortant de chez moi qu'il a traversé la rue en courant sans regarder et s'est fait tuer par une voiture."
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En poussant jusqu'au bout cette volonté de confondre coïncidence et corrélation, certains vont jusqu'à inventer un phénomène pour justifier leur pseudo-raisonnement. Sans faire d'allusions aux légendes et religions car j'ai assez d'ennemis comme ça, voici une belle histoire sur la mort de Beethoven. Pour la légende il faut absolument qu'un génie artistique ne soit pas reconnu de son vivant et meure dans la misère et l'isolement. D'où ce récit de la mort de Beethoven.
Beethoven, malade, isolé de tous par sa surdité, se couche chez lui par une après-midi où le ciel menace d’un orage. Sentant venir sa fin, maudissant le destin injuste qui l'a accablé, il jette au ciel son poing menaçant, le Ciel répond par un coup de tonnerre et Beethoven retombe, mort.
Que c'est beau ! Mais totalement faux.
D'abord, les annales de Vienne indiquent qu'il faisait très beau ce jour-là. Ensuite, Beethoven n'était pas isolé : non seulement il était d'une immense célébrité et avait de fréquents visiteurs avec lesquels il conversait sur des petits carnets qu'on a conservés, mais ce jour-là il jouait au cartes dans un café, devant une bonne bière, quand il s'est effondré d'une "attaque" comme on disait alors. Probablement due à une cirrhose du foie à la fois héréditaire et due à ses propres excès. Lorsque la nouvelle de sa mort s'est répandue dans Vienne, plus de 10 000 personnes ont suivi son enterrement. Drôle d'isolement...
Dans un autre domaine, celui de la politique ou des activités sociales, il est fréquent de corréler deux faits exacts, en relation l'un avec l'autre, mais en omettant un fait intermédiaire qui est la véritable explication. Un exemple d'actualité : relation entre la profession exercée par une personne et son espérance de vie. C'est un grand sujet de débat. Il est incontestable que, statistiquement, l'espérance de vie d'un ouvrier - dont le métier est dur physiquement - est très inférieure à celle d'un cadre ou d'un membre d'une profession libérale et ceux qui ont une activité religieuse vivent en moyenne 4 ans de plus. Sources vérifiées. De là à conclure que, pour les ouvriers, c'est leur travail qui les tue prématurément et pour les religieux que c'est Dieu qui prolonge leur vie, il y a un pas que certains franchissent volontiers, et avec un tel élan que cela les mène très au-delà de la seule conclusion logique.
Pour vérifier si, ce qui est a priori concevable, les conditions de vie ont une influence sur sa durée, les conditions de travail ne sont pas les seules. Premier facteur : l'éducation et ses conséquences. Il est courant - mais pas impératif ou toujours vérifié - que les métiers les moins gratifiants humainement et financièrement soient exercés par des personnes dont le niveau d'instruction est le plus bas : si une formation supérieure est indispensable pour exercer des métiers où des compétences supérieures sont exigées, l'inverse n'est pas forcément vrai, et des métiers de faible qualification peuvent être exercés par des personnes hautement qualifiées pour de multiples raisons, allant du marché du travail aux accidents de la vie en passant par des raisons philosophiques ou morales personnelles (cas extrême : Saint-Vincent-de-Paul galérien). Mais le niveau d'éducation a des conséquences sur le maintien d'une bonne santé (éviter les comportements à risque - comme l'alcoolisme qui provoque 20 ans de perte d'espérance de vie chez les hommes russes - et se soigner à temps), et très souvent une intense activité intellectuelle évite de combler l'ennui d'une vie sans intérêt par des distractions dangereuses comme le tabac et/ou l'alcool, qui, elles, sont des facteurs de mort précoce. L'hérédité (surtout altérée par l'alcool et/ou les stupéfiants des géniteurs) a aussi une importance mais la victime n'en est pas responsable. Pour les religieux, il a été prouvé que la sérénité de leur vie emplie de certitudes rassurantes ou certaines pratiques comme la méditation peut l'améliorer et la prolonger.
En résumé, s'il est factuellement exact que les ouvriers ont une espérance de vie inférieure à celle des personnes exerçant des professions supérieures, il serait faux d'en conclure sans analyse détaillée des multiples causes de décès prématuré que c'est leur statut et/ou leurs conditions de vie intrinsèques qui est seule en cause. Une telle conclusion visant à en tirer des conclusions politiques et/ou économiques est intellectuellement malhonnête.
Le cas le plus grave est celui du domaine de la politique car ses conséquences sur les choix de vie, de société, via les décisions prises par les électeurs matérialisées par leurs votes sont très graves. Pour rester dans le domaine strict de la pensée scientifique, je ne citerai pas d’exemples politiques, chacun choisira ceux qu’il souhaite en fonction de ses choix, et ne porterai aucun jugement moral qui serait hors-sujet.
De quoi s’agit-il ? Quand surgit un événement de nature à influencer le raisonnement et les choix des témoins, directs (« témoins oculaires ») ou indirects (auditeurs et téléspectateurs), ses causes, son déroulement et ses conséquences sont multiples et de tous ordres, souvent additifs. Le plus commun est l'accident de la route, une collision entre 2 véhicules en marche, il va servir de base à mon raisonnement.
Les faits (en général objets d’un rapport de Gendarmerie) : 2 véhicules qui étaient en mouvement sur une route sont retrouvés immobiles et très endommagés suite à un choc. Les passagers sont plus ou moins blessés ou tués. Ces faits sont matériels, documentés et ne prêtent ni à controverse ni à contestation, ni surtout à interprétation.
Le problème commence avec la détermination des causes, question essentielle qui va déterminer les responsabilités (question juridique et économique) et surtout, et c’est là où on retrouve le sujet de cette étude : "Quelles conséquences va-t-on en tirer et quelles décisions seront prises ?". Les causes peuvent être matérielles (mécaniques - éclatement d'un pneu, défaillance de freins - ou technologiques - défaillance de l'ABS, du régulateur de vitesse –) et/ou humaines (malaise du conducteur, conduite sous psychotropes comme alcool ou stupéfiants).
Il est essentiel de distinguer coïncidence et corrélation car c’est ce qui aura comme conséquences des choix techniques et/ou économiques et/ou politiques pour en pallier les causes. Dans le cas de l’accident de voiture, la quasi-simultanéité de tous les éléments rend difficile cette distinction. Un exemple vécu : un court-circuit dans le moteur a déclenché un début d’incendie dans ma voiture alors que je conduisais. Une bouffée de fumée et de gaz toxiques sortie des évents de climatisation a envahi l’habitacle, me provoquant une forte gêne respiratoire. Heureusement grâce à mon bon état de santé j’ai pu la maîtriser et arrêter ma voiture. Sinon, il est probable que je me serais évanoui, et provoqué inconsciemment un accident qui aurait activé le feu. Le constat après accident aurait trouvé un conducteur évanoui et une voiture détériorée par le feu. Dans ce cas, quelle serait la cause primaire de l’accident et l’enchaînement des conséquences, et quelles décisions en tirer ? Si c'est le court-circuit, il faut revoir la sécurité électrique du véhicule et les conditions d’entretien et de réparation (en l’occurrence, ma voiture avait été mal réparée par un mécanicien qui affichait le logo de la marque alors qu’il en avait été radié !), si c’est le malaise du conducteur il faut revoir les conditions médicales d'attribution et de validité du Permis de Conduire, sujet d’actualité.
En conclusion, avant de tirer des conclusions d'une corrélation entre des faits simultanés ou proches dans le temps, il faut vérifier si d'autres faits ayant la même simultanéité ou proximité temporelle ne seraient pas une des causes, voire la vraie corrélation. C'est particulièrement important en une période troublée comme la nôtre, où on ne peut tirer de conclusion sur un fait sans avoir réfléchi sur le ou les fait(s) qui l'ont causé. Sinon, on risque que se faire manipuler, en toute bonne foi, par des acteurs mal intentionnés.
Ici encore , l'éducation au sens critique est le remède aux maux de l'humanité.