« En robotique humanoïde, on s'intéresse aux sciences du vivant » Philippe Souères, Directeur de Recherche au LAAS

Publié par Morgane Bouterre, le 2 mars 2017   4.6k

À la pointe de l’innovation, le laboratoire du LAAS - Laboratoire d'analyse et d'architecture des systèmes - présentait le 9 février 2017 le fruit de son nouveau projet de recherche : Pyrène, robot nouvelle génération. Zoom sur la recherche en robotique humanoïde.

La vision de la femme ou de l’homme ingénieux capable d’inventer une machine douée d’intelligence hante notre esprit depuis des siècles. Apparue il y a un peu plus de 60 ans, l’expression « Intelligence artificielle » s’étend largement dans notre société moderne au point d'être ancrée dans nos cultures. Selon l’ IRIT - Institut de Recherche en Informatique de Toulouse - il s'agirait « de réussir à donner à des machines des capacités leur permettant d'effectuer des tâches ou des activités réputées intelligentes (car jusqu'à présent uniquement réalisées par des humains) » . Cependant, une telle définition reste probablement encore imparfaite. Bien que l’association de ces deux termes, à la limite de la provocation, soit souvent interprétée de différentes manières, elle fascine tout autant qu’elle effraie. Les avancées technologiques en robotique restent donc intimement liées aux interrogations que suscite l’ « Intelligence artificielle ».

Pour tenter de clarifier les fondements de ce sujet sociétal, nous nous sommes rendus dans l’un des laboratoires de recherche français du CNRS, le LAAS et son équipe Gepetto qui soulève ces questionnements au travers de sa recherche en robotique sur les mouvements des systèmes anthropomorphes (1).

Rencontre avec l’équipe Gepetto du LAAS

Philippe Souères, Directeur de Recherche au LAAS et responsable de l'équipe Gepetto nous reçoit au cœur de la salle robotique du LAAS pour nous présenter Pyrène, le nouveau robot humanoïde récemment dévoilé à la communauté scientifique.

Rapidement devenue l’une des équipes phares en robotique humanoïde, Gepetto est reconnue mondialement pour sa capacité à créer des algorithmes régissant le déplacement de robot et la coordination des mouvements. Depuis 2006, c’est le robot japonais HRP2 qui lui servait de plateforme de recherche. Marcher, s’asseoir, porter un objet, ou encore danser en adoptant la méthode d'imitation sont autant de générations de mouvements que l’équipe de Philippe Souères a su développer sur HRP2.




Avancées technologiques obligent, l’équipe se lança récemment dans le développement d’une nouvelle génération de robot. Nombre de questions se sont alors posées :

« Doit-on faire un robot encore plus anthropomorphe ? Sommes-nous capables de nous rapprocher des mouvements humains ? »

Considérations faites, l’objectif de cette nouvelle plateforme est de pouvoir générer des mouvements plus dynamiques et plus puissants afin de pouvoir mieux interagir avec l’environnement.

« Nous souhaitons démontrer au niveau international que l’on a une avance sur la génération de mouvement. Nous avons souhaité créer un système robuste et fiable, qui exécute exactement l’ordre moteur qu’on lui envoie » souligne Philippe Souères.

Un robot humanoïde alliant robustesse, agilité et perception

Fabriqué par la société espagnole PAL Robotic, Pyrène est le premier modèle d’une nouvelle série de robots. D’une taille d’1.75m, il possède 32 mouvements articulaires indépendants et des pinces de préhension qui lui permettent de se servir d’outils.


©Olivier Stasse/LAAS/CNRS


Il est doté de moteurs électriques, de caméras stéréo à détection de profondeur et d’une centrale inertielle lui garantissant son équilibre. Pyrène est également équipé de capteurs de forces et de couples (2) lui permettant de percevoir et d'interagir avec son environnement.

Sa puissance de calcul et la force de ses moteurs le rendent plus rapide et vif que les générations antérieures de robots humanoïdes.

« Pour que ce genre de robot arrive à marcher, il faut que la commande de l’information sensorielle se renouvelle toutes les 5 millisecondes et on essaye de tendre maintenant vers la milliseconde. Ce qui conditionne des calculateurs très puissants. »





Une algorithmique s’appuyant sur les neurosciences

Philippe Souères nous confie avoir eu la chance de pouvoir approcher les neurosciences de près lors d’une immersion au laboratoire du CNRS CERCO - Centre de Recherche Cerveau et Cognition à Toulouse.

« Je me suis intéressé aux réflexes humains pour comprendre comment les retranscrire en robotique. On a de l’intérêt pour le vivant, mais il faut rappeler que ce n’est pas notre métier. »

Gepetto compose donc ses algorithmes en collaboration avec des spécialistes des sciences du vivant.

« Les organes sensoriels que nous possédons sont simplement des compteurs d’angles chez le robot. Ce sont des moteurs au lieu des muscles. Les capteurs de couple mesurent l’angle et la force au lieu des tendons et des faisceaux neuromusculaires. On travaille comme des ingénieurs s'intéressant à l’homme, mais notre métier consiste avant tout à résoudre un problème mathématique sur une machine. »


©Olivier Stasse/LAAS/CNRS


Pourquoi un aspect humanoïde ?

Tout comme n’importe quel robot ménager ou industriel, le robot humanoïde reste un système auquel on attribue une ou des applications. Philippe Souères insiste sur ce sujet en nous expliquant que la forme anthropomorphe est uniquement liée à l’application que l’on souhaite donner au système. « Il faut comprendre que plus nous souhaitons faire exécuter une tâche de manière fiable et répétable, plus on va chercher à faire un robot qui est dédié à cette tâche particulière. Je prends souvent l’exemple du lave-vaisselle qui va fonctionner comme un robot avec son application propre. C’est un robot qui perçoit, qui calcule et qui agit, mais qui n’a pas besoin d’être anthropomorphe car son application ne l’en oblige pas. C’est d’ailleurs un robot qui est entré dans toutes les maisons, car sa fiabilité et son besoin sont devenus incontestés . »

Tout dépend donc de l’application souhaitée. Si les avancées technologiques permettent de donner aux robots une forme de plus en plus humanoïde avec un potentiel adapté à sa morphologie et par conséquent aux tâches de l’homme, pourquoi ne pas aspirer à cela ?

Que ce soit dans l’industrie ou encore dans le foyer, Pyrène aura donc vocation d’assister l’homme dans ses tâches les plus fastidieuses. À terme, l’équipe de Philippe Souères souhaite que cette machine puisse être mobile pour s’intégrer à n’importe quel environnement et interagir aisément avec l’homme.

« On peut imaginer un robot qui pourrait être capable de jouer une partie d’échecs avec nous et en même temps indiquer la météo du lendemain. On peut arriver à des niveaux d'interactions intéressants, mais sans jamais pouvoir remplacer le contact humain. »

Insistant sur ce dernier aspect, Philippe Souères dévoile ce qui semble faire polémique lorsque sont soulevées les questions liées à la robotique humanoïde.

Intelligence artificielle : mythe ou réalité ?

La création de son semblable semble avoir toujours attiré l’Homme. Comme en témoignent le Golem (3) et le joueur de flûte de Jacques Vaucanson (4), le mythe de la singularité obsède l’humanité.


Wikipédia

En 1950, Alan Turing (5), considéré comme le père fondateur de l’informatique, faisait l’hypothèse qu’ « à la fin du siècle, on pourra parler de machines pensantes sans craindre d’être contredit » et bien que les univers oniriques proposés par le cinéma, la littérature et l’art ne cessent d’alimenter nos opinions sur la science et notre devenir, en réalité en sommes-nous vraiment-là ?

Comment rendre le robot capable d’apprendre par lui-même et de se questionner comme pourrait le faire l’Homme ? En d’autres termes, peut-on mécaniser la pensée et la conscience au point de les implanter dans une machine ? Peut-on créer une intelligence artificielle ? Encore au stade d’opérations simples et de méthodes génériques, l’équipe du LAAS soulève directement ces questions en développant son algorithmique.

« Toutes ces interrogations entrent dans la façon de décoder le vivant et c’est ce qui est passionnant. On peut tout imaginer, mais nous ne sommes pas encore capables de créer des systèmes qui seraient capables d’exploiter leur potentiel comme un homme serait capable de le faire et donc de faire réagir un robot de manière intelligente face à un événement. »

Par la force des choses, l’usage de l’expression « Intelligence artificielle » est entré dans le langage courant au point d’être très souvent incompris, voire dénoncé. Les peurs qu’engendre le développement de la robotique humanoïde, et de surcroît la recherche en « Intelligence artificielle », posent des questions sociétales fondamentales. Pour certains, ces avancées technologiques seraient uniquement vouées à créer un monde déshumanisé.

« Toutes ces questions sont à prendre avec des pincettes, insiste Philippe Souères. Et c’est davantage aux politiciens, aux sociologues ou encore aux journalistes d’informer rationnellement la société (...) La recherche en robotique humanoïde et l'Intelligence artificielle doivent avant tout servir au bénéfice de l'intérêt général ! »

Et du côté de la recherche ?

Henri Prade, Directeur de Recherche à l’IRIT - Institut de Recherche en Informatique de Toulouse , apporte des éléments de réponse dans ses travaux de vulgarisation sur l’Intelligence artificielle. Selon lui, les recherches tendent à rendre « la machine capable d'acquérir de l'information, de raisonner sur une situation statique ou dynamique, de résoudre des problèmes combinatoires, de faire un diagnostic, de proposer une décision, un plan d'action, d'expliquer et de communiquer les conclusions qu'elle obtient, de comprendre un texte ou un dialogue en langage naturel, de résumer, d'apprendre, de découvrir. Pour ce faire, la machine doit être munie de méthodes génériques susceptibles de s’adapter à de larges classes de situations. »

En créant et simulant des fonctions cognitives propres à l’homme, l’Intelligence artificielle permet d’effectuer des tâches que l’on qualifie d’ « intelligentes » à des machines, et ce grâce à l’exploitation d’une grande quantité d’information et d’une vitesse de calcul accrue.

D'importantes avancées restent encore à faire avant de pouvoir rendre un système tel que Pyrène capable d’analyser ou de simuler des émotions. Malgré les idées reçues, la recherche est encore loin de pouvoir créer une pensée autonome, consciente d’elle-même et du monde auquel elle appartient. Le pourra-t-elle un jour ? Affaire à suivre !

©Olivier Stasse/LAAS/CNRS

Notes :

1) Un système anthropomorphe est un système qui a la forme d'un corps humain ou qui a l'apparence humaine - Wikipédia

2)Les capteurs de couple de Pyrènes sont situés dans ses articulations et assurent que les mouvements du robot prennent en compte la dynamique de l’ensemble. Cette dernière potentialité est essentielle pour permettre de générer une commande en couple afin d’interagir avec l’environnement - Journal du CNRS

3) Le Golem est, dans la mythologie juive, un être artificiel, généralement humanoïde, fait d’argile, incapable de paroles et dépourvu de libre arbitre. Il est façonné afin d’assister ou de défendre son créateur - Wikipédia

4) Le joueur de Flûte de Jacques Vaucanson est un inventeur et mécanicien français. Il a inventé plusieurs automates- Wikipédia.

5) Alan Mathison Turing , né le 23 juin 1912 à Londres et mort le 7 juin 1954 à Wilmslow, est un mathématicien et cryptologue britannique, auteur de travaux qui fondent scientifiquement l'informatique - Wikipédia.

Pour aller plus loin :

Emission radio de France culture - Jean-Gabriel Ganascia : « Craindre l'intelligence artificielle est peu justifié »




Emission radio de France Inter - La Tête au carré - « L’intelligence artificielle va-t-elle tuer l’homme ? » Laurent Alexandre, chirurgien et spécialiste des biotechnologies et Jean-Michel Besnier, philosophe spécialiste des nouvelles technologies.