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Ménage à trois dans la canopée

Publié par IRD Occitanie, le 18 juillet 2022   840

Quand des individus de règnes aussi différents que les plantes, les insectes et les champignons sont impliqués dans une association, difficile de démêler qui influence qui. Des scientifiques de l’Université Toulouse Paul Sabatier, de l’Université Clermont Auvergne, de l’INRAE et de l’IRD – dont l’UMR AMAP – publient dans Biotropica les résultats de leur analyse pluridisciplinaire de « jardins de fourmis » en forêt de Guyane française.

Le phénomène de mutualisme – où des êtres vivants s’associent parfois très intimement – recèle encore des mystères. Voyage au cœur d’une des associations les plus sophistiquées : les jardins de fourmis.

Métaphore en dessin de l'interaction plantes-fourmis-champignons © Adobe stock

Jardins de fourmis : des écosystèmes miniatures

Nous connaissons des exemples d’associations inter-règnes comme les bactéries du tube digestif des mammifères ou encore l’alliance d’une algue et d’un champignon pour former le lichen mais les nids que les fourmis construisent dans les arbres tropicaux abritent trois règnes différents : une ou plusieurs espèces de plantes épiphytes1, une espèce de fourmi arboricole et toute une communauté de champignons qui vit au contact plus ou moins étroit des racines de l’épiphyte. Dans l’histoire, ce sont les fourmis qui jouent le rôle de maître d’œuvre. « Les fourmis choisissent une fourche d’arbre pour installer leur nid et commencent par y accumuler des détritus organiques qui vont servir de substrat, décrit Céline Leroy, écologiste à l’IRD. Puis elles y transportent des graines des espèces végétales épiphytes de leur choix, celles-ci germent et peu à peu leurs racines ancrent le nid dans l’arbre ». Les bénéfices réciproques conférés par cette association multi-partenaires sont peu étudiés or la compréhension de qui ou quoi module réellement ces mini-écosystèmes pourrait apporter un éclairage sur ces interactions inter-règnes.

Abondance relative (%) des différents ordres de champignons présents dans les racines d’Aechmea mertensii associées à Camponotus femoratus (A) ou à Neoponera goeldii (B). © IRD - Céline Leroy

Interactions plantes-fourmis-champignons

Dans l’étude guyanaise, la plante épiphyte est une broméliacée2, Aechma mertensii, qui est « utilisée » différemment par deux espèces de fourmis. « Les jardins construits par les deux espèces diffèrent par de nombreux paramètres, explique la chercheuse. Camponotus femoratus réalise de grands nids qui accueillent plusieurs reines et donc de grandes colonies, elles préfèrent les grands arbres à l’ombre tandis que Neoponera goeldii construit de plus petits nids abritant une seule reine dans des petits arbres au soleil ». Des travaux précédents de la même équipe avaient montré que, pour l’épiphyte, l’association avec Camponotus est plus avantageuse qu’avec Neoponera. Il importait donc de cerner pour quelles raisons. Une première partie de la réponse réside dans la composition en nutriments du substrat de ces fourmilières aériennes, formé par les divers matériaux accumulés puis collés par les sécrétions des fourmis. « En analysant 10 nids de chaque espèce, nous avons mis en évidence des concentrations en carbone, azote, phosphore et potassium plus élevées dans les nids de Camponotus, annonce Bruno Corbara, co-auteur de la publication. Par contre les nids de Neoponera sont plus riches en aluminium, fer, calcium et manganèse ». Ces compositions contrastées au niveau des substrats influencent certainement les populations de champignons qui s’installent à proximité ou dans les racines de la broméliacée. L’inventaire de l’ADN de ces populations trouvées dans les 20 nids livre 47 familles de champignons dont 70 % d’Ascomycètes3 les Basidiomycètes4 et les Gloméromycètes5 se partageant de façon égale les 30 % restants. Parmi ces derniers, certains s’associent aux plantes pour former des mycorhizes6 . Les analyses montrent que les guildes des nids de Neoponera présentent une plus grande diversité spécifique que ceux de l’autre espèce.

Phénomène de mutualisme © IRD - Camponot

Influences et bénéfices réciproques

Au final, la composition des communautés fongiques associées aux racines des épiphytes est corrélée à la taille des nids et à la diversité en épiphytes. En effet, Camponotus « cultive » souvent plusieurs autres épiphytes en plus d’Aechma mertensii alors que Neoponera se limite à Aechma et à un Philodendron. Les pratiques des deux espèces de fourmis influencent bel et bien la diversité et la composition en champignons. Tout ce petit monde y trouve son compte. Les plantes « installées » par les fourmis profitent à la fois d’une meilleure dispersion et de conditions optimales (humidité, nutriments). La broméliacée fournit à la fois un plancher et une réserve d’eau. Les fourmis sont les gardiennes de la plante contre les agresseurs herbivores. Les spores des champignons bénéficient d’un substrat riche pour croître. Les fourmis sont les ingénieurs de ces micro-écosystèmes de la canopée. Elles affectent les propriétés physico-chimiques du substrat. « Nous suspectons que les différences de communautés fongiques pourraient aussi être dues aux sécrétions des fourmis … mais c’est une autre histoire », avance Céline Leroy.

Notes : 
1
Organismes qui poussent sur un support végétal
2
Famille des ananas
3
Famille des levures, truffes et Penicillium
4
Champignons à chapeau et parasites
5
Champignons endomycorhiziens vivant en symbiose dans les racines
6
Association entre le mycelium d’un champignon et les radicelles d’une plante

Publication : Leroy C., Maes A. Q., Louisanna E., Carrias J. F., Cereghino R., Corbara B., Sejalon-Delmas N. 2022. Ants mediate community composition of root-associated fungi in an ant-plant mutualism. Biotropica, https://doi.org/10.1111/btp.13079


Contact science : Céline Leroy, IRD, UMR AMAP CELINE.LEROY@IRD.FR

Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet   COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR


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Vue sur la canopée guyanaise © IRD - Nouragues

Source de l'actualité : Ménage à trois dans la canopée