Interview d’une célébrité de nos jardins
Publié par Blog Sciencesdessusdessous, le 18 juin 2019 1.3k
« J’ai de pied en cap l’estomac dans les talons, des viscères plein le dos, des yeux au bout de mes tentacules, un anus par-dessus la tête, la coquille sur les épaules et le cœur dans la coquille. Enfin je ponds par la tête et je bois par la peau ! Qui suis-je ? »
Quel est donc cet étrange animal qui, par son insolite anatomie, répond à cette description qui met sens dessus dessous l’idée que l’on se fait d’un corps normalement constitué ?
La star de la journée, l’heureux élu parmi le règne animal qui se voit devenir l’objet de mon article, c’est lui, l’incroyable, le merveilleux : je nomme l’ ESCARGOT ! Lui-même ! L’auriez-vous cru ? Et attention accrochez-vous, car nous partons pour une petite ballade à ses côtés, et bien que sa vitesse de croisière ne soit pas fulgurante, vous n’êtes pas au bout de vos surprises.
« J’appartiens au grand groupe des mollusques : c’est une toute petite branche de l’arbre buissonnant de toutes les espèces animales. Mais, me direz-vous et vous ferez bien, c’est quoi, être un mollusque ? Eh bien, c’est toute une affaire ! N’est pas mollusque qui veut ! On ne fait pas partie d’une telle élite sans répondre à des critères d’admission très précis. Regardez plutôt le dossier d’inscription ci-dessous que j’ai du remplir pour intégrer cette digne famille : »
Merci de prendre connaissances des conditions d’inscription ci-dessous, de vous munir de toutes les pièces indiquées au jour de votre entrée, et de renvoyer le dossier dument complété au Service Administratif de la Phylogénie des Animaux :
ESCARGOT : « Au fait, la « phylogénie », c’est la science qui essaye de classer tout les êtres vivants dans des groupes. »
1/ Il est interdit d’avoir un squelette à l’intérieur du corps pour pouvoir être un vrai mollusque : vous êtes donc un animal sans os, et vous avez un corps mou !
2/ Vous devez être muni d’un manteau : attention, pas la pièce en tissu que portent les humains ! Il s’agît d’une peau capable de sécréter du calcaire pour l’édification d’une coquille. Une fois intégré à l’équipe des mollusques, vous devrez être tout à fait autonome dans la construction de votre coquille, aucun matériel ne sera fourni.
3/ Vous devez être équipé d’une radula : nous vous rappelons que la radula est une langue assez dure qui comporte des dents. Sans cette radula, vous ne pourrez pas râper vos aliments ! Une structure en forme de bec pour les carnivores sera éventuellement acceptée si vous n’avez pas de radula.
4/ Pour respirer sous l’eau les branchies sont obligatoires. Ceux qui se sont adaptés à la vie terrestre en respirant par des poumons ou par la peau peuvent quand même être acceptés au sein du groupe s’ils répondent à l’ensemble des autres critères.
5/ La coquille est obligatoire : à votre arrivée une répartition sera opérée dans les différents groupes selon le type de coquille. Merci de souligner la ligne correspondante à votre situation :
groupe des bivalves : coquille divisée en deux parties capables de s’ouvrir ou de se fermer
groupe des gastéropodes : coquille spiralée
groupe des céphalopodes : autre type de coquille
groupe des limaces : coquille perdue en cours de route
« Ouf ! C’est fait, je suis admis. Bien, mais ce n’est pas tout. Une fois intégré au prestigieux groupe des mollusques, il me reste à me conduire en gastéropode qui se respecte. Moi, en tant qu’escargot, je suis un gastéropode terrestre dit « pulmoné », c’est à dire qui respire de l’air par une sorte de poumon. Mais tout les gastéropodes ne se ressemblent pas : je vous invite à aller à la rencontre de mes cousins méconnus, sujets d’un autre article.»
- Bien mais maintenant, venons-en à toi, cher escargot de nos jardins. Alors d’abord, la question qui taraude les enfants : pourquoi tu baves ?
« C’est très simple : j’ai besoin d’un liquide en-dessous de moi pour pouvoir avancer. C’est ma bave qui fait glisser mon gros et unique pied. Et oui, mon pied est comme une planche de surf : il a besoin d’une surface glissante pour avancer ! Et en plus de ça, ma bave est si collante que je peux grimper aux murs ! »
- Et … tu en baves pour qui ?
« Eh bien en fait, je n’ai pas d’amoureuse ! Je suis à la fois mâle et femelle ! C’est très pratique, car lorsque deux escargots se rencontrent, ils sont tout de suite viables pour faire l’amour. On ne se pose pas de question, on ne cherche pas le sexe opposé pendant des heures. On dit que nous sommes hermaphrodites. Et oui, dans nos sociétés (si je peux me permettre, largement pionnières dans bien des domaines), pas d’inégalités de genre, ni aucune sorte d’abus dans la répartition des tâches familiales ! Chez nous, pas de clichés sexistes possibles ! A chaque individu revient l’importante mission de porter des petits et de se charger de la ponte. Pour se faire, chaque individu féconde l’autre (c’est-à-dire lui transfère son sperme) à l’aide de son sexe-dard pendant l’accouplement. Ah, et histoire d’être fidèles à notre réputation, nous faisons l’amour … à une vitesse d’escargot ! Et oui, quasiment 12h pour que l’un et l’autre s’échange ses spermatozoïdes respectifs. Pour ça, nous devons nous coller organes génitaux contre organes génitaux, soit tête contre tête ! Et pour pondre nos œufs n’en parlons pas : 12 à 48h !»
- Et vos œufs, vous les mettez dans un même panier ?
« Heu .. en ce qui concerne l’éducation des enfants, je dois admettre que les parents escargots n’ont pas tout à fait le sens des responsabilités : ils se contentent de déposer leurs œufs chacun de leur côté dans un trou sous la terre ou les feuilles, et les laissent grandir là tout seuls. Il faut dire qu’ils peuvent être plus d’une centaine, ça ferait du monde à éduquer ! D’autant qu’ils sortent de leurs œufs avec un kit maison déjà tout prêt entièrement monté (je veux dire qu’ils ont déjà leur coquille) ! »
- Et au fait, qu’est-ce que t’as sous le capot ?
« Bon bah déjà, commençons par expliquer comment je confectionne mon fameux « capot », ma coquille quoi ! En fait tout est en calcaire (le calcaire, c’est une substance minérale composée d’atomes de calcium) : matériau unique ! Ça facilite mon travail de maçonnerie ! Qui est mon fournisseur ? Il est bio et local : ce sont les roches calcaires que je râpe avec ma radula et que j’ingère. Le calcium que j’en tire traverse mon corps jusqu’à la zone de chantier de la coquille : le bourrelet du manteau, juste derrière la tête à la base avant de la coquille. Ma coquille sert à protéger mon cœur, mon système digestif et mes organes génitaux internes. Et la tête quand j’ai besoin de me cacher ! »
- Merci cher escargot, et pour conclure, permets-moi de te citer Jules Renard, qui notait poétiquement un jour dans son Journal :
« L’escargot promène son joli chignon » !
Maëly Maruzzi Collard
Sciencesdessusdessous