Parce que les salariés comptent : de la nécessité de refonder la comptabilité
Publié par Mondes Sociaux, le 25 octobre 2022 770
Article par Emmanuelle Nègre et Marie-Anne Verdier
Considérés uniquement comme des charges dans le système comptable actuel, les salariés connaissent un nouvel élan de valorisation via le concept de capital humain. Ce dernier comporte néanmoins une « face sombre » puisqu’il peut renforcer un phénomène de quantification des compétences subjectives des salariés et leur contrôle. Une réflexion sur les transformations du système comptable est opérée pour permettre de sortir de cette impasse sociale.
Les licenciements font régulièrement la Une des médias. En mars dernier, c’est le licenciement massif et soudain de 800 marins anglais par la compagnie de ferries P&O, qui a largement fait parler de lui en raison de son ampleur et des manières qualifiées de « brutales » employées par la compagnie (annonce par visio-conférence, mobilisation d’agents de sécurité, etc.). Cette dernière envisageait de remplacer les marins par des travailleurs externalisés payés en dessous du salaire minimum, avec comme justification de la part de la direction la volonté de réduire les coûts pour rendre « l’entreprise viable et durable ».
Les salariés ne sont pas qu’une « charge » comptable
Cet argument, classiquement utilisé lors d’annonces de licenciements, s’explique principalement par la manière dont les salariés sont pris en compte dans le système comptable des entreprises : en tant que charges. Un tel classement amène à penser que la réduction de la masse salariale s’accompagne mécaniquement d’une baisse des charges et donc d’une hausse du résultat comptable.
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que les salariés soient utilisés comme une variable d’ajustement lorsqu’il s’agit d’augmenter les performances économiques et financières des entreprises, alors même que cette assertion est loin d’être vérifiée dans la pratique.
En effet, nombreuses sont les études qui montrent que les réductions d’effectifs n’augmentent pas les performances des entreprises à moyen terme (ex. Bullon et Sanchez-Bueno, 2011 ; Marques et al., 2011). Un tel raisonnement sert par ailleurs à légitimer la mise en place d’opérations de réductions d’effectifs dont l’objectif est principalement de servir les intérêts des détenteurs du capital financier, particulièrement au sein des entreprises cotées en bourse. Pourtant, d’autres propositions ont été formulées par des universitaires pour sortir de cette vision restrictive des salariés avec pour volonté de tendre vers un modèle qui prendrait en compte les intérêts de ces derniers. [...]
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