Nancy Howell Lee : une pionnière dans l’analyse des chaînes relationnelles
Publié par Mondes Sociaux, le 29 novembre 2022 760
Article par Nathalie Chauvac
Dans les années 1960, alors que l’avortement était illégal aux Etats-Unis, la sociologue Nancy Howell Lee a mené une analyse pionnière des chaînes de relations personnelles permettant aux femmes de trouver quelqu’un pouvant les aider à avorter. Aujourd’hui l’analyse des chaînes relationnelles est au cœur de travaux de sociologues sur des questions variées, notamment l’accès au marché du travail, aux ressources mobilisées par des malades, ou pour créer une entreprise.
Au Texas, depuis 2021, l’avortement est à nouveau illégal. L’aide à l’avortement est également condamnée, la délation est même encouragée par des primes. Les femmes n’auront pu avorter dans des conditions légales que pendant 50 ans. Dans les années 60, l’avortement était illégal aux Etats-Unis comme en France, et pourtant des centaines de milliers de femmes étaient contraintes d’y avoir recours.
En 1969, Nancy Howell Lee, une chercheuse américaine a étudié ce phénomène dans le cadre de sa thèse, s’intéressant aux circonstances des grossesses involontaires et de la prise de décision conduisant à un avortement, à la recherche d’une personne pratiquant l’avortement, à la manière dont l’avortement s’est déroulé, aux suites physiques, psychologiques et dans les relations avec le partenaire masculin ou avec les autres personnes. Il s’agissait aussi de comprendre la circulation d’information, et surtout les inégalités sociales. Elle a publié ensuite un ouvrage qui n’a jamais été traduit en français.
Nancy Howell Lee innove pour comprendre un fait social difficilement accessible aux méthodes classiques d’enquête. En effet, si l’autorisation de l’emploi de la pilule depuis 1960 avait réduit le nombre de grossesses non désirées sans les faire disparaître, l’avortement était illégal. Les femmes et les couples devaient trouver une information pouvant conduire à leur condamnation, mais aussi à celles des personnes l’ayant fournie. L’enquête était donc particulièrement difficile à mener.
Une méthode scientifique innovante
L’objectif de Nancy Howell Lee était à la fois de décrire ces femmes dont on sait peu de choses, mais aussi de comprendre les circonstances et les conséquences de ces interventions et comment et pourquoi certaines avaient accès plus facilement que d’autres à des méthodes plus légales, comment se construisent ou se révèlent les inégalités sociales dans un événement aussi intime que l’avortement. Elle s’est adressée à des professionnel·les ou à des associations, des structures susceptibles d’avoir été en contact avec les enquêtées qu’elle visait, à savoir des femmes ayant vécu récemment un avortement, âgées de 30 ou plus, cet avortement ayant abouti. Elle a au total réalisé 25 entretiens et 89 questionnaires, soit 114 personnes enquêtées. [...]