Nacim Guellati, cet étudiant parti explorer les mers glacées de l’Antarctique

Publié par Echosciences Occitanie, le 7 avril 2020   2.5k

Article rédigé par Océane Cobelli.

Nacim, 23 ans, était l’un des membres d’une des expéditions « Pôle to Pôle », organisées par Greenpeace, et dont l’objectif est de réaliser un état des lieux mondial de la biodiversité marine en haute mer. 

A bord de l’Arctic Sunrise, l’un des leurs bateaux, il a passé 1 mois et demi à sillonner les mers australes. Allons à la rencontre de cet étudiant pas comme les autres, et découvrons son rôle au sein de cette expédition et les objectifs du projet.

© Nacim Guellati

Sous un temps grisâtre et pluvieux, c’est un jeune homme souriant et plein d’énergie qui me rejoint. Nacim est étudiant en 3ème année de licence « Écologie et Biologie des Organismes » à l’Université de Montpellier. D’origine algérienne, il est arrivé il y 4 ans sur Montpellier pour y débuter sa licence. Mais qu’a-t-il donc de si particulier pour participer à une expédition d’une telle ampleur à son âge ? 

Un goût prononcé pour l’aventure… et la recherche scientifique

Nacim n’en est pas à son premier périple et n’a pas été recruté pour participer à cette équipée par hasard ! D’un tempérament aventurier et fonceur, c’est un adepte des sports et des environnements extrêmes : il fait de la plongée et de l’apnée depuis son enfance et a sauté en parachute plusieurs fois. « Pour mon premier saut en parachute, j’étais tellement impatient que je n’ai pas attendu la fin du décompte pour me lancer », une vraie tête brûlée ! Il a également beaucoup voyagé dans des milieux parfois inhospitaliers (Scandinavie, Sahara). En bref, les challenges ne lui font pas peur ! Qualité essentielle pour vivre 1 mois et demi sur un bateau au beau milieu du continent blanc !

© Nacim Guellati

Sportif et résistant, certes, mais pas que ! Nacim possède également les connaissances scientifiques et les compétences techniques indispensables à la réussite de ce projet. 

Attiré par les milieux marins depuis toujours, il a réalisé un stage en L1 aux côtés de David Mouillot, l’un de ses enseignants, chercheur à l’UMR MARBEC, unité de recherche qui concentre ses travaux sur la biodiversité marine, son exploitation et sa conservation. Au départ missionné pour dénombrer les espèces de poissons méditerranéens grâce au deep learning (la technologie utilisée pour la reconnaissance faciale ou vocale), sa détermination et son sérieux lui ont permis d’enchaîner plusieurs stages et CDD au sein de cette unité de recherche. C’est ainsi qu’il a pu, notamment, participer au projet Gombessa V en juillet dernier, aux côtés du scientifique, photographe-naturaliste et plongeur de renom, Laurent Ballesta.

Ces expériences lui ont permis de se former petit à petit à l’ADN environnemental, nouveau concept prometteur pour détecter la présence d’un grand nombre d’espèces dans un milieu donné et dont il était le responsable lors de l'expédition « Pôle to Pôle » en Antarctique. C’est donc avec un bagage scientifique conséquent et une lourde responsabilité que Nacim a embarqué sur l’Arctic Sunrise le 6 janvier 2020 au départ d'Ushuaia.

Mais l’ADN environnemental, qu’est-ce que c’est ?

Tous les organismes biologiques, même les plus petits, laissent des traces de leur passage dans les environnements qu’ils fréquentent, que ce soit de leur vivant (déjections salivaires, urinaires, fécales, cutanées, etc.) ou lors de leur mort (décomposition). Toutes ces traces, souvent invisibles à l’oeil nu, regorgent de l’ADN de leur propriétaire. C’est cela que l’on appelle l’ADN environnemental (abrégé ADNe en français ou eDNA en anglais).

© Nacim Guellati

Depuis une dizaine d’années, de nouvelles techniques voient le jour pour étudier cet ADNe, notamment dans les milieux aquatiques. Elles consistent à prélever un échantillon d’eau, puis à séquencer les traces d’ADN qu’il contient. L’analyse de ces séquences d’ADN permet ainsi d’obtenir une « photographie » de la biodiversité du milieu étudié, en recensant d’un coup toutes les espèces présentes, même les plus difficiles à apercevoir et à capturer. Avantage indéniable pour le projet « Pôle to Pôle » qui vise à cataloguer la totalité des espèces vivant en haute mer !

© Abbie Tayler-Smith / Greenpeace

© Abbie Tayler-Smith / Greenpeace

Pôle to Pôle : une traversée mondiale pour protéger les eaux internationales

Comme abordé rapidement au tout début de l’article, cette expédition en Antarctique n’est qu’une partie d’un projet beaucoup plus ambitieux : Pôle to Pôle, mené par Greenpeace en collaboration, entre autres, avec l’Université de Montpellier, l’UMR MARBEC et SpyGen, une entreprise partenaire de l’UMR MARBEC spécialisée dans l’ADNe. Son objectif ? Collecter des données pour réaliser un état des lieux de la biodiversité marine dans les eaux internationales (i.e en haute mer) de nombreuses régions du globe.

Le trajet du projet « Pôle to Pôle »

Cette collecte de données colossale, qui a duré près d’un an, et dont l’expédition de Nacim était la toute dernière étape, a été réalisée à l’occasion du futur traité sur la haute mer. Discuté et négocié en ce moment même par les Etats membres de l’ONU, il devrait voir le jour,  selon Greenpeace, d’ici l’été 2020. L’état des lieux, résultant de l’analyse des données collectées, aspire à être utilisé comme un outil scientifique et politique pour influencer les décisions concernant ce traité. Il vient également appuyer le rapport 30x30, réalisé par Greenpeace en 2019. Ce dernier clame la nécessité de protéger 30% de la biodiversité des eaux internationales d’ici 2030 et propose des solutions pour y parvenir. Tout dépend maintenant des volontés et des décisions politiques concernant ce fameux traité...

Et sur place ?

C'est, sans aucun doute, avec un fort engouement pour la protection de notre planète et de sa biodiversité, que les membres de la dernière expédition du projet « Pôle to Pôle » ont rejoint Ushuaia, à la pointe sud de l'Argentine. De là, les deux bateaux de Greenpeace, l'Esperanza et l'Arctic Sunrise, les attendaient pour partir sur les eaux antarctiques.

© Nacim Guellati

Pendant plus d’un mois, ces deux bateaux ont été les camps de base des membres de l’équipage : ils y vivaient, y dormaient, y mangeaient (des repas délicieux d’après ce que l’on m’en a dit !), y travaillaient et s’y détendaient. Les déplacements sur les sites précis d’études se faisaient en zodiac, parfois par temps calme et ensoleillé, parfois sur une mer agitée. C’est tout ou rien en Antarctique ! Nacim se souvient particulièrement d’une sortie en zodiac tempétueuse où ce dernier a bien failli se retourner ! « C’était impressionnant et c’est le seul moment où j’ai eu un peu peur », m’a-t-il confié.

© Abbie Tayler-Smith / Greenpeace

Néanmoins, les équipages pouvaient, à raison d’une fois par semaine, et après une désinfection totale pour éviter toute contamination des lieux visités, se dégourdir les jambes sur la terre ferme (ou parfois sur la glace ferme !) et aller au contact de la faune, pas si sauvage que ça ! Preuve en est : un éléphant de mer s’est reposé sur les genoux de Nacim alors qu’il était assis tranquillement sur une plage. Rien que ça ! Il a même dû finir par le repousser car ce cousin des phoques, qui peut quand même peser jusqu’à près de 4 tonnes, devenait quelque peu envahissant…

© Nacim Guellati

Une expérience hors du commun qui ouvre des portes

Nacim ressort de cette aventure plus motivé que jamais, avec des souvenirs plein la tête et des cartes SD chargées de photos.

© Nacim Guellati

Il n’a qu’une seule envie : repartir. Les moments difficiles qu’il a pu vivre à l’autre bout du monde, compensés en grande partie par la bonne ambiance qui régnait sur le bâteau, n’ont fait que renforcer sa résistance et il n’en retire que du positif : « L’eau glacée qui stagne dans les vêtements imperméables quand elle arrive à y rentrer, c’est pas le plus agréable... Mais même ça je l'ai apprécié au final. Ça fait partie de l’aventure ! ». Le seul point négatif qu’il pourrait relever est d’avoir assisté aux tristes records de températures battus cette année : plus de 20°C en Antarctique, du jamais vu…

Cette expédition lui a également ouvert pas mal de portes au niveau professionnel : il va participer à plusieurs conférences et a, d’ores et déjà, d’autres projets de prévus, dont un cet été en Nouvelle Calédonie. Néanmoins, son objectif est de poursuivre ses études en intégrant le master « Ingénierie en Écologie et en Gestion de la Biodiversité » de l’Université de Montpellier avant d’enchaîner sur un doctorat, de préférence à finalité appliquée. Un aspect auquel il accordait relativement peu d’importance avant cette expédition avec Greenpeace mais qui, aujourd’hui, prend beaucoup plus de sens à ses yeux : il souhaite avoir un réel impact sur le monde par l’intermédiaire de ses recherches.

Avant de continuer sur sa lancée universitaire, il aimerait faire une année de césure pour s’enrichir de nouvelles expériences dans des environnements extrêmes et se surpasser encore un peu plus. Et profiter de cette année hors des bancs de la fac pour s’investir dans la photographie naturaliste et la sensibilisation à l’environnement et à la biodiversité. Deux passions qu’il s’est découvert en partageant beaucoup de clichés de ses rencontres avec la faune australe sur les réseaux sociaux et qui ont l’air de porter leurs fruits : il a déjà une exposition photographique de prévue. Et c’est tout le bien qu’on lui souhaite !

© Nacim Guellati