Les tribulations de la statue [Saison2 -1 /3]

Publié par Claire Adélaïde Montiel, le 6 mai 2020   1.2k

THEODORE DESPEYROUS

On dit que nul n’est prophète en son pays. Ce n’est pas le cas du mathématicien Théodore Despeyrous. Pratiquement inconnu du public, il a été doublement honoré par sa ville natale qui a baptisé de son nom le collège de la ville et l’une de ses artères principales. Un traitement de faveur d’autant plus surprenant que, malgré une carrière universitaire tout à fait honorable au titre de professeur d’université à Dijon et à Toulouse, il n’a en rien marqué l’histoire des sciences. Aucun théorème, aucune découverte ne porte son nom.

 

Une gloire par rebond

  En fait, la gloire de Théodore Despeyrous est ce que l’on pourrait nommer une gloire par rebond. Au temps où il vécut, entre 1815 et 1883, Pierre Fermat son aîné de deux siècles, mathématicien secret et exigeant n’avait pas encore fait la une des journaux du monde entier avec sa célèbre conjecture qui ne devint théorème qu’en 1995, 356 ans après avoir été émise par son auteur. Fermat n’était donc pas la vedette que connaît aujourd’hui le grand public par la grâce de ce théorème dont la majorité de ceux qui le citent sont incapables de comprendre la démonstration. En revanche, deux siècles après sa mort, les mathématiciens les plus éminents continuaient à s’affronter aux problèmes qu’il avait signalés comme non résolus.

En 1843, M. Villemain ministre de l’instruction publique obtint les fonds nécessaires pour éditer, aux frais de l’Etat, l’ensemble de l’oeuvre de notre grand géomètre. Mais avant cela il fallait retrouver ses écrits. Ce n’était pas chose facile. Il n’existait à cette époque qu’un seul ouvrage rassemblant quelques-uns de ses textes, édité en 1679 sous le titre Varia opera mathematica par son fils Samuel Fermat. Edition sans appareil critique parce que créée par un juriste non mathématicien, et incomplète puisque Samuel Fermat, malgré tous les efforts déployés, n’avait eu accès qu’à quelques-uns des courriers que son père avait échangés avec toute l’Europe savante. La majeure partie de la centaine de lettres dont le magistrat mathématicien était l’auteur, envoyées aux savants français et européens sans que, par modestie, négligence ou manque de temps il en soit fait copie, était introuvable.  

Il faut se rappeler qu’au siècle de Fermat, la diffusion de la science n’était pas organisée comme elle l’est de nos jours. En l’absence de revues scientifiques et malgré l’action du moine minime Marin Mersenne qui avait inventé une sorte d’internet avant la lettre pour permettre que les écrits des savants circulent dans toute l’Europe, la sauvegarde des précieux écrits n’était pas assurée. Il fallut attendre février 1665 pour que le Journal des savants enfin créé, fasse état, dans son premier numéro, du décès de Pierre Fermat et l’Académie des sciences ne fut fondée qu’en 1666, un an après sa mort.

 

A la recherche des manuscrits perdus  

En 1845, Théodore Despeyrous, alors en poste à Dijon, fut envoyé à Vienne, par le ministre de l’Instruction publique, ancêtre de notre Education nationale, pour, en collaboration avec Guillaume Libri, mathématicien et bibliophile correspondant de l’Académie des Sciences de Paris, rechercher et collationner les oeuvres de Fermat qui s’y trouvaient.

Est-ce en raison de ses origines beaumontoises ou de ses compétences en mathématiques, l’histoire ne le dit pas. Toujours est-il qu’il y fit quelques découvertes remarquables et joua donc un rôle essentiel dans le cadre de cette publication qui, en raison de problèmes divers qu’il ne nous est loisible de développer ici, ne sera effective qu’en 1896, plusieurs années après sa mort.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Théodore Despeyrous joua également un rôle essentiel dans un projet qui semblait voué à ne jamais se réaliser : la mise en place de la statue de Pierre Fermat prévue dans sa ville natale dès 1813.

A cette date une ordonnance royale avait ouvert au ministère de l’instruction publique une ligne budgétaire destinée à la réimpression des oeuvres du grand homme et avait autorisé la ville de Beaumont à élever une statue à sa mémoire avec l’aide des Sociétés savantes et de l’Etat. Le conseil général de Tarn et Garonne avait alloué une somme à cet effet, mais d’atermoiement en atermoiement, la date de sa réalisation était toujours repoussée.  

En 1867, Théodore Despeyrous informa les membres de l’académie des sciences, inscriptions et Belles lettres de Toulouse que la maison natale de Pierre Fermat avait été identifiée de manière irrécusable et que le Conseil municipal, après délibération, avait l’intention d’y faire apposer une plaque en attendant l’érection de la fameuse statue votée plus de quarante ans auparavant. 

En 1878, ne voyant toujours rien venir, le Beaumontois Jules Frayssinet lança une souscription pour permettre de financer la statue mais il fallut attendre les années 1880 pour que Théodore Despeyrous s’offre à payer les honoraires du célèbre sculpteur Falguières et la création du monument. En Août 1882, l’inauguration s’en fit en grands pompe avec force discours mais il y a fort à parier que, sans ce coup de pouce providentiel, la statue n’existerait toujours pas.