Les riziculteurs cambodgiens recyclent les termitières
Publié par IRD Occitanie, le 14 juin 2023 380
Les termitières des rizières cambodgiennes procurent de multiples bénéfices bien connus des habitants du bassin inférieur du Mékong. Des scientifiques de l’IRD et de l’Institut de technologie du Cambodge (ITC) ont quantifié ces îlots de biodiversité et répertorié les différents services rendus. Leurs travaux sont publiés dans Soil use and management.
Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme… y compris les buttes édifiées par les termites !
Dans les rizières, il y a du riz… mais pas seulement
Dans le bassin inférieur du Mékong, les rizières apparaissent souvent comme des mosaïques avec des monticules - couverts d'arbres et autres plantes - répartis de façon inégale. Même si le riz est bien la première plante cultivée de ces régions, les habitants peuvent compter sur des ressources complémentaires fournies par les animaux et les plantes peuplant ces buttes attribuées à l’activité des termites. Ces monticules d’un mètre de haut pour un diamètre moyen de 2 à 3 mètres abritent effectivement un nombre d’espèces non négligeable. Les végétaux y trouvent un sol enrichi par la bioturbation opérée par les termites et à leur tour créent un habitat plus favorable pour les animaux, sans parler des microorganismes. Mais le bassin du Mékong est le théâtre de changements rapides, climatiques, sociologiques et environnementaux. « L'objectif de notre étude était de quantifier l’abondance de ces îlots de biodiversité et les services qu'ils rendent à la population locale, alors que leur pérennité est menacée par les pratiques agricoles modernes », lance Pascal Jouquet, écologue des sols à l’UMR IEES-Paris.
Perceptions et usages des termitières
L’inventaire de 30 sites dans le bassin versant de Chrey Bak –un observatoire de l’ITC - s’est doublé d’entretiens menés auprès de 61 personnes dans 13 villages. Concernant la diversité des termites, les spécialistes ont répertorié 11 espèces. « Nous avons constaté que la densité des monticules atteignait environ 2 unités par hectare, ce qui est peu par rapport à celle trouvée dans des aires protégées, annonce Ratha Muon, pédologue et ancienne doctorante. Il faut ajouter que les termitières étaient de deux sortes, anciennes ou encore en activité. » Avec une particularité, les secondes se trouvent assez souvent sur les premières… Si la plupart des personnes interrogées hésitent à donner un âge fiable aux buttes (les chiffres avancés vont de 10 à plus de 70 ans), 95 % des riziculteurs utilisent effectivement les matériaux des monticules pour augmenter la fertilité de leurs champs et ont constaté les effets positifs sur la croissance du riz. Ils affirment également que l’utilisation des termitières pour amender les sols augmente la capacité des plants de riz à résister à la sécheresse et aux pathogènes. Plus de la moitié d’entre eux cultivent d’autres plantes afin de diversifier leur alimentation : une dizaine par cultivateur parmi la vingtaine d’espèces répertoriées allant du chou et du potiron au bananier ou manguier en passant par les champignons et les bambous. Les villageois tirent même des bénéfices de la vente du produit de leurs cueillettes, ce qui leur procure un revenu complémentaire.
Une tradition naturellement « One Health »
A ces différents services écosystémiques - îlots de biodiversité végétale, diversification nutritionnelle, augmentation de la fertilité du sol, réduction des pesticides et des engrais de synthèse - il faut encore ajouter que ces buttes abritent des rats et des serpents forts appréciés des villageois. Cerise sur le gâteau, une vingtaine d’espèces de plantes médicinales viennent contribuer à améliorer la santé des habitants (47 % des enquêtés). « Certaines plantes sont utilisées contre le paludisme, la fièvre, les douleurs, ou encore dans les soins post-partum », énumère François Chassagne, ethnopharmacologue à l’UMR PHARMADEV. Lors des entretiens, un ressenti largement partagé s’est dégagé : les termitières étaient plus abondantes dans le passé et sont de moins en moins utilisées car les engrais chimiques et les pesticides plus faciles d’usage les remplacent peu à peu. En conclusion, cette étude est la première tentative de quantification du grand nombre de services rendus par les termitières au Cambodge. Cette thématique est effectivement peu documentée en Asie du sud-est, contrairement à l’Afrique.
Publication : Muon R., Lai C. D., Herve V., Zaiss Rainer, Chassagne F., Bureau E., Marchand S., Audibert M., Berger J., Wieringa F., Savoure A., Sok K., Meunier J. D., Ann V., Jouquet P. 2023. Abundance, perceptions and utilizations of termite mounds in Cambodia. Soil Use and Management. https://doi.org/10.1111/sum.12893
Contacts science : Ratha Muon, ITC, Cambodge RATHA.MUON@ITC.EDU.KH
Pascal Jouquet, IEES PASCAL.JOUQUET@IRD.FR
Franck Wieringa, QUALISUD FRANCK.WIERINGA@IRD.FR
François Chassagne, PHARMADEV FRANCOIS.CHASSAGNE@IRD.FR
Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR