Les lamas restaurent sol et végétation après le retrait des glaciers
Publié par IRD Occitanie, le 17 juin 2024 170
En cette année 2024, déclarée comme l'Année internationale des camélidés, une équipe franco-américano-péruvienne impliquant l’UMR AMAP a mené une expérience pour déterminer si les lamas influencent la reconstitution des sols et de la végétation quand un glacier se retire. Leurs résultats, publiés dans les Scientific Reports, prouvent que cet impact est réel et positif.
Après le retrait des glaciers dans la Cordillère Blanche au Pérou comment aider la nature à se reconstruire ? Grâce aux lamas !
Des glaciers en moins, des problèmes en plus
Au cours des quarante dernières années, les glaciers terrestres ont perdu en épaisseur et en surfaces. Les chiffres avancés pour ce début de XXIe siècle sont de - 266 gigatonnes par an. Le plus préoccupant est que cette fonte s’accélère de façon exponentielle. Outre les effets négatifs constatés au niveau mondial - hausse du niveau de la mer en particulier - les conséquences de cette disparition touchent directement les populations locales. La Cordillère blanche dans les Andes péruviennes présente les plus grandes surfaces glaciaires tropicales et elle n’a pas été épargnée par le phénomène. Quand le glacier se rétracte sous l’action du réchauffement climatique, il laisse derrière lui un substrat rocheux nu. La nature minéralogique et chimique de ces roches peut provoquer l’acidification des eaux de ruissellement, ce qui a des conséquences néfastes pour les communautés rurales en aval. « Dans le sous-bassin versant des Olleros, les populations ont subi la disparition de la truite, une diminution des rendements des cultures et une augmentation des maladies », rapporte Sebastián Riva Regalado, botaniste au Museum d’Histoire Naturelle de Lima (Pérou). Aider à la formation des nouveaux écosystèmes est donc une option à explorer par les scientifiques et les gestionnaires. Il faut savoir que ces zones dégagées par le retrait du glacier cumulent des contraintes fortes : grandes amplitudes thermiques journalières, faibles humidité et fertilité du sol. Les approches expérimentales pour étudier la pédogenèse et la recolonisation de la végétation seraient d’excellents outils mais elles sont encore très rares. Cette présente étude apporte les premiers éclairages sur une solution…. à quatre pattes !
Les lamas jardiniers malgré eux
Bien que la libération de zones auparavant couvertes par un glacier offre la possibilité de développer de nouveaux écosystèmes alpins, la lenteur des processus écologiques pour les raisons citées plus haut a poussé les scientifiques à tester une stratégie reposant sur la présence de lamas. L’expérience, conduite au pied du glacier Uruashraju (4 700 m d'altitude) reposait sur la réintroduction de ces camélidés natifs puisque leurs populations ont beaucoup décru au siècle dernier. « Cette expérimentation qui a duré trois ans a été menée en étroite collaboration avec le parc national de Huascarán et la Llama 2000 Asociación, communauté locale d'agriculteurs propriétaires des lamas, raconte Anaïs Zimmer, post-doctorante à l’UMR AMAP et première auteure de l’étude. Nous avons étudié, sur quatre parcelles d'inclusion de lamas et quatre parcelles témoins, l’enrichissement du sol, l’installation de végétation et la dispersion des graines. » Pari réussi ! Les effets des actions de pâturage, piétinement et défécation des lamas ont porté leurs fruits : les teneurs en carbone organique et en azote du sol ont été amplifiées, ce qui améliore notablement la fertilité du substrat d’origine. Par ailleurs, les scientifiques constatent une augmentation significative du couvert végétal (+ 57 %) au cours de la deuxième année. L’analyse des déjections révèle qu’une partie des graines digérées par les animaux conservent leur pouvoir germinatif.
Une expérience positive à généraliser ?
Les résultats de cette étude montrent donc que le comportement des lamas réintroduits améliore la formation d’un nouvel écosystème dans un paysage récemment déglacé. Sachant que cette tendance au retrait des glaciers va s’aggraver - 49 à 83 % des glaciers de la planète, exceptées les calottes polaires, devraient disparaître d’ici 2100 – évaluer des méthodes traditionnelles pouvant faciliter le développement de ces nouveaux écosystèmes est un défi scientifique d’actualité. « Nos découvertes pourraient avoir des implications pour la conservation et la gestion de nouveaux écosystèmes à travers le monde en favorisant l'adaptation au retrait des glaciers, néanmoins elles nécessitent un suivi à plus long terme », avance Fabien Anthelme, écologue à l’IRD. Au niveau local, cette étude apporte un soutien scientifique aux efforts des institutions péruviennes visant à réintroduire les camélidés andins indigènes. Le protocole expérimental conçu permettra une surveillance à long terme pour continuer à évaluer les changements induits à des échelles de temps plus longues.
Publication : Zimmer A., Beach T., Regalado S. R., Aliaga J. S., Encarnación R. C., Anthelme F. 2023. Llamas (Llama glama) enhance proglacial ecosystem development in Cordillera Blanca, Peru. Scientific Reports - Nature, 13 (1), 15936. https://doi.org/10.1038/s41598-023-41458-x
Contacts science : Fabien Anthelme, IRD, UMR AMAP FABIEN.ANTHELME@IRD.FR
Anaïs Zimmer, IRD, UMR AMAP et University of Texas à Austin ANAIS.ZIMMER@IRD.FR
Sebastián Riva Regalado, Museo de Historia Natural, Universidad Nacional Mayor de San Marcos, Lima, Peru SEBASTIANRIVAR@GMAIL.COM
Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR
Source : https://www.ird.fr/les-lamas-r...