Les circuits du bois de rose : du Ghana à la Chine
Publié par IRD Occitanie, le 30 avril 2024 250
La demande croissante de bois de rose en Chine conduit à une intensification de l’exploitation illégale dans de nombreux pays, notamment en Afrique de l’Ouest. Des chercheurs de l’UMR SENS ont étudié les filières de ce commerce international et mis au jour les transactions et arrangements instaurés entre acteurs de ce commerce au Ghana. Leurs résultats sont publiés dans Geoforum.
Comment les investisseurs chinois procèdent-ils pour avoir accès au bois de rose malgré les législations visant à protéger ces ressources dans les pays producteurs à l’exemple du Ghana ?
Une ressource forestière tropicale très convoitée
Qu’on l’appelle palissandre, bois de rose, Jenkeli, Niak, Butuma tia ou Krayie, ou encore Pterocarpus erinaceus, il s’agit du même arbre vivant dans les savanes et forêts d’Afrique de l’Ouest. Recherchée pour sa couleur rougeâtre et ses qualités mécaniques, cette essence fait l’objet d’une surexploitation qui compromet substantiellement sa durabilité. Son commerce annuel mondial pèserait plus lourd que celui de l’ensemble des principaux produits objets de trafics lucratifs (ivoire d’éléphant, corne de rhinocéros, écailles de pangolin ou encore ailerons de requin). On mesure ainsi mieux l’ampleur du trafic. Car il s’agit bien de trafic. La surexploitation de cette essence l’a conduite à être déclarée « espèce en danger » par la CITES depuis 2016. Malgré cela, le commerce illégal persiste et touche toute sa zone de répartition en Afrique soudano-sahélienne. L’espèce africaine prend d’ailleurs la suite des essences équivalentes asiatiques désormais protégées. C’est pourquoi entrepreneurs et investisseurs chinois assiègent le continent africain dans une quête effrénée de ce bois d’ébénisterie principalement destiné à des meubles fortement liés à l’identité culturelle chinoise.
Un commerce piloté par les opérateurs et le marché chinois
Difficile d’ignorer cet état de fait : les importations chinoises de bois de rose en provenance d'Afrique ont augmenté de 700 % depuis 2010 ! Quant au Ghana, malgré les interdictions répétées de récolte, de transport et d’exportation, l’hémorragie n’a pu être jugulée par les diverses tentatives des gouvernants pour mettre fin à l’abattage et au commerce illégaux. Le pays est ainsi classé deuxième en Afrique et quatrième au monde parmi les principaux fournisseurs de grumes de bois de rose de la Chine (en volume). Ce qui fait dire aux auteurs de l’étude que la filière ghanéenne est le résultat de la demande continue du marché chinois. Sur le plan méthodologique, les auteurs soulignent : « Nous nous sommes concentrés sur l’analyse des stratégies d’accès employées par les acteurs clés de ce commerce afin de répondre à deux questions : Comment les acteurs clés du commerce du bois de rose au Ghana ont-ils obtenu l'accès à la ressource ? Quels arrangements formels et informels encouragent ce commerce ? ». Soutenue ce printemps, la thèse d’Anthony Baidoo - jeune enseignant-chercheur ghanéen et chercheur associé à l’UMR SENS - est consacrée à cette problématique. Il a fallu identifier la constellation d’acteurs tout au long de la chaîne commerciale du bois de rose et démêler les réseaux complexes et les arrangements qui leur permettent d’accéder à cette ressource naturelle.
Acteurs clés, circuits informels et arrangements stratégiques
L’étude révèle qu'il n’existe, à ce jour, pas d'accord formel entre l’Etat ghanéen et la chine pour une meilleure régulation de la filière bois de rose. « De nombreux acteurs chinois et gouvernants ghanéens profitent de l’opacité et du statut informel de cette filière, constate Symphorien Ongolo, chercheur en science politique et spécialiste de la gouvernance des forêts tropicales à l’IRD. A ce titre, certains usent de leurs positions administratives et politiques pour maintenir un statu quo et empêcher toute tentative de mise en ordre de la filière. » Dans ce pays, l’essentiel des transactions autour du bois de rose repose sur un système informel d'arrangements à divers niveaux, impliquant leaders communautaires dans les zones d’exploitation, élites politiques, opérateurs chinois et leurs intermédiaires locaux, ainsi que gardes forestiers, policiers, douaniers, etc. « Du point de vue des relations sino-africaines souvent teintées de controverses, ce travail de recherche contribue à apporter des éclairages et une analyse empirique détaillée sur les transformations récentes des processus de gouvernance des ressources naturelles et les défis de durabilité qui y sont associés dans le contexte d’une expansion croissante de l’influence chinoise en Afrique », ajoute le chercheur. D’ailleurs, ce dernier est coordinateur scientifique d’un ouvrage - Power Dynamics in African Forests : The Politics of Global Sustainability - qui traite des dynamiques de pouvoir entre les acteurs impliqués dans la gouvernance des forêts.
Publication : Baidoo A., Meral P., Ongolo S. 2023. Chinese-driven Ghana rosewood trade : Actors and access dynamics. Geoforum, 146, 103871. https://doi.org/10.1016/j.geoforum.2023.103871
Contacts science : Symphorien Ongolo, IRD, UMR SENS SYMPHORIEN.ONGOLO@IRD.FR ;
Anthony Baidoo, enseignant-chercheur à University of Energy and Natural Resources (UENR) of Sunyani (Ghana), chercheur associé à l’UMR SENS ANTHONY.BAIDOO@IRD.FR
Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR
Source : Les circuits du bois de rose : du Ghana à la Chine | Site Web IRD