Les aires marines protégées dopent le niveau de vie de leurs riverains
Publié par IRD Occitanie, le 29 octobre 2024 160
Pour la première fois, une étude scientifique solide établit le bénéfice socio-économique des aires marines protégées pour les populations riveraines.
Dix-huit ans après la mise en place d’aires marines protégées (AMP) au large de la Tanzanie et de ses régions insulaires, les villages riverains tirent bien mieux leur épingle du jeu que les autres : leur niveau de vie a davantage augmenté que celui des villages plus éloignés, selon une étude menée par des scientifiques de l’IRD, de Inrae et leurs partenaires tanzaniens. Cela vient contredire une idée reçue selon laquelle les limitations d’usages imposées pour protéger les écosystèmes marins feraient augmenter la pauvreté locale. « Grâce à une vaste enquête financée par la Banque mondiale et menée par des scientifiques à l’époque de la création des AMP tanzaniennes, nous disposons de données temporelles longues, indique Rodolphe Devillers, géographe marin IRD, expert des aires marines protégées à ESPACE-DEV. En renouvelant cette étude, nous avons pu établir précisément l’impact de leur mise en place sur les revenus des habitants au bout de deux décennies. »
Préserver la biodiversité marine
Les AMP sont le principal outil promu par les spécialistes des milieux océaniques et par les Nations unies pour freiner le déclin rapide de la biodiversité océanique mondiale. Leur principe consiste à limiter ou encadrer, dans des zones clefs pour la biodiversité, les activités humaines connues pour impacter les écosystèmes, comme la pêche, l’aquaculture ou le trafic maritime. Mais leur mise en place se heurte parfois à de fortes résistances, par peur notamment que la restriction des activités de pêche paupérise les populations locales.
Bien que peu d’études socio-économiques le suggèrent, ces craintes entrainent souvent un blocage politique empêchant leur création ou érodant leur niveau de protection », indique Rodolphe Devillers de l’IRD.
La plupart des travaux menés jusqu’ici sur les impacts des AMP était très locale et se basait sur des séries temporelles limitées, ce qui compromettait leur interprétation.
Frigo, moto, téléphone mobile
Comme leurs prédécesseurs deux décennies plus tôt, les scientifiques ont interrogé une trentaine de foyers dans chacun des 24 villages côtiers déjà étudiés à l’époque, certains proches des AMP, d’autres plus éloignés. Ils leur ont à nouveau posé des questions – les mêmes bien sûr – permettant d’évaluer leur statut économique.
Nous avons ainsi demandé à ces ménages s’ils sont propriétaires de leur logement, quelle est la nature des matériaux de construction de ce logement – toit végétal ou en tôle, murs en ciment ou en terre –, quels sont les équipements dont ils disposent – réchaud électrique, sanitaires, réfrigérateur, moto, téléphone mobile, etc. –, autant de biens qui permettent d’évaluer le niveau de vie dans ces économies rurales », indique Sébastien Desbureaux, économiste de l’environnement à Inrae.
L’analyse de ces multiples indicateurs a révélé que les foyers résidant à proximité des AMP avaient vu leur niveau de vie s’accroitre de 50 % de plus que les autres sur la période.
Retombées des activités touristiques
Cette nette amélioration du statut économique des habitants pourrait provenir du développement des activités touristiques associé à la création des AMP. « Notre enquête a en effet montré que le travail salarié est plus développé dans les villages proches des aires protégées – et particulièrement dans les zones touristiques de l’est de Zanzibar –, qu’ailleurs où le secteur agricole reste prépondérant. Et le salariat est nettement plus rémunérateur que l’agriculture de subsistance », indique le spécialiste.
Les pêcheurs vivant à proximité des AMP tirent des revenus de la commercialisation du poisson dans les hôtels, mais aussi de l’organisation d’excursion touristiques sur les sites préservés. Mais en plus, les communautés riveraines des AMP perçoivent des subventions étatiques, issues des taxes touristiques versées pour la visite des sites protégés », explique Naeririman Jiddawi, spécialiste tanzanienne des pêcheries. Les populations sont ainsi impliquées dans le maintien et la pérennité du dispositif.
Les résultats de cette étude
menée en Tanzanie doivent vraisemblablement se vérifier aussi dans
d’autres régions du monde où ont été développés tourisme marin et AMP,
du Brésil à Madagascar, de la Thaïlande au Kenya. « Ils fournissent surtout des arguments précieux pour contrer les réticences à la mise en place d’AMP », conclut Rodolphe Devillers.
- CONTACTS
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Rodolphe Devillers, ESPACE-DEV
(IRD/Université de Montpellier/Université Guyane/Université de La
Réunion/Université de Nouvelle-Calédonie/Université des
Antilles/Université de Perpignan Via Domitia)
Retrouvez les publications de Rodolphe Devillers
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Sébastien Desbureaux, Centre d'économie de l'environnement de Montpellier / Inrae
- Narriman Jiddawi, Zanzi Marine and Coastal Solutions; Institute of Marine Sciences
Source : https://lemag.ird.fr/fr/les-ai...