Le problème de l'aspect énergétique des sports d'hiver

Publié par PLISKINE ROBERT, le 26 décembre 2023   660

Ski et réchauffement climatique
De l'art de se créer des problèmes artificiels pour en résoudre des naturels : l'évolution du ski et des stations de ski.

De tout temps, l'Homo sapiens a remarqué que, durant la saison froide, il tombe de la neige, d'autant plus qu'il fait plus froid, qu'on se dirige vers le Nord ou vers les cimes. Arrivée au sol, cette neige "tient" si le sol est très froid, sinon elle fond en eau.

Homo sapiens a remarqué que la neige gêne les déplacements : elle est molle et on s'y enfonce, elle est glissante et on dérape en marchant dessus. Mais le génie d'Homo sapiens a toujours été de résoudre les problèmes, si possible en les transformant en avantages. Dès la préhistoire, dans les régions du Grand Nord (Scandinavie), il a résolu les deux problèmes d'un seul coup en attachant des planches de bois à ses pieds par des lanières. Non seulement il ne s'enfonçait plus dans la neige molle, mais en utilisant sa glisse il se déplaçait plus vite. Le ski était inventé. Une des villes proches d'Oslo (Norvège) s'appelle d'ailleurs “Ski”. C'était une solution si excellente pour se déplacer sur la neige qu'elle s'est répandue dans le monde entier, s'améliorant sans cesse (structure et forme des planches, fixations, spécialisation selon les neiges) et même en adaptant son principe (augmenter la surface portante pour pouvoir glisser) même sur l'eau (ski nautique) ou l'air (saut à ski).

Comment le ski est-il passé de "solution" à "problème" ? En sortant de ce qu'on appelle en maths "son domaine de définition" : moyen de se déplacer sur de la neige. En fait, le "vrai" ski est le ski de fond. Il est vite apparu que ce moyen de transport était aussi un plaisir et s'est développé le ski sportif. Alors que l'application de base était de se déplacer sur des zones en pente limitée, avec des dispositifs antiglisse (au départ des peaux de phoques) pour éviter de reculer et pouvoir monter des pentes, c'est la descente à une vitesse grisante qui est le plaisir, pas la montée. Surtout en montagne. Pour permettre au plus grand nombre d'en profiter - et pas seulement aux sportifs capables de monter jusqu'aux sommets par leur seule énergie - on a créé des machines , comme le fait toujours Homo sapiens : remonte-pentes en tout genre, téléphérique etc... Par la même occasion, on a créé des zones artificielles aménagées avec de la neige tassée et débarrassée d'obstacles, les pistes.

C'est cette facilité à skier qui a créé le problème : le tourisme de masse, dont les problèmes intrinsèques au tourisme de masse (dégradation des sites, embouteillages, transformation de champs en parkings...) et celui de permettre à tous, même inexpérimentés et/ou fatigués, d'atteindre des vitesses élevées à travers une foule dense de skieurs à des vitesses très différentes, ce qui cause des accidents. De même, ce tourisme de masse a des implications économiques importantes sur le bâtiment, les emplois directs et indirects etc... Cet exposé ne se concentrera que sur l'aspect énergétique du sujet.

Pour faire fonctionner les divers remonte-pente, il faut fournir de l'énergie, en principe électrique. Combien ? Pour ceux que les calculs rebutent, ils peuvent sauter le passage suivant en italique.
En première approximation, pour monter une masse de 100 kg (skieur + équipement) sur une hauteur de 700 m (moyenne dans les Pyrénées), il faut environ 700 000 joules, soit 7 x 105 J. En prenant un débit moyen de 2 000 personnes/heure, une remontée mécanique consomme 1,4 GigaJoule à l'heure, soit sur une journée de 8 heures, environ 11,2 GJ. Pour tenir compte des frottements ski/neige des téléskis, et du rendement des moteurs électriques et des lignes d'alimentation, on peut tabler sur une consommation énergétique de l'ordre de 15 GJ par jour et par remonte-pente. Soit en gros 5 000 kWh. A multiplier par le nombre de remontées mécaniques du domaine skiable.

Que devient cette énergie ? L'énergie potentielle acquise par les skieurs va être dissipée dans la descente en frottements ski/neige, skieur/air, donc se transformer intégralement en chaleur. Qui participe au réchauffement de l'air ambiant et globalement au réchauffement climatique, et fait fondre la neige. Sans neige, pas de ski. Il faut donc renouveler celle qui a fondu.

Dans les zones où le climat est froid (Grand Nord, montagnes élevées), le manteau neigeux se renouvelle régulièrement. Sinon, dans des cas de plus en plus nombreux, il faut le renouveler par de la neige artificielle produite par des "canons à neige", joliment appelée "neige de culture". Ces canons à neige, combinaisons de réfrigérateurs et d'aérosols, consomment beaucoup d'énergie. En fait, ils participent au circuit énergétique : chaleur - fonte de la neige - fabrication de la neige avec production parasite de chaleur (principe des pompes à chaleur).

En pratique, on va consommer beaucoup d'énergie pour absorber la chaleur produite par l'énergie consommée par les remonte-pentes. Bel exemple de cercle vicieux.

A l'époque où l'on s'inquiète du réchauffement climatique (sauf quand on organise des Jeux Olympiques d'Hiver dans le désert saoudien), c'est un bon sujet de réflexion pour décideurs : comment continuer à lutter contre ce réchauffement climatique sans sacrifier l'économie des stations de sports d'hiver ? Certaine stations ont déjà évolué vers un "tourisme 4 saisons" en se consacrant aux sports de glisse sur le cœur le plus froid de la saison, et en développant les multiples activités sportives et touristiques qu'offre la montagne du printemps à l'automne.

C'est d'ailleurs ce qu'ont commencé à faire certaines stations qui on réalisé que la fuite en avant de construire toujours plus de canons à neige est une voie sans issue.