La spirale périodique de Roger Caillois

Publié par Vincent Dubost, le 31 octobre 2019   1.2k

On oppose encore "littéraires" et "scientifiques", art et sciences. Pourtant cette frontière est des plus poreuses. Rendons alors hommage aujourd'hui à un écrivain et sociologue : Roger Caillois, dont le génie est d'avoir jeté des passerelles hardies entre les deux champs ! Il a écrit à deux reprises sur le Tableau Périodique dont nous célébrons les 150 ans. Dans un de ses textes, publié dans "La dissymétrie", il se permet une suggestion audacieuse ! Citons le "Je me demande si la table de Mendeleïev, qui classe tous les corps simples à la fois connus, possibles et concevables suivant le nombre de leur corpuscules et selon leur affinités chimiques, ne serait pas plus lisible et plus éloquente encore, si l'habitude était prise de la disposer en spirale plutôt qu'en damier : les mêmes propriétés se retrouveraient étagées dans les différents secteurs qui vont s'élargissant du centre vers la périphérie, avec d'ailleurs les mêmes poches et boursouflures que l'on constate dans la présentation actuelle. Le retour périodique de corps à affinités analogues, en même temps que la force d'expansion de la nature apparaîtraient avec plus d'évidence. En tout cas, un hommage rendu à pareille place à la spirale que forme également, projetées sur un plan, les nébuleuses, la nacre des mollusques et la disposition des feuilles sur la tige, ne manquerai pas, même ici, de justification"

Mais cette idée de disposer les éléments chimiques en spirale fut l'objet d'une ancienne classification, antérieure au Tableau Périodique : la Vis Tellurique de Champcourtois. Ceci semble inconnu à Caillois. De plus, pour revenir sur la structure du tableau périodique et la spirale, apportant des bases physiques que discours de Caillois, il est vrai que la disposition des éléments chimiques tient à deux forces antagonistes : l'une d'accroissement avec l'augmentation du numéro atomique, qui tendrait à les faire disposer sur une ligne, l'autre au potentiel coulombien exercé par le noyau positivement chargé sur les électrons négativement chargés qui elle est une force de confinement. La spirale résulte toujours du conflit entre l'accroissement et le confinement.

Pour conclure, dans la myriade de tableaux périodiques qui apparaissent à l'occasion de cette année, quel challenge pour un artiste-chimiste de réaliser la classification que Roger Caillois avait en vue !