La physique quantique dans l'affaire du Chat de Schrödinger
Publié par Mathilde Chasseriaud, le 31 juillet 2017 2.4k
Que cela soit sur Internet ou sur un coussin moelleux, les chats sont présents dans bon nombre de moments de notre vie quotidienne. Mais saviez-vous qu’ils étaient présents...en physique aussi ? En physique quantique plus précisément. En 1935, le physicien Erwin Schrödinger décrivait à Albert Einstein dans l’une de leurs correspondances une expérience de pensée faisant intervenir un chat. Non pas pour déterminer s’il retomberait sur ses pattes après un saut périlleux, mais pour pointer du doigt un paradoxe (1) de la physique quantique. Mais comment un chat peut-il remettre en cause un principe, qui plus est fondamental, en physique quantique ?
Pour comprendre cela, il est nécessaire de remonter dans le temps, à l’ère de la physique « classique ». Jusqu’à la fin du XIXème siècle, cette physique dite « classique » a permis d’élaborer les théories scientifiques à l’origine de notre compréhension du monde et de l’univers. Parmi ces travaux figurent ceux de Galilée (mouvements des corps), d’Isaac Newton (les 3 lois du mouvement) et d’Archimède, avec la fameuse poussée concernant tout corps plongé dans un liquide.
Mais entre 1897 et 1911, une série de découvertes et expériences ont amené les physiciens à revoir leurs connaissances sur l’atome, sa structure et ses propriétés. Ce n’est plus une particule indivisible, son noyau est entouré d’un nuage électronique, il est aussi possible de lui arracher des électrons, il peut émettre des rayonnements radioactifs et même changer de nature. En parallèle, les lois de la physique « classique » ne permettaient plus de rendre compte de certaines observations expérimentales, notamment l’effet photoélectrique. Expliqué par la théorie de l’électromagnétisme, cet effet s’observe lorsqu’un matériau de nature métallique est exposé à la lumière.
A l’époque, la théorie de James Maxwell définissait la lumière comme étant une onde. Or, cette théorie « classique » d’une onde ne suffisait pas à expliquer cet effet. Tantôt une onde, tantôt des corpuscules, plusieurs postulats sont proposés quant au mystère de la nature de la lumière.
En 1905, Albert Einstein émet l’hypothèse que la lumière est bien une onde mais qu’elle est aussi composée de particules (ce que l’on appellera plus tard les photons). Le physicien introduisit ainsi le concept de dualité onde-corpuscule, qui sera généralisé par la suite pour tout type de particule, ainsi que le quanta d’énergie (2) (pour désigner les particules de lumière). C’est ainsi qu’apparu le terme de physique « quantique ».
UN PRINCIPE PLUTOT DEROUTANT
Bien que résolvant le mystère de la nature de la lumière, ce concept de dualité onde-corpuscule souleva à son tour de nouveaux questionnements. Une particule peut être dénombrée et sa position dans l’espace déterminée précisément. Une onde quant à elle ne peut être dénombrée ni localisée de manière exacte puisqu’elle s’étend dans l’espace.
Etant à la fois onde et particule, la lumière devrait être à la fois localisable, dénombrable et son contraire : la lumière devrait se trouver dans plusieurs états à la fois. Cette « compatibilité d’états multiples » a mené à l’émergence d’un des principes majeurs du monde quantique : le principe de superposition.
Pour déterminer la position d’une particule, un électron par exemple, des probabilités entrent en jeu. Les physiciens chercheurs peuvent ainsi émettre l’hypothèse qu’un électron a 80% de chance de se trouver à un endroit xA, 63% de chance de se trouver à un endroit xB et enfin 16% de se trouver à un endroit xC (Fig.1).
D’un point de vue mathématique, la position de l’électron est « distribuée selon une loi de probabilité » (ou fonction d’onde). En d’autres termes, l’électron a 80% de chance d’être en xA, mais aussi 63% de chance d’être en xB et 16% de chance de se trouver en xC : l’électron ne peut donc pas être localisé en un point précis de l’espace et peut être à plein d’endroits différents.
Un objet physique microscopique peut donc, en physique quantique, se trouver dans des états superposés. Mais cette propriété, au même titre que la physique quantique, n’est pas vraiment acceptée par tous les physiciens de l’époque. L’un d’eux, Erwin Schrödinger, proposa en 1935 une expérience de pensée pour pointer les limites théoriques de ce principe. Il s’agit de la fameuse expérience de pensée (3) plus connue sous le nom du « chat de Schrödinger ».
UN CHAT ET UNE BOITE NOIRE
Dans cette expérience, un chat, est enfermé dans une boîte noire, à l’abri des regards (ne permettant donc pas aux expérimentateurs de voir ce qui se passe à l’intérieur) avec une source de radioactivité (des noyaux d’atomes radioactifs). Un compteur Geiger permet de mesurer le niveau de radioactivité émise dans la boîte et est relié à un mécanisme pouvant briser une fiole contenant un gaz mortel (mécanisme dépendant du niveau de radioactivité mesuré par le compteur) (Fig.2).
La radioactivité se mesure en nombre de désintégrations par unité de temps (secondes, minutes, années…). N’étant pas un phénomène stable, il n’est pas possible de déterminer à quel moment un noyau radioactif va se désintégrer. Tout comme l’électron, la désintégration du noyau suit une distribution selon une loi de probabilité. Il n’est donc pas possible de déterminer exactement à quel moment les noyaux se désintègreront, ni finalement le taux de désintégration.
Tant que le nombre de désintégrations du noyau est faible, le compteur Geiger ne détectera pas un taux élevé de radioactivité et la fiole restera intacte. Mais si le compteur détecte un nombre de désintégrations élevé dépassant un certain seuil, le mécanisme mortel se déclenchera.
L’état du félin dépendant directement du taux de désintégration des noyaux radioactifs, il n’est pas possible de déterminer si le chat est mort ou vivant. La physique quantique répond à cela en le plaçant dans des états superposés : le chat de Schrödinger est à la fois mort et vivant.
LE QUANTIQUE RESTE AU MICROSCOPIQUE
Mais comment un chat pourrait-il être à la fois mort et vivant ? Biologiquement, cela n’est pas possible. S’il est aisé d’appliquer le principe de superposition à des particules microscopiques (comme des électrons ou un atome), cela se complique lorsque l’on considère un élément macroscopique et vivant, tel un chat.
En réalité, ce principe quantique ne peut pas s’appliquer au monde macroscopique (avec certaines exceptions au niveau microscopique même selon des théories à venir -voir théorie de la décohérence plus loin-). Lorsque l’on ouvre la boîte, le chat n’est pas dans un état superposé mais bien mort ou vivant. C’est cette limite du principe de superposition que voulait pointer le physicien Erwin Schrödinger avec cette expérience de pensée quelque peu osée.
L’état ni mort ni vivant de ce chat a été source de multiples interrogations. Bien que l’Ecole de Copenhague ait réfuté cette expérience de pensée, d’autres physiciens se sont penchés dessus et ont proposé des solutions, chacune assez élégante au paradoxe. La théorie d’Everett par exemple propose l’existence d’univers parallèles, dans lesquels se trouverait chacun des 2 états de l’atome. Une autre théorie, celle de la décohérence quantique, explique pourquoi est-ce qu’en ouvrant la boîte le chat se trouve dans un des 2 états.
En regardant ce qu’il se passe dans la boîte noire, l’observateur agit seul sur le milieu expérimental, induisant une perturbation. Cela se répercuterait sur la fonction de probabilité qui s’effondrerait alors et forcerait le système (les noyaux et le chat) à adopter l’un des états superposés. Ce débat, toujours d’actualité, s’est également orienté vers des pistes de réflexion mêlant philosophie et épistémologie, permettant d’aborder la notion d’état d’un autre point de vue.
Cette nouvelle approche proposée par un groupe de chercheurs travaillant sur l’ontologie CSM (4), permettra peut-être de lever le voile sur le mystère du chat de Schrödinger et de le libérer enfin une bonne fois pour toutes de sa prison quantique.
(1) Un paradoxe désigne une proposition allant à l'encontre de l'ordre logique.
(2) Un quanta d’énergie représente la plus petite mesure, indivisible, en physique.
(3) Une expérience de pensée, contrairement à une expérience matérielle, est imaginée dans le but d’essayer de trouver une solution à une question en faisant appel uniquement à l'imagination de la personne réfléchissant au problème.
(4) Contexte, Système, Modalité L’équipe Auffèves-Farouki-Grangier (Institut Néel, CEA et LCF) présente une nouvelle approche de la physique quantique dans l’article « Auffèves, A. & Grangier, Contexts, Systems and Modalities : A New Ontology for Quantum Mechanics", P. Found Phys, Volume 46, Issue 2, pp 121–137, 2016 ».
N.B : Cet article a été rédigé pour le cours de vulgarisation scientifique dans le cadre du second semestre du Master Communication et Culture Scientifiques et Techniques (Université Grenoble Alpes)