La nébuleuse des pedagogies alternatives
Publié par Université de Montpellier UM, le 31 octobre 2018 1.7k
Quelle école choisir ? Quelle méthode pédagogique conviendrait le mieux à mon enfant ? Comment va-t-il s’adapter au rythme scolaire ? À l’enseignant ? A l’heure de choisir la scolarité de leur progéniture, certains parents se tournent vers les pédagogies alternatives. Quelle est la nature de ces nouvelles formes d’enseignements ? Sylvain Wagnon, professeur à la Faculté d’éducation explore la « nébuleuse » des pédagogies alternatives.
Depuis une dizaine d’années, les médias et plus récemment les réseaux sociaux se font le relais des pédagogies dites alternatives. Un phénomène nouveau et difficile à définir comme le souligne Sylvain Wagnon qui évoque une « nébuleuse ». « Nous ne sommes pas face à un groupe structuré. Sous le terme pédagogie alternative on peut trouver beaucoup d’écoles et de pédagogies très différentes. »
On trouvera néanmoins dans la plupart d’entre elles un discours de présentation basé sur l’épanouissement personnel et global de l’enfant. « Les valeurs présentées sont la plupart du temps très altruistes, avec les notions de bien-être, de bonheur et de bienveillance ».
Les promoteurs de ces écoles soulignent toujours l’importance du respect des rythmes d’apprentissage, des besoins physiques, du développement de l’autonomie, de la confiance en soi, de la coopération entre enfants. Ces écoles privilégient les activités dites actives et les effectifs réduits. « Vous avez, par exemple, les écoles dites démocratiques qui se développent rapidement à Montpellier et ailleurs. Ce sont de toutes petites structures de moins de quinze enfants pour la plupart. D’ailleurs le mot école n’est pas vraiment adapté, ce sont plutôt des lieux d’apprentissage différents », explique le chercheur.
Inspirées des pédagogies nouvelles
Un discours loin d’être nouveau puisqu’il s’inspire des pédagogies nouvelles développées entre la fin du 19e et le début du 20e siècle par des médecins, aujourd’hui bien connus, tels que Maria Montessori, ou Ovide Decroly, mais aussi d’autres personnalités comme Rudolf Steiner ou Célestin Freinet. « À l’époque, ces pédagogues évoquent déjà la nécessité de rénover l’éducation, de penser la pédagogie à partir de l’enfant. D’ailleurs ils parlent d’enfant pas d’élève », explique Sylvain Wagnon.
Mais pour ce spécialiste de l’histoire de l’éducation, si les pédagogies nouvelles se sont construites autour de ces grands praticiens et théoriciens, les pédagogies alternatives refusent quant à elles de se définir exclusivement par rapport à ces figures jugées historiques. « Elles se nourrissent de Steiner, Freinet, Decroly, surtout de Montessori dont elles revendiquent l’esprit, mais elles ne veulent pas s’enfermer dans une seule pédagogie et ça c’est vraiment la nouveauté. Vous avez une très grande variété, jusqu’à certains courants qui refusent même l’idée de pédagogie comme certains militants de l’instruction à domicile. » Un mode d’instruction très médiatisé mais qui selon le chercheur ne représente que quelques milliers d'enfants sur les millions d’enfants scolarisés.
Anti-système
Comme leurs aînées, les pédagogies alternatives se sont développées par rejet de l’éducation traditionnelle accusée de ne pas donner aux enfants les moyens de s’épanouir. Une critique que Sylvain Wagnon explique également par l’histoire du système éducatif d’Etat voulu par Jules Ferry comme « un creuset commun, un lieu de construction du citoyen français. On lui reproche déjà à l’époque un côté caserne où le groupe prime sur l’individu ». Un système qui présente l’avantage d’accueillir tous les enfants, mais qui reste « très lourd et très hiérarchisé, qui peine à s’adapter aux changements en cours dans la société ».
Si le discours de ces pédagogies alternatives véhicule des idées très positives, le chercheur met cependant en garde contre le manque de recul et affirme la nécessité « d’analyser, sans procès d’intention, ce phénomène émergent afin de ne pas se suffire du discours ambiant. » Car si ces pédagogies ont le mérite d’offrir de nouvelles pistes de travail, elles ne peuvent faire l’économie de certaines réflexions.
Et pour commencer, une réflexion sur leur définition ; car si le discours semble à priori toujours très positif, « on peut trouver sous la dénomination pédagogies alternatives à peu près tout, de l’école libertaire aux enseignements fondamentalistes religieux ». Plus simplement, cette absence de cadre pose la question de la formation et de la reconnaissance des enseignants et de leur rôle. « N’importe qui peut demain, s’il le souhaite, monter une école Montessori. Elle en aura le nom mais pas forcément le contenu. »
Une école hors société ?
Se pose également la question de l’accès à ces structures alternatives. Avec un prix pouvant monter jusqu’à 5000 euros l’année voire beaucoup plus, la prétention de ces pédagogies à une mixité sociale se trouve fortement limitée avec « le risque d’un repli sur soi ou d’un entre-soi. On ne peut pas utiliser les mots alternatif et démocratique qui sont des mots très forts et derrière ne pas se poser la question de l’accès pour tous. »
Enfin sans doute faut-il questionner la finalité de ces pédagogies alternatives. Car si l’épanouissement personnel reste au cœur de leur discours, peut-on vraiment envisager un individu épanoui mais seul ? « Il y a une finalité dans l’éducation qui est importante c’est le vivre ensemble, qu’il ne faut pas oublier conclut Sylvain Wagnon. Après comment on le met en musique, c’est tout le charme de l’éducation. »