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La domestication du safoutier à travers les noms locaux

Publié par IRD Occitanie, le 6 septembre 2023   860

Une équipe franco-camerounaise - impliquant des scientifiques des UMR SENS et DIADE - s’est penchée sur la manière dont les planteurs de safoutiers nomment les différentes variétés de leurs fruits. Menée auprès d’une ethnie Béti au Cameroun, cette étude montre comment les désignations en langue locale reflètent les valeurs, les préférences et en filigrane, la sélection exercée sur cette ressource végétale.

Qu’est ce qui se cache derrière les noms vernaculaires ? Une diversité de valeurs et autant d’indices de sélection pour comprendre la domestication d’un arbre fruitier africain.

Safoutier du Cameroun

© IRD - Stéphanie Carrière

Entre écologie et société, la diversité des safoutiers

Abeng, Itobo, Midjono, de quoi s’agit-il ? De noms donnés par une ethnie Béti, les Eton du Cameroun, aux safous, fruits très appréciés des populations. D’ailleurs, ce pays est le leader des exportations de ces « prunes» africaines vers d’autres pays du continent et vers l’Europe. L’arbre en question, le safoutier, originaire des forêts d’Afrique centrale, y est largement cultivé pour ses fruits qui contribuent de manière significative à la sécurité alimentaire et à l'économie des ménages. Ce fruit oléagineux est si apprécié que tout un chacun plante cet arbre, même en ville dans les jardins ou en périphérie. En milieu rural, il est abondant comme arbre d'ombrage dans les systèmes agroforestiers à base de cacaoyers et caféiers. Mais comment les producteurs perçoivent-ils la remarquable diversité de ses fruits ? « Nous cherchions à analyser les liens entre les systèmes socio-économiques et écologiques qui aboutissent à cette grande variété de safous, raconte Stéphanie Carrière, ethnoécologue à l’IRD et qui a piloté l’étude. Pour ce faire, nous avons choisi un point d’entrée encore peu exploré pour répondre à la question : en quoi les systèmes de nomenclature reflètent les caractéristiques jugées importantes par les producteurs et donc les valeurs qui sont derrière ? ». 

Agro-forêt au Cameroun

© IRD - Stéphanie Carrière

Enquête linguistique auprès d’une ethnie Béti

Si le mot safou vient du Kikongo, une des langues parlées en Afrique centrale - ce fruit qui affiche une couleur allant de blanc, rose, bleu à violet foncé - est désigné par un nombre impressionnant de noms rien qu’au centre Cameroun. Les scientifiques ont émis l’hypothèse que les noms reflétaient aussi bien les traits d’histoire des arbres (échanges entre producteurs, lieux de plantation) que les critères de forme, de taille, de goût et de couleur des fruits. « Pour démêler les moteurs biologiques, culturels et socio-économiques de la nomenclature locale, expose Mélanie Tsogo, membre du projet Arbopolisnous avons mené des entretiens auprès de 142 personnes de l'ethnie Eton, en milieu urbain (Yaoundé), périurbain et rural. ». Bien que la nomenclature intuitive établie par les populations puisse parfois être différente de la classification scientifique (sur des bases morphologiques, génétiques, écologiques), elle n’en contient pas moins des informations dont les auteurs ont su tirer parti.

Safou du Cameroun

© Adobe stock

Les valeurs symboliques contribuent à la nomenclature

Les 158 noms différents d’ethnovariétés ont été recensés par le binôme Taina Lemoine, étudiante de M2 à Montpellier et Mélanie Tsogo, le long d’un gradient d'urbanisation reliant les régions de production (campagne) aux régions de consommation (ville). Leur traduction permet par exemple de les relier à des critères morphologiques ou organoleptiques : bissono se traduit par « larmes », suggérant l'extrême acidité du fruit tandis qu’apouma sa'a signifie « prune blanche. En effet, les noms reflètent les préférences des populations en matière de fruits : les gros fruits gras et bleus-violets-noirs sont plébiscités. Même si 80 % des noms ont été cités une seule fois, certains noms basés sur la taille et le goût des fruits sont communs aux différentes régions. « La classification des safous chez les Beti est structurée principalement selon des critères morphologiques et organoleptiques mais aussi selon des critères symboliques et pratiques, pointe Stéphanie Carrière. Les noms donnent ainsi des renseignements sur le milieu dans lequel l’arbre est planté. Ce qui est rendu visible par l’analyse de ces noms, c’est aussi le fait que « la dénomination des variétés cultivées est influencée, d’un côté par des processus sociaux comme les modes d’échanges de graines, de leurs noms et d'autres connaissances associées et, d’un autre, par des faits biologiques comme le mode de reproduction de l’espèce », et donc éclaire sur les pratiques, les savoirs et au final sur le processus de domestication en cours. 


Publication : T. Lemoine, A. Rimlinger, J. Duminil, C. Leclerc, V. Labeyrie, M. Tsogo, S. M. Carrière. 2023. Untangling Biocultural and Socioeconomical Drivers of African Plum Tree (Dacryodes edulis) Local Nomenclature Along a Rural‑Urban Gradient in Central Cameroon. Human Ecologyhttps://doi.org/10.1007/s10745-023-00427-8

Contacts science : Stéphanie Carrière, IRD, UMR SENS STEPHANIE.CARRIERE@IRD.FR


Mélanie Tsogo, consultante camerounaise ERMIDES2002@YAHOO.FR


Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet, COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR

Sourcehttps://www.ird.fr/la-domestic...