Interview - Alain Blanchard, cosmologue, sur la vulgarisation et la nature de la recherche

Publié par Hugo Pardinilla, le 13 décembre 2020   2.3k

Article rédigé  par Hugo Pardinilla, étudiant en Master 2 Communication et Culture Numérique, dans le cadre de la série Portraits de bénévoles.

Alain Blanchard est professeur d'astrophysique à l'université Toulouse III Paul Sabatier et chercheur à l'IRAP (Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie). Il a également effectué plusieurs conférences de vulgarisation scientifique au sein des Chemins Buissonniers, association mêlant art et sciences. Pour la présente interview, nous choisissons justement l'angle de la vulgarisation pour aborder son domaine de recherche, la cosmologie, ainsi que le métier de chercheur.

 

Bonjour Alain ! Pour commencer, pourquoi vous-êtes vous engagé dans l'association Les Chemins Buissonniers ?

L'IRAP étant le seul laboratoire d'astrophysique dans la région de Toulouse et mon domaine étant la cosmologie, je suis assez sollicité sur cette thématique. Je fais assez volontiers, 3 à 4 fois par an, des conférences de vulgarisation. Souvent, ce sont des conférences grand public organisées par des associations comme des associations d'astronomes amateurs. J'ai connu Les Chemins Buissonniers il y a 5 ans environ parce qu'on ma contacté pour tenir des conférences dans le cadre du festival Rieumes sous les étoiles. Récemment, j'ai participé au projet de valorisation du patrimoine local Les Buissonnances organisé par l'association. 

Je suis passionné d'astronomie avant même d'en avoir fait mon métier : en 3ème, j'avais déjà fait un exposé d'astronomie à ma classe : j'avais déjà un goût pour la vulgarisation et je l'ai gardé.

 C'est vraiment l'aspect vulgarisation qui me plaît et il y a eu avec Les Chemins Buissonniers cette jonction avec le monde des arts que je ne connaissais pas du tout. J'ai eu l'occasion d'insérer mes conférences dans un cadre où il y a aussi une dimension artistique. On a par exemple rencontré un musicien, Jorge Saraniche, qui était très intéressé par l'astronomie, qui m'a un peu interviewé sur mon domaine de connaissance et qui a construit un pendant musical et poétique autour de mes conférences. On a monté un spectacle à deux ou je fais une petite séquence d'astronomie et lui reprend une séquence musicale avec des textes en argentin, avec sa vision et sa sensibilité. Le spectacle s'appelle El Gaucho des étoiles.

Affiche par Paula Bearzotti

Je sais que l'association est très sensible à offrir quelque chose pour les non-voyants : typiquement, pour ma conférence, il y a quelqu'un qui traduit en langage des signes.


A propos d'accessibilité, comment fait-on pour intéresser le public à un domaine aussi pointu que l'astrophysique ?

C'est pointu, mais il suffit de lever la tête pour voir les étoiles donc c'est quand même un monde qu'on peut appréhender. Je pars de l'image du ciel. Le spectacle avec Jorge, on l'a fait de nuit la première fois. Le public était couché, regardait le ciel et je l'invitais à voyager à travers l'espace dans cette vision des étoiles : qu'est-ce que c'est que les étoiles, les galaxies… les gens sont en principe intéressés par l'astronomie, après c'est à moi d'avoir un discours appréhendable par le commun des mortels. Malgré le fait qu'il s'agisse de physique très compliquée, on arrive à faire manipuler des idées qui sont compréhensibles par le grand public. La partie technique de la science est là pour donner des bases numériques précises, mais une grande partie de la physique, c'est quand même presque du quotidien qu'on "touche".


A trop vouloir vulgariser, est-ce qu'il n'y a pas une perte d'informations, est-ce qu'on ne falsifie pas certaines choses ?

C'est une vrai question effectivement. J'essaie d'arriver à un discours a la fois très simple et sans erreur. Si les gens veulent essayer d'intégrer le discours et reconstruire eux-mêmes des choses derrière en revanche, il y a de grands risques qu'ils se trompent. Ce n'est pas parce qu'on a donné la vision intuitive et correcte que l'on peut ensuite enchaîner sur une construction derrière. 

Je sais que mon discours s'appuie sur un cadre formel. Prenons l'exemple de la relativité générale, qui est quand même une des choses les plus abstraites et difficiles à concevoir. La gravitation courbe l'espace. Ainsi, si la trajectoire classique d'une bille sur un plan est une ligne droite, la théorie d'Einstein dit que si une masse est présente quelque part, la surface n'est plus plane, elle est courbée, la trajectoire de la bille est courbée. Ainsi, même une théorie aussi compliquée, on peut en donner une idée intuitive. Si on peut trouver un équivalent concret, pratique, alors on peut vulgariser.

 

Le principe des Chemins Buissonniers est de mêler arts et sciences. A votre avis, qu'est-ce qui rapproche le scientifique de l'artiste ?

Les scientifiques vont utiliser des connaissances d'une façon rigoureuse. Par exemple, quand on traverse un pont, il faut que ce dernier soit construit avec la rigueur qu'il faut pour que le pont ne s'écroule pas, mais il n'y a pas de recherche individuelle, on n'est pas dans la création. Un chercheur en revanche, doit en principe avoir une logique de création : qu'est-ce qu'on ne connaissait pas hier ? quelle est la nouvelle question qu'il faut se poser ? Et si on arrive à y répondre, c'est encore mieux. On est, selon mon point de vue, dans une démarche plus proche de la création artistique que de la rigueur scientifique.

 

Ce serait donc cette idée d'expérimentation : on compose avec ce qu'on connaît, on fait des expériences avec ce qu'on a sous la main et c'est à partir de là qu'on avance ?

Oui ! Il y a plusieurs types d'avancée en sciences. D'abord les avancées attendues : on sait que si on avance dans telle direction avec les outils qu'on a, on va progresser. Mais il y a aussi les avancées "de rupture", beaucoup plus difficiles à anticiper. La recherche est plus dans la rupture. Un chercheur est quelqu'un qui veut a priori atteindre une rupture, en opposition à une espèce de croissance linéaire.

 

Si la rupture est imprévisible, comment fait-on, en tant que chercheur, pour l'atteindre ?

"Tenter de planifier des découvertes est un non-sens. Toute vraie découverte est faite par accident, dans le cadre de la recherche, c'est-à-dire dans l'exploration de l'inconnu." a dit Thomas Ebbesen, médaillé d'or du CNRS en 2019.

Il faut explorer un peu ce qu'on ne connait pas bien avec les outils qu'on a, et c'est au cours de cette exploration que des choses totalement nouvelles peuvent apparaître.

 

On entend souvent dire que les plus grandes découvertes l'ont été par hasard. Ce serait donc aussi le cas aussi pour beaucoup d'avancées plus mineures ?

Je ne sais pas si c'est du hasard, parce qu'en même temps…

On force la chance ?

Oui, il y a d'abord le fait de forcer la chance… on cite beaucoup Pasteur qui a trouvé le principe du médicament par erreur. Je ne sais pas si c'est réel mais ça montre bien qu'on est préparé à certains modes de fonctionnement et que s'il n'y a plus de cadre, si quelque chose n'est pas normal, on va le regarder de plus près. Un chercheur va essayer de chercher ce qui ne marche pas pour essayer de le comprendre plutôt que de progresser linéairement.

 

En astrophysique, ça se concrétise comment ?

Pour reprendre l'analogie entre le travail de chercheur et l'artiste, il y a des domaines où on fait un travail technologique. Par exemple, la découverte des ondes gravitationnelles il y a quelques années était prévue depuis 100 ans par Einstein, et on a construit des instruments de plus en plus performants pour essayer de trouver ces ondes.

 

On supposait donc qu'elles existaient et on attendait juste de prouver leur existence ?

Les physiciens étaient à peu près tous convaincus mais on ne les avait encore jamais observées. Ca faisait à peut près 40 ou 50 ans qu'on construisait des instruments pour essayer de les voir, donc la capacité d'innovation était technologique.

Ce qui était très surprenant, c'est que la source des ondes gravitationnelles n'était pas du tout celle à laquelle on s'attendait. Cette recherche qui avait un objectif fixe depuis un siècle a abouti, mais on a découvert des trous noirs, des masses énormes, beaucoup plus grandes que celles qu'on avait imaginées, et ce qu'on a trouvé n'était pas le signal de ce qu'on avait imaginé au départ. La source des ondes n'est pas celle qui était préjugée : la découverte n'est pas exactement là ou on l'attendait.

 

Aujourd'hui, quand on est chercheur en astrophysique, sur quoi concentre-t-on nos recherches ?

L'avantage du métier de chercheur, c'est qu'on est libre d'aller là où on veut, et en même temps, il y a de grandes questions qui apparaissent et qui focalisent l'attention de tout le monde. Un des grands sujets depuis quelques années, c'est la découverte des exoplanètes. Pendant très longtemps, les planètes, c'était autour du soleil, point. Personne ne pouvait répondre à la question "y'a t-il des planètes ailleurs", c'était donc un sujet très peu regardé, et le jour ou quelqu'un a trouvé une observation convaincante qu'il y a des exoplanètes, une grande partie de la communauté s'est mise à travailler sur ce sujet.

 

Quel est l'objectif de la recherche concernant les exoplanètes ?

Trouver les petits hommes verts, évidemment ! (rires) 

D'abord trouver des planètes analogues à la Terre. Pour l'instant,  on a plutôt trouvé des objets plus gros, mais on se doute qu'il y en a comme la Terre. Une fois qu'on aura trouvé, on en cherchera avec une atmosphère, puis avec de l'eau, puis des traces de vie…

 

Je regardais justement il y a quelques jours une vidéo de Science Étonnante (chaîne de vulgarisation scientifique) qui revient sur la croyance que l'univers est tellement grand qu'il y a forcément, en même temps que nous, la vie ailleurs. La vidéo tente de démontrer que les conditions pour que la vie apparaisse sont plus rares que ce que l'on peut penser. Elle revient aussi sur le fait que même si l'on trouvait la vie, il est plus que probable que nous ne pourrions pas communiquer avec. Si cela est vrai et qu'il s'agit d'un rêve inatteignable, pourquoi se focalise t-on tant sur la conquête de l'univers ?

C'est une bonne définition en effet : un rêve. S'il est atteignable ou pas, je ne sais pas, mais du moment que ça nous fait rêver, c'est bon, on y va !

 

C'est donc juste pour faire rêver ?

Je pense que les gens qui s'engagent dans la science ont une croyance dans leur capacité à atteindre des réponses. Dans mon domaine, la cosmologie, on peut se demander si on n'arrivera pas à une croissance beaucoup plus lente de la connaissance une fois qu'on aura compris les grandes questions qu'on se pose. C'est pareil pour les exoplanètes : on va chercher de plus en plus, et peut-être qu'on ne trouvera jamais de planète habitée par la vie, mais on a envie de savoir.

 

C'est donc vraiment la curiosité qui pousse la recherche, plus que la volonté de faire des avancées "utiles" ?

C'est sans doute sujet à débat, mais en recherche, si on regarde l'Histoire, la motivation des chercheurs est toujours une motivation de curiosité d'abord. Cette espèce de curiosité est une source d'avancée "de rupture". On dit souvent "on n'a pas inventé l'électricité en perfectionnant la bougie". Il faut des gens curieux. On aurait pu au début se dire que l'électricité était un phénomène marginal, que c'était compliqué et que ça ne servait à rien.

 

On ne cherche pas à faire des découvertes utiles, mais on en fait en étant curieux.

Oui, c'est particulièrement vrai en mathématique car c'est une discipline la plupart du temps totalement déconnectée de toute réalité immédiate. Quand les nombres négatifs ont été introduits par les mathématiciens, il y a eu des réactions très négatives, alors que maintenant c'est un lieu commun, et personne ne s'étonne de parler de température négative. Mais ça a été une découverte de rupture assez rejetée.

 

Est-ce qu'il y a, de la même manière, des sujets à débat en cosmologie ?

C'est un domaine qui a démarré très tard. On a d'abord fait des découvertes "de base", puis on a abandonné la problématique de décrire l'univers dans son ensemble, et on l'a relancée avec Einstein dans les années 50. Dans les années 60, on découvre qu'il y a eu le Big Bang, les réactions nucléaires… c'est toute une physique qui se développe. C'est un domaine que je considère comme jeune parce qu'il a démarré dans les années 70 environ et ça s'est accéléré de façon dramatique dans les années 90. Il y a eu énormément de progrès entre les années 70 et 90, et la situation paradoxale c'est qu'il y a de plus en plus de gens qui travaillent dans ce domaine alors que les questions sont de plus en plus étroites. Les grandes questions "faciles" ont été résolues et il reste des petites questions difficiles ou quelques grandes questions très difficiles. On est un peu dans cette situation actuellement : on a une grande communauté qui pousse pour faire des expériences, pour aller plus profond, mais avec un potentiel de rupture qui vraisemblablement diminue.

Le Big Bang était un sujet de débat : c'était une théorie défendue par un petit nombre de gens avec des opposants très virulents dans les années 50. Et puis, dans les années 70 son succès était tel qu'il devenait difficile, scientifiquement, de proposer des alternatives. Il y a eu dans les années 80 la théorie de l'inflation qui parle de ce qui se passe quand l'univers est vieux de 10^-30 secondes. C'était totalement en dehors de nos connaissances, il y a eu beaucoup de critiques et petit à petit ces théorie ont amené des prédictions, et les mesures ont montré que ces prédictions étaient en accord avec les observations, donc ce modèle est beaucoup plus accepté aujourd'hui par la communauté scientifique.

 

A l'heure actuelle, y a-t-il des débats de ce genre ?

Il y a des débats par rapport à la théorie de l'expansion accélérée qui dit qu'il existe une force gravitationnelle répulsive à l'échelle de l'univers, comme si, si on lâchait un objet dans l'univers, il s'éloignait de plus en plus. Tous les chercheurs se concentrent sur ce problème, le nombre de partisans d'un point de vue alternatif diminue mais il y a quand même toujours un petit groupe de chercheurs qui ne sont pas convaincus de cette interprétation.

Ça dépend aussi de quel milieu scientifique on parle. Les cosmologues sont tous à peu près convaincus, mais des scientifiques qui ne sont pas dans le domaine (sans en être très éloignés), voient ça de l'extérieur et sont plus sceptiques. Le scepticisme existe donc dans la communauté scientifique, même si ils ne l'expriment pas directement car ils ne sont pas impliqués dans ces recherches.

 

Pour finir sur une question très simple, qu’est-ce que la cosmologie pour vous ?

J'ai écrit un bouquin qui s'appelle Histoire et géographie de l'Univers. Voilà : c'est ça ! (rires).

La cosmologie, c'est tout ce qui a trait à essayer de décrire l'univers dans son ensemble à la fois dans sa dimension historique et géographique. On a la chance d'avoir accès direct à de l'information sur le passé de l'univers car la lumière met du temps à venir jusqu'à nous. C'est plus qu'une empreinte, c'en est vraiment l'image.



Merci à Alain Blanchard pour sa disponibilité ! Son livre est disponible sur Rakuten.

Image de couverture issue de la rencontre avec Alain Blanchard par La Novela.