Inquiets mais pollueurs : les personnels de la recherche face au réchauffement
Publié par Mondes Sociaux, le 1 octobre 2024 220
Article de par Marianne Blanchard, Milan Bouchet-Valat, Damien Cartron, Jérôme Greffion & Julien Gros
L’été 2024 a été le plus chaud jamais enregistré sur la planète. Face à l’inaction climatique, des chercheurs et chercheuses de toutes disciplines se mobilisent depuis plusieurs années pour tenter d’alerter le grand public sur la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Au sein de groupes comme Scientifiques en rébellion, ils et elles conduisent des actions de désobéissance civile, par exemple contre la construction d’un terminal méthanier au Havre en mai 2023, et accompagnent certaines luttes, comme l’opposition à l’autoroute A69 .
Mais qu’en est-il de l’ensemble de la communauté de la recherche ? Le constat d’une urgence à agir est-il partagé ? Et comment les personnels se situent-ils par rapport à leurs propres activités ? En effet, le bilan carbone de la recherche est loin d’être négligeable, entre les déplacements en avion et l’usage d’équipements énergivores. Les projets de grandes infrastructures scientifiques, comme le collisionneur au CERN font ainsi débat : au nom de la connaissance scientifique, peut-on accorder à la recherche un droit à polluer supérieur aux autres secteurs d’activités ?
L’enquête sur les rapports entre le monde de la recherche français et le réchauffement climatique apporte un éclairage à ces questions. Elle a été menée dans le cadre du collectif Labos 1point5, qui travaille à mesurer et réduire l’impact environnemental de la recherche. Cette étude est l’une des plus importantes jamais réalisées sur le sujet : conduite en 2020, elle s’appuie sur un échantillon de plus de 6000 répondant·es et est représentative de la majorité des acteurs et actrices du monde de la recherche publique française, quel que soit leur statut et leur discipline. Ce travail mesure d’une part, les pratiques fortement émettrices de GES, comme les déplacements en avion et l’utilisation de gros équipements expérimentaux. D’autre part, il analyse les représentations des acteurs et actrices de la recherche concernant l’urgence climatique, et ce qu’ils et elles sont prêt·es à mettre en œuvre pour réduire leurs émissions. Il montre un net décalage entre des attitudes très sensibles à l’urgence climatique et des pratiques toujours fortement émettrices de GES.
Une prise de conscience partagée
La réalité, les causes et les conséquences du changement climatique font l’objet d’un fort consensus parmi les personnels de la recherche française. 99 % des répondant·es pensent que « le climat de la planète est en train de changer » et 95 % pensent que les activités humaines jouent un grand rôle dans le changement climatique ou en sont l’unique cause. Ce consensus s’accompagne d’une inquiétude, elle aussi unanime. 99 % des répondant·es se disent préoccupé·es par le changement climatique, et 72 % très ou extrêmement préoccupé·es.
Cette inquiétude s’est aggravée au cours des dernières années : en 2020,80 % des répondant·es se déclarent plus préoccupé·es que 5 ans auparavant (dont 45 % beaucoup plus). De plus, 90 % sont d’accord avec l’affirmation « si les choses continuent au rythme actuel, nous allons bientôt vivre une catastrophe écologique majeure », et 74 % d’entre elles et eux pensent même que « ce type de catastrophe pourrait provoquer un effondrement de nos sociétés ».
Pratiques professionnelles et usage de l’avion
L’un des points centraux de l’analyse concerne l’usage intensif de
l’avion pour des raisons professionnelles. En 2019, 58 % des
chercheur·es interrogé·es ont pris l’avion au moins une fois dans
l’année pour des déplacements liés à leur travail, un taux nettement
supérieur à celui observé dans d’autres professions comparables en
France. En moyenne, chaque chercheur·e génère par ses déplacements en
avion 2 tonnes d’équivalent CO2 par an, soit environ un
cinquième de l’empreinte carbone moyenne d’une personne vivant en
France. Celles et ceux qui ont voyagé en avion dans l’année ont parcouru
en moyenne 15 500 km. [...]
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Crédits : Illustration d’Adèle Huguet pour Mondes Sociaux : licence CC BY-NC-ND / iconixar - Flaticon