Impacts de la déforestation agricole sur la biodiversité : découverte de facteurs longtemps ignorés
Publié par IRD Occitanie, le 15 juillet 2024 360
Une méta-analyse coordonnée par l'Université de Pékin révèle pourquoi les effets des activités agricoles sur la biodiversité varient considérablement à travers le monde. Les résultats, publiés dans Nature Ecology & Evolution, montrent que les contraintes environnementales « naturelles » ou d’origine humaine constituent des paramètres prépondérants dans la sélection des espèces tolérantes aux perturbations.
Les scientifiques d’une cinquantaine d’institutions se sont appuyés sur les observations in situ de la faune avienne effectuées dans 25 pays afin de comprendre ce qui influence les variations de biodiversité observée consécutives à une déforestation d’origine agricole.
Une biodiversité diversement impactée par les activités agricoles
Pour pratiquer leurs activités agricoles, les humains ont déjà transformé 40% des terres émergées et libres de glace de la planète et cela est appelé à s’amplifier. Le processus de déforestation préalable engendre nombre d’effets sur le milieu forestier dont ceux liés à la perte de biodiversité. L’habitat forestier fragmenté et dégradé ne convient plus aux espèces végétales et animales les plus sensibles au changement. Celles-ci disparaissent ou se déplacent comme certains oiseaux ou mammifères strictement forestiers. De ces perturbations résultent des compositions de communautés végétales et animales différentes, à la fois en composition, diversité et abondance. Toutefois, l’ampleur de l’impact de la déforestation agricole sur la biodiversité varie considérablement d’un contexte écologique à un autre. Une fois ce constat fait, comment l’expliquer ? « Les études antérieures se sont concentrées exclusivement sur les caractéristiques du paysage et les types de systèmes agricoles, négligeant le rôle potentiellement critique du filtrage écologique », avancent les auteurs.
Base de données mondiale sur les communautés d’oiseaux
Afin de déterminer les critères clés de la tolérance à la déforestation, l’équipe internationale a mis en œuvre – entre autres - des méta-analyses et des analyses phylogénétiques pour analyser la sensibilité de communautés d'oiseaux à partir d’une base de données mondiale des ratios d'abondance des espèces entre des sites agricoles et forestiers indigènes appariés. Les 71 assemblages d’oiseaux étaient complétés par une base de données concernant 10 traits fonctionnels (biologiques ou comportementaux) pour les 2 647 espèces impliquées. Pour chaque site, étaient observés les paramètres environnementaux suivants : précipitations annuelles, température mensuelle moyenne et fréquence des perturbations subies. Pour évaluer le niveau de déforestation, les auteurs ont retenu le nombre d’années depuis la première mise en culture. Les différences de communautés d’oiseaux observées entre les sites naturels et ceux agricoles sont plus ou moins marquées. « À Madagascar, par exemple, 69 % de toutes les espèces présentes au sein d'un corridor forestier protégé occupaient également la mosaïque agricole à proximité. La diversité des oiseaux était même plus élevée dans la mosaïque que dans la forêt », raconte Stéphanie Carrière, co-auteur de l’étude, ethnoécologue à l’IRD (UMR SENS) qui a coordonné la collecte de données sur les sites malgaches.
La tolérance à la déforestation dépend surtout d’un facteur clé
Pour l’ensemble du globe, l’étude met en évidence une conclusion inattendue : « Plus les oiseaux vivent dans des habitats déjà soumis à une variabilité naturelle accrue, plus la communauté aviaire sera tolérante à une déforestation ultérieure ». En fait, cette grande variabilité environnementale a agi comme un filtre en sélectionnant, chez les oiseaux dans le cas de cette étude, les caractéristiques qui leur permettent de supporter les perturbations liées à la déforestation agricole. Les sites ayant des historiques d’emprise agricole plus longs – tels qu’on en trouve dans l’est de l’Asie - jouent le même rôle. Au-delà de la mise en lumière de ce facteur clé, cette étude de grande ampleur permet de prédire – en fonction de certains de leurs traits - la tolérance de telle ou telle espèce d’oiseau à de futures perturbations. Il est préoccupant de constater que les zones amenées à être déforestées pour répondre à la forte demande en terres ou autres ressources se trouvent dans des régions à « fort impact », avec un passé agricole court et des conditions environnementales stables, par exemple certaines zones de l’Amazonie. La présente étude confirme la nécessité à la fois d'une protection durable des vastes zones forestières et d'une gestion adéquate des paysages agricoles, en faveur du maintien d’une grande diversité d’éléments arborés (haies, plantations, vergers, forêts sacrées, arbre isolés).
Publication : Hua, F.; Wang, W.; Nakagawa, S.; Liu, S.; Miao, X.; Yu, L.; Du, Z.; Abrahamczyk, S.; Arias-Sosa, L. A.; Buda, K.; Budka, M.; Carrière, S. M.; Chandler, R. B.; Chiatante, G.; Chiawo, D. O.; Cresswell, W.; Echeverri, A.; Goodale, E.; Huang, G.; Hulme, M. F.; Hutto, R. L.; Imboma, T. S.; Jarrett, C.; Jiang, Z.; Kati, V. I.; King, D. I.; Kmecl, P.; Li, N.; Lövei, G. L.; Macchi, L.; MacGregor-Fors, I.; Martin, E. A.; Mira, A.; Morelli, F.; Ortega-Álvarez, R.; Quan, R.-C.; Salgueiro, P. A.; Santos, S. M.; Shahabuddin, G.; Socolar, J. B.; Soh, M. C. K.; Sreekar, R.; Srinivasan, U.; Wilcove, D. S.; Yamaura, Y.; Zhou, L.; Elsen, P. R. 2024. Ecological Filtering Shapes the Impacts of Agricultural Deforestation on Biodiversity. Nature Ecology & Evolution. https://doi.org/10.1038/s41559-023-02280-w.
Contact science : Stéphanie Carrière, IRD, UMR SENS STEPHANIE.CARRIERE@IRD.FR
Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR
Source : https://www.ird.fr/impacts-de-...