La notion de "nature" est-elle (encore) pertinente ?
Publié par IRD Occitanie, le 27 mars 2021 860
Pour inaugurer la première rencontre virtuelle du cycle « les échos durables » organisé par le Conseil départemental de l’Hérault et Agropolis International, les animateurs* avaient invité Aliénor Bertrand, philosophe au CNRS, et Olivier Barrière, juriste de l’environnement à l’IRD.
Il faut croire que la question débattue était pertinente puisque près de 160 internautes étaient connectés ce soir du 11 février 2021 pour écouter les deux chercheurs tenter de relever le « défi de repenser fondamentalement la relation de l’humanité à son environnement ».
La coviabilité socio-écologique pour changer notre rapport à la Nature
« L’interdépendance de tous les systèmes de la Planète signifie que la survie des uns dépend de celle des autres et réciproquement », assène Olivier Barrière, chercheur IRD à l’UMR ESPACE-DEV spécialisé en anthropologie juridique de l’environnement. Face à la dégradation des écosystèmes entraînant perte de biodiversité et d’habitats, il propose – au nom de toute une équipe - un nouveau concept, la « coviabilité socio-écologique ». Ce « vivre ensemble » qui s’appuie sur une reconnaissance de la dépendance de l’Homme aux autres composantes du vivant et de la Nature serait une voie alternative permettant de changer le modèle de nos sociétés modernes. Celui-ci, dit « naturaliste » (c’est-à-dire opposant l’homme à la nature) et capitaliste, engendre des rapports de prédation et une empreinte écologique collective insupportable sur la biosphère et génère de profondes inégalités entre les populations humaines. Il faut donc « changer ou disparaitre », continue le chercheur, citant le titre d’un récent ouvrage coordonné par Laurent Testot et Laurent Aillet (Collapsus). Pour lui (et de nombreux auteurs comme Philippe Descola, Bruno Latour, Catherine Larrère et al.), la séparation entre l’Homme et la Nature est une invention occidentale, avec une approche anthropocentrée de notre droit et des politiques publiques. Tout le contraire de la vision de la plupart des peuples autochtones pour qui la planète est une « maison commune » et où il y a continuité entre l’humain et le non-humain. « Concrètement, pour avancer dans le bon sens, ajoute-t-il, il faut appliquer le principe de solidarité écologique qui existe dans le Droit français depuis 2016 ». Revenir à l’échelon local, raisonner en termes de « communs? », adopter une vision holistique? pour l’aménagement du territoire en insérant les sociétés dans le vivant plutôt que de les séparer, autant de pistes à suivre…
De la notion de « Nature » à l’écologie politique
Autre angle d’attaque pour Aliénor Bertrand (CNRS) qui s’est penchée sur l’histoire du naturalisme et la philosophie politique de la nature. Et d’abord de quelle « nature » parle-t-on ? Cette notion serait-t-elle universelle ? « Il n’y a pas une définition de la nature mais des définitions. C’est une notion plurivoque dans l’espace et dans le temps », explique-t-elle. Remontons dans le temps, justement. « La notion de nature émerge au 6ème siècle avec les Grecs, raconte la philosophe. Elle se nourrit, se développe, s’enrichit de dimensions métaphysiques où création du monde et lois de la nature se côtoient ». Puis une rupture s’opère au 18ème siècle, dans le sillage de Descartes (1696-1650) pour qui l’Homme est le maître de la Nature. La messe était dite : il y avait d’un côté « les objets soumis aux lois de la physique » (= la nature y compris le corps humain) et de l’autre l’esprit humain. « Même si les philosophes ne sont pas tous d’accord avec ce dualisme, cette vision délétère a structuré et structure encore l’organisation de nos pratiques. Elle sous-tend l’articulation entre la politique et l’économie », ajoute Aliénor Bertrand. Des sciences écologiques à l’écologie politique, il faut trouver d’autres cadres conceptuels pour protéger l’environnement, terme souvent employé en lieu et place de « la nature ».
Nécessaire alliance des sciences et de la démocratie
Bien que des alertes soient lancées dès les années 60 au sujet des effets nocifs des pesticides en agriculture, les gouvernements successifs renâclent à traiter le problème. La création d’un ministère de l’Environnement et du Cadre de vie par le Président Valéry Giscard d’Estaing en 1978 ne changera pas la donne puisqu’il est sciemment déconnecté de celui de l’Agriculture. Face à ces constats évoqués par les deux invités, les questions des internautes tournent autour du poids de la démographie, du fait de réintégrer la nature (et comment ?), d’un risque de dérive totalitaire guidé par l’urgence écologique, du besoin de resacraliser la vie dans toutes ses formes, de savoir comment transformer nos sociétés en repensant la notion de développement, vis-à-vis du Sud sortir d’un colonialisme de la pensée du développement, etc. Olivier Barrière répond que la coviabilité intègre de nombreuses disciplines et de multiples dimensions et est encore en devenir. « Ce n’est pas une baguette magique mais un autre paradigme? à mettre en œuvre, rappelle-t-il, tout est encore à faire ! ». Pour Aliénor Bertrand, « peu optimiste quant à la course contre la montre engagée entre les atteintes au vivant et la réactivité de nos sociétés », il faut s’appuyer sur les connaissances scientifiques, sur les enseignements de l’Histoire, sur la démocratie et sur le dialogue entre science et société.
Jouer le rôle de passerelle entre les sciences et le public, c’est justement le principe de ce cycle « les échos durables », concluent les animateurs de la séance.
* Mélanie Broin (Chargée de mission, Agropolis International) et Xavier Wojtaszak (Chef de service, Maison départementale de Restinclière)
Aller plus loin :
Contact science : Olivier Barrière, IRD, UMR ESPACE-DEV OLIVIER.BARRIERE@IRD.FR
Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR
Source : https://www.ird.fr/la-notion-d...