Faire l’histoire avec les fantômes
Publié par Mondes Sociaux, le 23 octobre 2020 920
Article par Caroline Callard
L’automne s’installe peu à peu à peu et bientôt, Halloween, la Toussaint et la fête des morts se chargeront de lui donner son étrange allure, teintée de mélancolie et de fantastique, mi-païenne mi-chrétienne, profane et sacrée. Ce temps tissé pour nous d’influences disparates remet si bien les morts au milieu des vivants qu’il semble parfois brouiller leurs frontières – un temps à fantômes en quelque sorte. Les anthropologues en ont depuis longtemps repéré la richesse interprétative : le 28 octobre 2015, sur le site des Human Relations Area Files, l’une des plus importantes bases de données ethnographiques, l’anthropologue Fran Barone postait un billet intitulé : « Trick or treat : fantômes, démons et zombis dans les HRAF ». Elle encourageait les internautes à effectuer leurs propres recherches sur le site afin de mesurer l’universalité de ces croyances.
Pourtant, si le fantôme est aujourd’hui un motif récurrent de la culture populaire, il demeure difficile d’affirmer que l’on « y croit » et de soutenir l’hypothèse de leur existence en société. La culture savante a remisé le fantôme dans l’arrière-boutique du folklore de notre univers, et n’accepte de le prendre au sérieux qu’en l’imputant à de lointaines « sociétés traditionnelles », ou sous la forme d’une métaphore – tel ce Spectre de Marx invoqué par Jacques Derrida en écho au « spectre du communisme » qui hanterait l’Europe dans le Manifeste de 1848.
L’irritant paradoxe du fantôme réside dans cette double dimension qui le rend à la fois actuel et inactuel. Scruter son histoire peut-il nous aider à le résoudre ? Faire l’histoire des fantômes permet-il d’éclairer un temps où cette croyance, qui aurait été auparavant « naturelle », cesse de l’être ?