Diplômées mais précaires, la galère des jeunes femmes de la campagne
Publié par Mondes Sociaux, le 16 décembre 2024 51
Vidéo Avides de recherche de Manon Jack
En 2023, la sociologue Perrine Agnoux a publié une enquête dans La Nouvelle Revue du Travail. Intitulée La précarité, une norme imposée aux jeunes femmes des classes populaires rurales, cette étude révèle comment des mécanismes sociaux, bien au-delà des simples réalités économiques, enferment les jeunes femmes des zones rurales dans des trajectoires professionnelles précaires dès le début de leurs carrières.
L’enquête s’appuie sur une méthodologie ethnographique : la sociologue a vécu pendant 18 mois dans un département agricole, partageant le quotidien de 54 jeunes femmes âgées de 18 à 24 ans, majoritairement diplômées d’un bac professionnel dans le secteur sanitaire et social. Et, malgré ces qualifications, on constate que ces jeunes femmes se retrouvent presque toutes dans des emplois précaires : serveuses, aides-soignantes, garde d’enfants ou animatrices. Parfois, ce sont même des métiers qui n’ont pas de lien avec leur qualification. Et surtout, ces postes sont souvent mal rémunérés, à temps partiel, ou en contrats courts.
Le problème ne réside pas dans un manque d’opportunités dans ces zones, ni dans de mauvaises décisions personnelles. Il découle, dans un premier temps, d’une norme de jeunesse, une attente sociale qui valorise la précarité comme étape transitoire pour les jeunes. Ces femmes sont jugées aptes à accepter des emplois difficiles, avec des horaires contraignants et des rémunérations faibles, au nom de leur prétendue flexibilité offerte par leur jeunesse.
Mais cette norme n’est pas neutre : les structures sociales rurales accentuent les inégalités de genre. Les jeunes femmes, souvent responsabilisées dès leur jeune âge dans les tâches domestiques ou les soins aux proches, ont un accès limité aux ressources et soutiens familiaux, comme une voiture ou une aide pour financer des études longues.
Cette étude souligne que la précarité de ces jeunes femmes n’est pas une fatalité individuelle mais un phénomène structurel, soutenu par des politiques d’insertion et des normes culturelles qui perpétuent ces inégalités. Pour éviter qu’elles ne quittent massivement des secteurs pourtant essentiels, comme l’aide à la personne, il devient urgent de reconnaître et d’agir sur ces biais systémiques.
Ainsi, l’enquête de Perrine Agnoux éclaire une réalité trop souvent ignorée, mais essentielle à comprendre pour imaginer une société plus juste.
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