Deux scientifiques toulousains se lancent dans l'aventure des sciences participatives
Publié par Echosciences Occitanie, le 20 novembre 2018 2.4k
Seulement quelques jours après avoir lancé leur tout premier projet de recherche participative, Philipp Heeb et Joël White, respectivement Directeur de recherche CNRS au laboratoire Evolution et Diversité Biologique et Maître de conférences à l'ENSFEA, nous racontent leur étonnement en découvrant l'engouement que suscite leur projet : Nichoirs en ville.
Philipp Heeb et Joël White sont ornithologues. Ils étudient l'évolution biologique d'espèces d'oiseaux, plus particulièrement celle de la mésange bleue et de la mésange charbonnière, deux espèces de passereaux de la famille des paridés. Parmi les oiseaux les plus abondantes d’Europe, ces mésanges sont sédentaires. Elles ont l'habitude de construire leur nid dans divers endroits allant de l'orée d'un bois à une boîte aux lettres ou encore dans le creux d'arbres en pleine forêt.
Pour étudier leur taux de reproduction et de survie, Philipp Heeb et Joël White posent des nichoirs dans diverses zones. C'est ainsi qu'ils ont pu identifier des « population puits », c'est-à-dire des populations dont le taux de croissance est négatif, qui sont réalimentées par des populations environnantes en croissance.
Ainsi, au cours des dernières années, de nombreux nichoirs ont été installés en zone périurbaine, dans des espaces verts du centre-ville tel que le Jardin des plantes, mais aussi dans des zones plus rurales allant de la campagne lauragaise aux pieds des Pyrénées. C'est justement parce que ces espèces séjournent régulièrement dans ce genre de nichoirs que les deux chercheurs ont pris le parti de les étudier. Leur affection pour ces nichoirs leur permet d'assurer un suivi précis des populations.
Pour la bonne conduite de l'étude, les nichoirs se doivent d'être parfaitement identiques, leur taille et leurs matériaux pouvant avoir une incidence sur la reproduction et le taux de survie des poussins.
Étudier l'influence de l'urbanisation
Comprendre et déterminer l'incidence du milieu urbain sur la reproduction et la survie de ces deux espèces de mésanges est donc le postulat qui a initié cette expérimentation. Prévue sur une longue période, elle cherchera à comparer les données récoltées en zone périurbaine et rurale avec les données du centre-ville. Après avoir constaté que les mésanges se reproduisaient davantage en milieu urbain mais que leur taux de survie était plus faible, les deux scientifiques cherchent à comprendre les éventuelles contraintes urbaines qui expliqueraient une telle observation.
« Le fort taux de reproduction pourrait s'expliquer par la chaleur spécifique du microclimat urbain. Le faible taux de survie quant à lui, pourrait être dû à la faible disponibilité en insectes, à la luminosité, à une prédation spécifique ou encore à la pollution, mais aussi à d'autres éléments » remarque Phillip Heeb.
Le chercheur nous explique que cette étude s'inscrit dans ce que l'on appelle l'écologie urbaine, une discipline scientifique relativement récente qui cherche à étudier la manière dont les environnements créés par l'homme ont un impact croissant sur les écosystèmes, accélérant et modifiant ainsi l’évolution de la faune et de la flore nous entourant. Philipp Heeb nous propose à ce sujet, la lecture de l'œuvre de Menno Schilthuizen, un écologiste urbain néerlandais qui a fait part de ces recherches et projections dans Darwin Comes to Town. Le scientifique y décrit à quel point la sélection naturelle peut être étonnamment flexible et rapide avec des exemples d’adaptation parfois surprenants.
Faire participer le public pour affiner l'étude
Le volet participatif ajoute donc une brique à cette étude déjà commencée. En effet, en examinant l'urbanisation toulousaine avec Google Earth, les deux scientifiques ont observé de nombreux espaces verts pouvant servir de refuges aux mésanges. D'où l'idée d'exploiter ces zones en proposant à des particuliers d'installer un nichoir dans leur jardin et en les invitant à prendre part à l'expérimentation.
Depuis, l'appel à participation a été lancé grâce à l'aide du Muséum de Toulouse. Pour participer, quelques conditions sont requises : disposer d'un jardin arboré ou d'un balcon situé à moins de 20 mètres d'un espace vert dans Toulouse intra-muros, se rendre disponible pour participer à une réunion préparatoire et suivre avec sérieux le protocole expérimental élaboré par les deux scientifiques.
Ainsi, dès cet automne, 100 nichoirs seront installés gratuitement dans les jardins et balcons sélectionnés. Il faudra attendre le printemps suivant pour vérifier qu'un couple de mésanges décident ou non de s'y installer. À partir de là, les participants devront chaque semaine visiter le nichoir pour suivre l'état d'avancement, de la construction du nid à la ponte jusqu'à l'incubation et l'éclosion des œufs. Les participants seront invités à relever des données spécifiques telles que la date de ponte, le nombre d'œufs, ou encore la date d'éclosion.
« Si jamais le nichoir n'a pas été choisi, nous avons décidé de ne pas laisser tomber pour autant les participants. Ce sera justement l'occasion pour nous de les initier à la démarche expérimentale. L'idée est de faire en sorte qu'ils se posent des questions au sujet des causes : trop de pollution, trop de lumière, présence de chats, etc. Bien sûr, nous avons conscience que nous ne pourrons pas leur donner d'explications fermes, le tout étant de leur montrer comment tester des hypothèses en veillant à ce qu'ils comprennent que le travail du scientifique est une éternelle remise en question ». En effet, bien que les scientifiques aient connaissance de certaines conditions nécessaires au choix d'un nichoir par un couple de mésanges, beaucoup de variables peuvent entrer en ligne de compte. Ils espèrent donc sensibiliser les participants à la démarche scientifique, mais aussi aux enjeux du maintien de la biodiversité en ville.
Une ampleur inattendue
« Après seulement quelques jours, nous avons reçu près de 700 mails venant de toute la France pour installer un nichoir », s'exclame Philipp Heeb ébahi. Une surprise qui est d'autant plus grande que les deux scientifiques tentent l'aventure des sciences participatives pour la première fois.
« D'habitude, c'est le résultat scientifique qui nous met sous les feux des projecteurs, alors que là, nous n'avons même pas commencé le projet ! C'est assez inhabituel pour un chercheur car nous devons nous efforcer à expliquer une démarche et des expérimentations à des non-scientifiques avec tous les aléas que cela incombe. Permettre au public de prendre parti à cette étape-là ne fait que rendre l'étude plus intéressante ».
Loin d'être la phase ultime du programme de recherche, les deux scientifiques projettent déjà la suite en répondant à un projet de l'Agence nationale de la recherche. Si leur étude est sélectionnée, ils pourront l'étendre à six ou sept villes françaises supplémentaires, ce qui permettra d'asseoir davantage les résultats.
Image bannière : Ginger (pixabay, CC)