Humaniser les souris pour mieux étudier le système immunitaire

Publié par Frédérique Sueur, le 20 juillet 2024   47

Des chercheurs texans spécialisés en immunologie ont réalisé une avancée décisive, partagée en juin dernier dans le magazine Nature Immunology : ils sont parvenus à humaniser le système immunitaire de souris de laboratoire ! Pour mieux comprendre les implications d'une telle prouesse, un petite explication s'impose.

L'immunologie est la discipline qui décortique les différents mécanismes mis en œuvre par le corps pour se défendre face aux agressions. C'est grâce à elle que nous pouvons désormais accéder à des vaccins, à des traitements contre les maladies auto-immunes, ou encore à de nombreuses thérapies prometteuses contre le cancer.

Pour étudier l'effet de pathogènes ou de médicaments sur les mécanismes physiologiques, les scientifiques utilisent des modèles animaux, dont notamment la souris. Celle-ci est le modèle vertébré le plus étudié en recherche, car elle présente une forte homologie génétique avec l'Humain, se reproduit facilement et rapidement et, étant de petite taille, est économique. Au fil des années, les équipes de recherche sont parvenus à décrypter son génome et à développer diverses technologies permettant de le modifier, pour produire des souris sur mesure selon l'hypothèse de recherche étudiée.

Pour autant, malgré la proximité génétique entre la souris et l'Humain, plus de 1 600 gènes en lien avec le système immunitaire sont différents entre ces deux espèces. Ainsi, si ce modèle a permis des avancées scientifiques majeures en immunologie, il ne constitue pas en soi un miroir de notre système immunitaire.

Les chercheurs ont donc cherché à modifier des souris, pour qu'elles reproduisent parfaitement les réponses immunitaires humaines. Pour cela, ils ont utilisé des souriceaux dont ils ont détruit la moelle osseuse où sont normalement fabriquées les cellules du sang, dont les globules blancs du système immunitaire. Ils ont greffé à ces souriceaux des cellules du cordon ombilical humain exprimant la protéine CD34+, en les injectant dans le coeur pour qu'elles soient disséminées via la circulation sanguine vers les bons organes ; il s'agit là de cellules progénitrices, capable de se diviser et de se différencier en cellules du sang matures si elles sont exposées au bon environnement moléculaire. En les conditionnant avec une molécule appelée 17β-estradiol, qui fait fonction d'hormone sexuelle chez l'Humain, les chercheurs ont permis aux cellules CD34+ de se différencier en cellules immunitaires humaines matures.

Pour valider l'« humanisation » du système immunitaire des souris, ils ont évalué la similarité entre leur réponse immunitaire et celle qu'on trouverait chez un humain dans diverses conditions : vaccination contre les bactéries Salmonella et infection ultérieure, vaccination contre la COVID-19, injection de pristane (une substance pro-inflammatoire provoquant le développement de maladies auto-immunes)... Les scientifiques ont bel et bien observé dans chacune de ces situations une réponse immunitaire calquant la réponse humaine.

Les souriceaux ont ainsi développé un système immunitaire mimant celui des humains : mêmes cellules, mêmes organes, mêmes tissus, même microbiote intestinal, mêmes récepteurs d'antigènes... Tout y est ! Là où les recherches précédentes s'étaient heurtées à des différences majeures (mauvais développement de certains types de cellules immunitaires, mauvaise réponse anticorps, etc.), l'équipe a réussi en tout point.

Ces travaux apportent leur lot de questionnements éthiques. D'un côté, en proposant un modèle plus fiable et pertinent, ils ont le potentiel de réduire à la fois le nombre d'animaux utilisés en laboratoire et les risques associés au passage en essai clinique chez l'Humain, ce qui constituerait une avancée éthique considérable. D'un autre, la création d'organismes chimères souris-humain est passible de soulever des interrogations sur les limites éthiques de telles manipulations. Le clonage humain étant interdit, où se situe la frontière de l'acceptable en termes de développement d'organismes simili-humains ? Ces considérations éthiques devront être soigneusement pesées à mesure que cette technologie se développera et concernera potentiellement de nouveaux systèmes ou organes humains.

Au-delà de la prouesse technologique que cela représente, ces travaux ont des implications importantes pour les futurs travaux d'immunologie. Les équipes peuvent désormais disposer d'une reproduction fidèle du système immunitaire humain, sur lequel tester de nouvelles molécules, étudier plus en profondeur certaines pathologies et la réponse immunitaire associée, et identifier ainsi de nouvelles pistes thérapeutiques. Cela permettra peut-être d'accélérer le développement des médicaments, et d'avoir une meilleure idée de leur impact sur l'Humain avant de procéder à un essai clinique, diminuant ainsi les risques associés.

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