Défi Clé Sciences du Passé : fédérer un réseau pour étudier et valoriser le patrimoine archéologique d’Occitanie
Publié par Echosciences Occitanie, le 31 octobre 2024 200
Lancés à l’initiative de la Région Occitanie, les Défis Clés regroupent 15 programmes de recherche qui interviennent sur des domaines stratégiques d’avenir.
À travers cette série d’interviews, nous vous proposons de les découvrir, ainsi que leur mobilisation dans le dialogue entre sciences et société.
Robin Furestier, co-ingénieur du projet Sciences du Passé, chercheur associé à Archéologie des Sociétés Méditerranéennes, ASM (Université Paul-Valéry Montpellier, CNRS, Ministère de la Culture), et Benjamin Marquebielle, également co-ingénieur du Défi Clé, chercheur associé aux Travaux et Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés, TRACES (Université Toulouse Jean Jaurès, CNRS, Université de Toulouse, Ministère de la Culture, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Inrap, Institut national de recherches archéologiques préventives), ont répondu à nos questions pour en savoir plus.
En quoi consiste le Défi Clé Sciences du Passé ?
Benjamin Marquebielle : Pour décrire succinctement le Défi Clé Sciences du Passé, j'utiliserai notre adage : « révéler, étudier, protéger et valoriser un patrimoine archéologique régional ». L’idée est de suivre tout le processus, du travail de terrain d’archéologue en passant par l’étude des découvertes jusqu’à la valorisation et la transmission auprès du public. Le Défi Clé Sciences du Passé a aussi pour vocation d’associer toutes les sciences du passé. Nous ne voulions pas nous centrer uniquement sur l’archéologie, mais plutôt étudier le passé dans sa globalité. Ce que nous étudions regroupe tout le patrimoine d'Occitanie, en particulier le patrimoine matériel, immobilier, les meubles et les objets.
Nous étudions ainsi les travaux des archéologues, mais aussi ceux des spécialistes de la caractérisation des matériaux, de l’analyse ADN, des spécialistes de géomatique, ou encore de la captation et de l’analyse de traitement d’image. Tout ce qui gravite autour de l’archéologie et des sciences associées.
C’est pour cela que le Défi Clé fédère 16 laboratoires d’Occitanie Ouest et Est spécialisés aussi bien en archéologie pure (comme le laboratoire TRACES) qu’en analyse des matériaux et ingénierie (par exemple le laboratoire CEMES). Ces laboratoires ont tous au moins une partie de leurs travaux portant sur le passé ou sur des archéomatériaux.
Et sa force réside aussi dans son ampleur régionale. Il a longtemps existé une tradition de l’archéologie en Occitanie Ouest et en Occitanie Est, mais pas vraiment de pont entre les deux. Il y a eu des collaborations et des thèmes de recherche partagés, mais c’était principalement un fonctionnement en parallèle. C’est pour cela que c’est devenu l’un de nos critères principaux.
Robin Furestier : L’esprit du Défi Clé est de générer encore plus d’interdisciplinarité. Il est important pour nous de pousser les chercheurs des sciences du passé à collaborer avec d’autres collègues chercheurs vers lesquels ils ne se seraient peut-être pas tournés naturellement.
Alors comment le Défi Clé prévoit-il de structurer cette communauté à l'échelle régionale ?
Benjamin Marquebielle : En premier lieu, je dirais que cela se fait assez naturellement. En effet, il y a une véritable complémentarité entre tous les laboratoires de toute la région, particulièrement à une échelle chronologique. Cette complémentarité permet de couvrir presque toutes les époques jusqu’à l’archéologie contemporaine : Perpignan avec Tautavel, et la préhistoire très ancienne. Toulouse pour la préhistoire plus récente. Et Montpellier pour la protohistoire.
Robin Furestier : Nous avons en projet un portail régional archéologique. Nous voulons mettre en place une plateforme qui liste l’ensemble des acteurs de l’archéologie. Comme on peut s’en douter, c’est un gros travail de rassembler autant de données… mais le projet est en cours !
L’objectif est de référencer sur cette plateforme toute la communauté archéologique. Pas seulement la communauté académique qui regroupe déjà les universités, les musées et les archéologues professionnels. L’archéologie, ce n’est pas uniquement les professionnels ; il y a aussi tout un tissu associatif qui participe à la recherche archéologique, et beaucoup ont un rôle de relais local sur le terrain. Ils font aussi partie du réseau.
Comment s'inscrit-il dans le contexte historique de la région Occitanie ?
Benjamin Marquebielle : Il y a une longue histoire de l’archéologie en Occitanie. C’est une des régions qui a beaucoup contribué à la naissance de l’archéologie, particulièrement de la préhistoire. Je pense aussi à l’archéologue Jacques-Joseph Champollion originaire de Figeac dans le Lot. L’université de Toulouse a, par exemple, été la première à dispenser des cours sur la préhistoire et fait partie des sociétés savantes les plus anciennes. C’est donc très ancré et cela se justifie par la quantité de sites présents, notamment dans les Pyrénées qui regorgent d’anciens sites. Le tissu universitaire et associatif est aussi très dense.
En bref, l’archéologie n’est pas quelque chose de nouveau en Occitanie !
Robin Furestier : Pour compléter ce que dit Benjamin, cette histoire est fortement liée à la richesse du patrimoine archéologique de la région. La région est exceptionnelle, toutes périodes confondues.
Tautavel est l’un des plus gros sites pour la préhistoire.
Narbonne possède des sites de ports antiques.
Nîmes a ses arènes. On peut aussi citer le pont du Gard.
Il y a énormément de sites mondialement connus, dont certains sont reconnus au patrimoine mondial de l’Unesco. Ces sites font que les sciences du passé se sont imposées d’elles-mêmes grâce à l’histoire du patrimoine de la région. Toute cette histoire a créé et forgé une culture de la recherche et de l’investigation dans son ensemble.
Et cela grâce aux sociétés savantes, aux associations, puis grâce à l’État via la création du CNRS et de recherches plus structurées, et enfin par le développement de l’archéologie préventive qui est à l’origine aujourd’hui de la majeure partie des découvertes archéologiques. Tout ceci est possible grâce à l’extrême richesse du territoire. Au moindre aménagement, cela génère de nouvelles investigations et découvertes archéologiques.
Le Défi Clé s’inscrit dans l’histoire, dans l’exploitation et dans l’étude de ces richesses et de toutes les connaissances que l’on peut en tirer.
Benjamin Marquebielle : Et qui parfois ne sont pas très connues ! Par exemple, quand on parle de mégalithes (dolmens, pierres dressées), on pense tout de suite à la Bretagne ! Pourtant, la région de France où l’on trouve la plus forte concentration de mégalithes, c’est ici, en Occitanie, notamment en Aveyron et dans le sud de l’Ardèche !
Comment ce Défi Clé intègre-t-il une approche “avec et pour la société” pour partager les connaissances et les avancées scientifiques en archéologie et histoire locale ?
Robin Furestier : Nous avons établi dès le début certaines contraintes pour les appels à projets que nous portons. L’une d’entre elles est que les projets de recherche soutenus par le Défi Clé Sciences du Passé doivent comprendre un volet de valorisation des recherches important, avec un fort retour vers le public.
L’objectif des Défis Clés en Occitanie est de développer la recherche fondamentale. Avec tous les projets de recherche fondamentale soutenus par le Défi Clé, cela génère beaucoup de contenu en direction du grand public. Ce contenu est d’autant plus intéressant à traiter que le grand public a un fort attrait pour l’archéologie.
Il y a aussi la volonté de certains porteurs de projets d’aller vers des publics « empêchés ». L’intention est de laisser une certaine liberté aux porteurs de projets, tant que le travail produit est ensuite partagé avec la société.
Benjamin Marquebielle : Ces approches constituent également le fondement d’un des objectifs du Défi, qui est de montrer la légitimité des métiers de l’archéologie. C’est aussi pour cela que nous avons été impliqués de cette manière dans ce Défi Clé. En effet, transmettre des informations scientifiques au public en tant que chercheur peut se révéler compliqué.
Pourtant, le côté médiation est très important dans la transmission des savoirs à un public non académique. Par exemple, organiser une conférence est très adapté pour un public déjà conquis et averti, mais cela ne permet pas d’accrocher d’autres types de public qui ne sont pas forcément intéressés par ces sujets. Nos parcours un peu touche-à-tout nous ont permis de faciliter la structuration et la conception des dossiers de recherche en incluant cet aspect de médiation et d’accompagnement des projets.
Quelles actions de médiation scientifique avez-vous mises ou allez-vous mettre en place ?
Robin Furestier : De manière fédératrice, le Défi Clé s’inscrit dans des événements plus larges comme la préparation du deuxième Forum régional de l’archéologie en 2025. Cet événement constituera un moyen pour le public de rencontrer des archéologues afin de déconstruire l’image « stéréotypée » qu’ils peuvent avoir de ce métier.
Il est important pour nous de développer ce contact et cette relation public/archéologue en proposant de véritables rencontres. L’objectif est de mettre en lumière la façon dont les sciences du passé peuvent répondre aux questions de société d’aujourd’hui. Tout ceci participe à montrer la légitimité sociale des métiers de l’archéologie.
Un deuxième projet a été développé : une université d’automne à destination des étudiants en master d’archéologie et de sciences du passé sur trois pôles universitaires (Montpellier, Perpignan et Toulouse). Pendant trois jours, des étudiants sont sensibilisés aux enjeux et aux métiers de la valorisation dans la recherche. Nous les amenons sur des sites archéologiques ou dans des musées pour les faire réfléchir sur la valorisation du patrimoine archéologique. Nous intégrons également le soir des moments de convivialité pour que les étudiants commencent déjà à constituer leur futur réseau.
Tout ceci s’intègre dans une réflexion sur la formation des étudiants à l’archéologie, mais aussi d’initiation à la médiation et aux recherches en archéologie. S’ils veulent se spécialiser, cela prend du temps. Pourtant, ces connaissances très spécifiques sont essentielles lorsqu’un médiateur s’adresse au public. Celui-ci doit ressentir une proximité entre le sujet et le médiateur qui l’anime, sinon cela ne marche pas. C’est de ce constat que part ce projet d’université d’automne.
Benjamin Marquebielle : Il faut ajouter à cela tous les projets de recherche financés par le Défi Clé. Toujours en laissant cette liberté aux porteurs de projets, ces derniers ont proposé beaucoup d’actions différentes qui l’ont enrichi. Cela peut se matérialiser sous forme de rencontres, de vidéos ou de reportages.
Comment vont évoluer les actions mises en place ? Comment voyez-vous la suite ?
Robin Furestier : Pour répondre à cette question, j’aimerais insister sur les rencontres qui ont été provoquées, et les prochaines qui seront créées, par le Défi Clé. J’insiste sur l’importance du réseau pour créer une recherche de qualité. Je suis persuadé que lorsque l’on prend du plaisir à travailler ensemble, la recherche produite est meilleure.
Un autre « prérequis » de l’appel à projets était que les porteurs de projet devaient intégrer de jeunes chercheurs. Nous avons conscience que l’avenir de l’archéologie passe par les étudiants, les jeunes chercheurs et les doctorants. Dans cette même démarche nous avons créé un appel à projet spécial « jeunes chercheurs » afin de les accompagner dans leur premier projet de recherche. C’est une dimension aussi importante pour le Défi Clé !
Benjamin Marquebielle : Il est en effet important de se demander ce que nous allons faire après. Comment pérenniser tout ce précieux travail, toutes les dynamiques mises en place et les nouvelles collaborations lancées par les chercheurs… Nous voulons vraiment poursuivre et entretenir ce travail après le Défi Clé. Pour cela, il faudra trouver de nouvelles sources de financement. Et cette réflexion pour rendre ce projet pérenne va constituer une bonne partie de nos missions jusqu’à la fin du Défi Clé. Le tourisme culturel s’est révélé être la porte d’entrée idéale pour faire vivre ce Défi Clé. La France est tout de même un des pays où le tourisme culturel représente une bonne part des ressources. L’idée est d’améliorer et de proposer de nouveaux supports et contenus en lien avec le retour des recherches vers le monde culturel.
Robin Furestier : Concernant l’aspect sociétal, les actions mises en place vont continuer d’exister. Tout ce qui a été mis en place a enclenché une certaine synergie très positive. Nous voyons vraiment le Défi Clé Sciences du Passé comme une base solide qui constitue un tremplin de connaissances et d’informations sur l’archéologie et sa médiation. Tout le travail actuel de formation des professionnels des sciences du passé impacte durablement leur façon de travailler et de transmettre leurs découvertes. Cela participe à cette approche “avec et pour la société” pour partager les connaissances et les avancées scientifiques en archéologie et histoire locale.
C’est aussi intéressant que gratifiant de se rendre compte que le Défi Clé et ses actions commencent à être visibles par les acteurs du milieu. Il est vraiment identifié comme un pont entre les acteurs. C’était l’objectif !
Benjamin Marquebielle : Et ça nous motive ! Nous voyons bien que ça marche, il y a une vraie dynamique qui s’est enclenchée et nous ne comptons pas nous arrêter en si bon chemin !
Les Défis Clés Occitanie, une démarche initiée et soutenue par la Région Occitanie.
Crédit photo : © Benjamin Marquebielle