❤️ De l'amour | Quelques minutes de love #6 : "Histoire de câlin(s)"
Publié par Quai des Savoirs, le 8 septembre 2021 1.7k
❤️ En compagnie des médiatrices du Quai des Savoirs, découvrez un concept présenté dans notre exposition "De l'amour" en quelques minutes de love !
Épisode #6 : Histoire de câlin(s)
Le câlin est un geste
chargé d’émotions qui
recèle bien des secrets sur nous-même, que ce soit sur la
création de notre identité émotionnelle lorsque l’on est encore
qu’un bébé, ou encore sur nos liens sociaux lorsque l’on
grandit. Au cœur de l'exposition "De l'amour", Manon vous raconte en quelques minutes de love l'histoire du câlin et l'importance du toucher.
Le câlin, un besoin vital : bienfaits physiologiques et sociaux
Le sens du toucher est le tout premier sens activé au niveau intra-utérin : on a découvert que les premières cellules d’un embryon sont déjà sensibles au toucher. À la naissance, un bébé ne voit pas au-delà de 30 cm et n’entend vraiment bien qu’à partir de 4 semaines de vie : c’est donc par le toucher qu’il prend connaissance du monde qui l’entoure et qu’il connaît ses premières interactions avec son environnement. Les caresses et la chaleur corporelle permettent de sentir la présence de l’autre et l’attention qui lui est portée. Ce sens consolide alors le lien entre les parents et l’enfant : le peau à peau, par exemple, est recommandé par l’Organisation Mondiale de la Santé depuis 1992 avec son programme "Baby friendly hospital initiative".
Le doudou, objet transitionnel, joue lui aussi un rôle très important chez le jeune enfant, sur le plan affectif et dans la construction de sa pensée. Il peut avoir des formes très diverses (chiffons, peluches, bouts de tissus, objets…). D’après le pédopsychiatre et psychanalyste D.W Winnicott, dans notre culture occidentale, le doudou serait un véritable phénomène culturel qui compenserait la séparation prématurée de l’enfant avec la mère, due à la fin du congé maternité, et permettrait donc à l’enfant de prolonger en lui l’image de son parent.
Le sens du toucher fait aussi le lien entre l’individu et sa communauté : le bébé doit sentir qu’il n’est pas seul et qu’il fait partie d’un groupe. Chez le primate, et donc chez les humains, il y a un véritable processus de création de liens sociaux par le toucher.
Au niveau physiologique, ce sens stabilise la respiration, régule la
température corporelle, ainsi que le taux de glycémie. Le contact
physique stimulerait même la croissance chez les bébés : les
caresses et les câlins reçus se transforment en signaux
électriques, qu’on appelle molécules de signalisation, qui
parviennent au cerveau et stimulent alors la croissance. Par le
toucher, le nouveau-né va aussi découvrir son corps et prendre
alors conscience de lui-même. Le câlin est extrêmement bénéfique
en de nombreux points ! À l’inverse, si un bébé est privé de câlins, il connaîtra de
grandes différences cognitives entre lui et un autre qui aurait été
beaucoup plus câliné.
Une expérience très connue a d’ailleurs été menée en 1958 sur
des bébés singes. Les deux chercheurs Harry Harlow et John Bowlby
ont constaté que parmi ceux qu’on nourrissait uniquement, la
plupart mouraient, les autres avaient des séquelles physiques et
psychiques irrévocables : un système immunitaire moins
développé, une mémoire amoindrie, les zones centrales du cerveau
moins développées… .
Le professeur en psychologie sociale Jacques Fischer-Lokou ,
spécialiste du toucher, a mis en avant les travaux de Tifanny Field,
psychologue et professeure américaine, qui ont pu démontrer qu’un
enfant qui n’est ni touché ni câliné aurait plus de risques de
présenter des déficiences physiologiques ou mentales. Selon lui,
des enfants qui se touchent souvent entre eux sont moins agressifs.
Le toucher et le câlin se révèlent alors vitaux, que l’on soit
tout petit, ou très grand : des études ont pu démontrer que
les patientes et patients d’EHPAD qui sont régulièrement touchés
et/ou câlinés participent d’avantage à la vie sociale de leur
établissement. On sait aussi aujourd’hui que le lien social
contribue en partie à la longévité des individus. Le
Phoque Paro, phoque interactif émotionnel, est utilisé notamment en
thérapie relationnelle pour des personnes atteintes de troubles du
comportement et de la communication. Il a été créé en 1993 au
Japon par Takanori Shibata dans le laboratoire AIST pour les personnes
atteintes d’Alzheimer. On le retrouve aujourd’hui en France, dans
certains EHPAD du pays depuis juillet 2014. À ce jour, on en compte
environ 200 sur notre territoire. Il est équipé de 3 micros, 1
capteur de chaleur, 1 capteur de position, 1 capteur de lumière, et
12 capteurs tactiles. Son
aspect mignon et ses réactions robotisées amènent la curiosité et
stimulent l’éveil chez les patientes et patients, son aspect
réconfortant donne envie de le serrer dans les bras. Stimuler les sens, diminuer les troubles du comportement, contribuer
à l’amélioration du bien-être physique et psychologique des
patients, diminuer la médication, favoriser le lien social,
installer une relation de confiance entre les soignants et les
soignés, sont, entre autres, autant d’objectifs thérapeutiques
attendus qui donnent déjà des résultats étonnants auprès de ces
personnes !
Les bienfaits physiques du câlin
Le toucher est le tout premier langage qu’on apprend à décoder. En effet, les récepteurs de notre peau nous renseignent instantanément sur la nature du contact physique que l’on reçoit. Le toucher, les câlins et les caresses sont donc autant de langages que des scientifiques étudient depuis plusieurs années. Le centre de Neurosciences Affectives de Suède à Linköping étudie le rôle du toucher dans la communication, et jusqu’à quel point il peut traduire des intentions. Le toucher est parfois plus efficace que n’importe quel mot ou geste pour traduire nos émotions !
Dans les années 1990, des études ont été menées sur les bienfaits du massage, qui ralentirait les flux cérébraux et ferait ainsi ressentir de la détente : en fait, en ralentissant son activité, le cerveau libérerait des hormones qui circuleraient dans le sang, créant alors de la détente auprès des muscles ou encore auprès du cœur en ralentissant la fréquence cardiaque.
Une découverte récente a chamboulé la vision de notre espèce et surtout la considération de la nécessaire cohésion sociale : les fibres CT. Ces fibres réagissent aux stimuli physiques au bout d’une à deux secondes, se transformant en messages électriques et transitant à travers notre corps jusqu’à notre cerveau, et plus précisément aux niveaux des zones de la considération de l’autre et des sensations positives. On a même découvert que ces fibres étaient en plus grand nombre sur notre dos. En terme d’évolution, cela révèle quelque chose d’assez fort : nous avons besoin d’un autre primate pour venir activer ces fibres CT, que l’on ne peut pas atteindre nous-même ! Une belle preuve de la fonction sociale du toucher et du câlin.
Le cerveau sait reconnaître les caresses qui viennent de nous-même
à celles que l’on reçoit de quelqu’un d’autre. On parle alors
de l’origine du câlin : en fait, quand on
s’auto-câline, notre cerveau est capable d’anticiper les
sensations positives, ce qui diminue alors leurs effets. Par exemple,
on estime qu’une personne se touche le visage entre 400 et 800 fois
par jour : les sensations sont donc bien moins importantes que
lorsque quelqu’un d’autre nous fait des papouilles au visage.
Un câlin n’aura pas le même effet selon son intention :
selon qu’il rassure ou émoustille, ses effets seront bien
différents. Le premier fera baisser la pression artérielle ainsi que
le rythme cardiaque, tandis que le second générera du stress (du
bon stress), dû à l’excitation et au désir.
Un câlin affectueux et réconfortant, quant à lui, active la production d’hormones spécifiques : l’ocytocine, l’hormone de l’attachement, ou d’endorphines, les hormones du bonheur. L’ocytocine renforce d’ailleurs les sentiments de sécurité et de confiance, et elle peut même être bénéfique pour notre santé : elle dope le système immunitaire, permet une meilleure résistance à la douleur, augmente nos capacités d’apprentissage, et allonge même l’espérance de vie !
La crise du covid et ses répercutions sur nos étreintes
Les câlins permettent l’échange d’informations et d’émotions uniques, que les mots ne peuvent exprimer. La distanciation sociale imposée dernièrement avec la crise sanitaire liée à la pandémie du COVID-19 impacte donc particulièrement nos relations, en créant des barrières entre les gens. Si on ne peut pas rentrer en contact avec quelqu’un par le toucher, il manquera quelque chose à l’interaction, ce qui empêche de consolider les liens sociaux, notamment chez les plus jeunes. Il y a donc une réelle incidence sur nos relations actuelles mais aussi dans le futur, notamment dans la sphère professionnelle, avec le télétravail, qui diminue les interactions sociales dans notre quotidien.
L’installation artistique « Distances » de Scenocosme, le couple d’artistes Grégory Lasserre et Anaïs Met Den Ancxt, présentée dans l’exposition « De l’amour », a été pensée et développée en avril 2020 en réaction à cette crise sanitaire qui nous a forcé à l’isolement et à la distanciation physique. Elle propose aux visiteuses et visiteurs d’entrer en contact sans se toucher, grâce à la captation et projection vidéo qui va les rapprocher virtuellement sur l ‘écran.
La solitude peut en effet avoir un effet aussi néfaste que la
cigarette ou l’alcool : le risque de mort prématurée due à
la solitude est de 45 % contre 40 % pour la cigarette ou
encore la pollution. L’absence
de contacts physiques augmenterait déjà les troubles et pathologies
mentales : plus d’arrêts maladies pour anxiété, de
dépressions ; on cherche à compenser la sensation de manque
qu’on éprouve en ce moment, et, de fait, les gens boivent plus,
fument plus, mangent plus, se dépensent plus… afin de réactiver
leur circuit de la récompense.
Au Japon, par exemple, on voit se développer des artefacts d’attachement et de présence : les lovedolls. D’après les recherches de la chercheuse anthropologue Agnès Giard, derrière ce nom évocateur se cache en réalité de véritables objets humanoïdes auxquels leurs propriétaires japonais assignent une subjectivité, voire une âme (tamashii).
Quant aux visioconférences, qui se sont particulièrement développées lors des derniers confinements, elles peuvent certes recréer une proximité avec nos amies, amis, familles, mais elles ne remplacent pas la chaleur et les bienfaits d’une étreinte. Des scientifiques sont donc en train de développer de nouvelles technologies : John Rogers, physicien et chimiste de l’université de North Western réfléchit notamment à des techniques pour recréer des contacts physiques à distance. Un bout de peau artificielle est collé à la peau du sujet avec des capteurs électroniques qui s’activent lorsque l’autre sujet touche son écran : ces capteurs convertissent alors les signaux électriques en pressions et vibrations. Une véritable prouesse technologique, mais qui ne remplacera sans doute jamais la chaleur et les bienfaits d’une étreinte ;-)
Sources utilisées :
- "Le pouvoir des caresses" | ARTE
- "Un Désir d'humain. Les « love doll » au Japon", Agnès Giard, éditions Les Belles Lettres
- "JAPON. Les hommes amoureux de leurs poupées gonflables" | Article Le Progrès
- ""Epidermal VR" Gives Technology a Human Touch" | Article Northwestern Engineering
Images d'illustration :
- Photo de John Bowlby | Wikipedia
- "Censored" - image libre de droit | Pixabay
- "Bébé Mains Doigts" - image libre de droit | Pixabay
- Photo d'Harry Harlow par Albert Fenn ©Time Inc. | Google Arts & Culture
- Photo de Donald Winnicott | Wikipédia
- Photo du créateur de Paro | Inno3Med
- Peau artificielle | Rogers Research Group - Northwestern University
- Lovedoll | Photo AFP tirée de l'article "Le Progrès" : "JAPON. Les hommes amoureux de leurs poupées gonflables"
Pour aller + loin :
- "Quelle est la bonne distance pour se rencontrer ?" | Article du Quai des Savoirs sur Echosciences Occitanie
- Quelques minutes de love #4 : "Histoire d'attachement(s)" | Vidéo & article du Quai des Savoirs
-
"Le Japon prépare un robot semblable à BB-8 « pour répondre à la solitude contemporaine »" | Article Usbek & Rica
- "Au Japon, des coussins comme partenaires sexuels" | Article The Conversation
🎬 Vidéo tournée au Quai des Savoirs en septembre 2021
Avec / script : Manon Pradelle-Archen, chargée de projets - médiation
Conception et réalisation : Manon Pradelle-Archen, Mariette Escalier, Samia Harir
Production Quai des Savoirs - Toulouse Métropole 2021
>> Retrouvez les autres épisodes de "Quelques minutes de love" :
- #1 "Histoire de cœur(s)"
- #2 "La cristallisation de Stendhal"
- #3 "Histoire de baiser(s)"
-
#4 "Histoire d'attachement(s)"
-
#5 "Histoire d'empathie(s)"
-
#6 "Histoire de câlin(s)"