❤️ De l'amour | "Le toucher est un sens incroyable !" : interview de Jacques Fischer-Lokou
Publié par Quai des Savoirs, le 3 mai 2021 1.9k
« Le toucher est un sens incroyable ! » : rencontre avec Jacques Fischer-Lokou, professeur en psychologie sociale à l’université Bretagne-Sud et spécialiste du toucher, dans le cadre de l'exposition De l'amour présentée au Quai des Savoirs jusqu'au 7 novembre 2021.
L’épidémie de Covid-19 a imposé la distance entre les personnes. La radio, la télévision, les réseaux nous le serinent à longueur de journée : impossible d’embrasser ses proches ou de les étreindre, ni même de se serrer la main. Pourtant, l’humain a, dès son plus jeune âge, besoin de toucher et d’être touché. Quelles conséquences l’absence de contacts physiques peut-elle avoir sur nos relations sociales et nos comportements amoureux ?
L’épidémie de Covid-19 – et la distanciation sociale qu’elle impose – a t-elle bousculé nos pratiques amoureuses ?
Je ne pense pas que l’épidémie de Covid-19 ait profondément bouleversé nos pratiques amoureuses. Certes, la distance, les masques, rendent plus difficiles la perception d’autrui. Mais en même temps, elles peuvent renforcer les relations amoureuses. Si l’on se réfère à la mythologie grecque, à la littérature, aux carnavals, le masque et l’amour ont toujours fait bon ménage. Don Juan, pour ne citer que lui, avance toujours masqué. Lors de la rencontre, on porte toujours socialement un masque, qui tombe lorsque la relation va plus loin.
Le manque de contact physique a-t-il un impact sur nos relations ?
Nous vivons dans une société latine où l’on se touche beaucoup. On exprime par ce biais l’émotion et l’affect que l’on porte à autrui. Mais le toucher ne suffit pas à entretenir une relation. Pour qu’elle ait du sens, il faut également être touché sur le plan des émotions, des idées…
Pourquoi le toucher est-il si important ?
Le toucher est un sens incroyable ! Il est le premier sens activé au niveau intra-utérin. Les premières cellules de l’embryon sont sensibles au toucher. À la naissance, l’enfant sera touché avant même de percevoir les premiers sons, les premières images, les premières odeurs. C’est un sens tellement important qu’on reste dépendant toute sa vie de cette activation. La psychologue et professeure américaine Tiffany Field a démontré qu’un enfant qui n’est pas touché a plus de risques de présenter des déficiences physiologiques ou mentales. Il a également été prouvé que dans les groupes, les enfants qui se touchent souvent entre eux sont moins agressifs. Dans les Ephad, on a pu constater que les personnes âgées que l’on touche participent d’avantage à la vie sociale. Et l’on sait que le lien social contribue à la longévité des personnes.
Vous affirmez que le toucher crée une relation de dépendance entre celui qui touche et celui qui est touché…
En effet, à tel point qu’il était interdit de toucher les empereurs chinois, car on risquait ainsi de les influencer ! C’est d’ailleurs toujours le cas avec la reine d’Angleterre. Le toucher initié par une personne dominante provoquerait la sécrétion d’ocytocine et renforcerait ainsi le lien social, la motivation, l’engagement. Certains patients n’ont plus confiance en leur médecin parce qu’il ne les touche pas. Ce dernier est alors perçu comme moins empathique, moins compétent, moins soucieux de la santé de ses patients.
Peut-on tomber amoureux à l’heure du Covid-19 ? Va-t-il nous obliger à inventer de nouveaux codes amoureux ?
Bien sûr que l’on peut tomber amoureux ! Quant aux nouveaux codes amoureux, je ne pense pas qu’ils changent énormément, même s’il va falloir tout de même innover. Il faudra trouver de nouveaux indicateurs. Dans une relation amoureuse, j’ai toujours été fasciné par ce qui est caché, qui est au final aussi important que ce que l’on montre. Les vêtements par exemple permettent de nous cacher ou de nous avantager. Le fait de ne pas avoir accès à tout le visage, au sourire, peut susciter plus de tension et d’attention lors d’une première rencontre. Et les masques vont bientôt, j’en suis persuadé, servir d’indicateur de statut social, ils vont devenir des marqueurs, selon qu’ils soient chics, cools ou tendance.
Pensez-vous qu’une fois l’épidémie terminée, tout redeviendra comme avant ?
Nous risquons de tendre vers le modèle anglo-saxon, où l’on se touche très peu. Ce qui m’inquiète plutôt, c’est le fait qu’avec la pandémie, on valorise tout ce qui se rapporte à la machine, à l’intelligence artificielle. J’espère que ce ne sera pas l’occasion de remplacer l’humain par la machine, comme on le voit déjà aux caisses des supermarchés. Les humains qui sont valorisés, sélectionnés lors des entretiens d’embauche, sont ceux qui se rapprochent le plus du modèle de la machine. Autrement dit, nous n’avons plus le droit à l’erreur. Attention à ne pas préférer les robots car nous avons besoin, plus que jamais, de liens sociaux, de contacts humains, qui passent, bien évidemment, par le toucher.
Pour aller + loin :
https://www.quaidessavoirs.fr/interviews
https://www.quaidessavoirs.fr/la-grande-expo
Dossier "De l'amour | Pour aller + loin