De conserve avec le thon rouge
Publié par Université de Montpellier UM, le 20 juillet 2021 990
Voyageur infatigable, le thon rouge parcourt au cours de sa vie des milliers de kilomètres. Que fait-il lors de ses pérégrinations ? Pour lever un coin de voile sur l’intimité de ce gros poisson et mieux connaître la dynamique de sa population, biologistes marins et chercheurs en micro-électronique naviguent de conserve.
Il peut atteindre plus de 3 mètres et plus de 600 kilos, « la taille d’une vache ». Il vit près de 40 ans et parcourt jusqu’à 200 kilomètres en une journée. Le thon rouge ; un poisson migrateur dont le nom a longtemps été associé à la surpêche, mais qui aujourd’hui se porte bien. « Le thon rouge de l’Atlantique a été surexploité à partir du milieu des années 1990, mais depuis 2012 le stock va mieux », explique Tristan Rouyer. Surexploité, et pourtant encore méconnu. « On ignore encore beaucoup de choses sur la dynamique des populations de thons », précise le chercheur du laboratoire biodiversité marine, exploitation et conservation (Marbec*). En cause ? La difficulté à suivre un animal aussi imposant et aussi mobile.
« Pour étudier des animaux sauvages comme le thon rouge en milieu naturel, on recourt au marquage électronique », explique Vincent Kerzérho. Problème : les systèmes utilisés pour suivre les poissons coûtent très cher. « Entre 3 000 et 4 000 euros par animal », précise le chercheur du laboratoire d’informatique, de robotique et de micro-électronique de Montpellier (Lirmm**). Un sacré budget pour un dispositif à usage unique. « Et un sacré obstacle quand on sait que pour étudier une population à grande échelle on doit récolter beaucoup de données. » Pour surmonter ces difficultés et améliorer la connaissance de ces gros poissons, les chercheurs des deux laboratoires ont décidé de travailler ensemble.
Pêche aux experts
Une collaboration qui a commencé en 2015 avec les projets Popstar et FishNship. « Nous sommes partis en quête d’experts en micro-électronique afin de développer de nouvelles solutions », se remémore Tristan Rouyer. Avec son collègue de l’Ifremer Sylvain Bonhommeau, le biologiste va alors à la pêche aux collaborateurs et ferre l’équipe de Serge Bernard et Vincent Kerzérho au LIRMM. « Le contact est très bien passé, tant sur le plan scientifique qu’humain. »
Leur mission ? Développer des dispositifs de marquage moins chers, et plus complets. « Ceux du commerce n’intègrent que 3 capteurs destinés à mesurer la pression, la température et la lumière afin de déterminer la position du poisson », précise Vincent Kerzérho. Si ces mesures permettent de suivre les déplacements des thons, elles ne donnent en revanche aucune information sur la physiologie de l’animal. « On sait où il se trouve mais on ne sait pas ce qu’il y fait. Est-ce qu’il chasse ? Se reproduit ? Est-il en train de constituer des réserves ou au contraire de les consommer ? Ce sont pourtant des informations capitales pour connaître le cycle de vie des thons et leur dynamique migratoire » explique Tristan Rouyer (lire encadré).
Balance en poisson
Les spécialistes en micro-électronique ont donc concocté un nouveau capteur qui permet non seulement de géolocaliser le poisson mais donne en plus des informations sur son taux de gras. « On utilise la bio-impédance, une technique développée par le milieu médical, celle-là même utilisée pour les balances qui donnent le taux de graisse. » Des capteurs qui devront également résister à un milieu hostile, l’eau salée, la pression qui règne jusqu’à 1 000 mètres de profondeur, où les thons font de fréquentes incursions. Et qui devront aussi relever le défi de l’autonomie. « Les thons passent beaucoup de temps en profondeur, ce qui rend la transmission des données en continu impossible. Nous avons donc conçu un système qui se décroche tout seul au bout de 6 mois à 1 an. Il remonte alors à la surface où il transmet enfin les informations récoltées », détaille Vincent Kerzérho.
Timing minuté
Défi technique relevé, avec un dispositif micro-électronique d’à peine quelques millimètres carré, connecté à des électrodes qui doivent être implantées dans la chair du poisson. C’est là qu’un autre défi commence… Car comme le souligne Tristan Rouyer, « marquer un thon de 250 kilos, c’est compliqué ». Et pour cause, il faut sortir cet énorme poisson de l’eau. « Ce que nous avons réalisé avec l’aide des pêcheurs sétois de la SATHOAN. » La pêche au thon s’effectue à la senne, un immense filet avec lequel les bateaux vont encercler les bancs de poisson. Les chercheurs en profitent pour capturer des individus au cours d’une opération au timing minuté. Une ligne munie d’un hameçon est jetée dans la senne, le thon qui y mord est hissé à bord dans une civière puis intubé sur le bateau où il y passe moins de deux minutes, « le temps de déployer le matériel ». L’animal est ensuite relâché et reprend sa route, les chercheurs dans son sillage.
Transatlantique
Depuis 2018, les scientifiques ont marqué 8 thons, et récolté ainsi des données précieuses. « Un des thons marqués en Méditerranée a été jusqu’au Sud de l’Islande puis vers le Canada avant de retraverser l’Atlantique et revenir en Méditerranée », détaille Tristan Rouyer. Un périple d’un an qui permet de connaître avec plus de précisions les routes migratoires empruntées par ces grands voyageurs.
Et ce n’est qu’un début : les chercheurs souhaitent en effet marquer davantage de thons pour pêcher encore plus de données. « Ces informations sont précieuses, car mieux connaître la dynamique migratoire de ces populations permet de mieux comprendre l’utilisation de leur habitat, notamment en fonction des conditions environnementales », précise Tristan Rouyer qui souligne également l’importance de ces connaissances pour anticiper d’éventuels changements liés par exemple au réchauffement climatique. « Plus on en saura sur l’espèce, mieux on pourra la préserver. »
Grand migrateur
Voyageur au long cours, le thon rouge a longtemps gardé secrète la carte de ses parcours. Ses migrations répondent à deux besoins essentiels : se nourrir et se reproduire. « Le thon rouge se reproduit dans les eaux chaudes de la Méditerranée. En dehors de cette zone de reproduction, il écume les eaux plus froides de l’Atlantique pour se nourrir, pouvant aller jusqu’aux zones nordiques proches des côtes norvégiennes et canadiennes où il chasse harengs et maquereaux », détaille Tristan Rouyer. Il est alors capable de prendre 30 % à 40 % de sa masse, qu’il perd ensuite durant la période de reproduction.
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*Marbec (UM – CNRS – IRD – Ifremer)
**Lirmm (UM – CNRS)