Coronavirus : les conséquences sur le marché de l’électricité
Publié par Université de Montpellier UM, le 10 avril 2020 1.1k
L’explosion de la demande liée au numérique ne suffit pas à compenser la chute de la consommation d’électricité. Shutterstock
Boris Solier, Université de Montpellier et Jacques Percebois, Université de Montpellier
Difficile pour le moment de déterminer tous les impacts qu’aura l’épidémie de coronavirus sur le secteur électrique. Certains effets se feront sentir à court terme, et d’autres à plus long terme. Intuitivement, nous pouvons déjà en dessiner les contours.
L’électricité est un bien de première nécessité et comme pour tout service public, elle est soumise à trois principes : continuité, égalité de traitement et adaptabilité.
C’est le premier d’entre eux qui est ici vital. Il n’y a aucune crainte de ce côté-là, car les opérateurs (EDF, RTE et Enedis) ont des plans qui garantissent que les centrales nucléaires et thermiques maintiendront leur fonctionnement – même avec 40 % d’absentéisme en cas de pic d’épidémie – et que les réseaux seront en état de marche.
Priorité est donnée aux agents opérationnels, qui font marcher les centrales et réparent les lignes électriques. Les agents en support peuvent continuer leur activité en télétravail. Il faut d’ailleurs qu’ils viennent le moins possible sur site pour éviter la contamination des agents qui assurent la conduite des centrales, notamment nucléaires, comme cela s’est produit à la Centrale de Flamanville où le « plan pandémie » a été activé le 16 mars 2020.
Une baisse de la demande d’électricité
La demande d’électricité a chuté au mois de mars, principalement à cause de la chute de l’activité économique. Le gestionnaire du réseau de transport d’électricité a annoncé « une tendance de – 15 % » le 18 mars.
En cause, le ralentissement voire la mise à l’arrêt de l’industrie, des commerces et des transports (TGV, métro, tramway). Une situation qui doit donc s’accentuer.
Le recours croissant au numérique du fait du télétravail et du confinement (le numérique compte habituellement pour environ 10 % de la consommation électrique en France, et la consommation de ce secteur aurait augmenté de 40 à 50 % dans le contexte de l’épidémie) ne devrait pas compenser la baisse de la demande d’électricité dans les autres secteurs, loin de là.
Signalons par ailleurs que la Commission de régulation de l’énergie demande à EDF et RTE de ne plus appliquer le système des heures de pointe, qui permet à certains clients de bénéficier de tarifs qui varient en fonction des périodes de l’année, ce qui prouve que la demande d’électricité diminue. Avec ce système, le prix payé par le consommateur final est relativement faible une grande partie de l’année, lorsque la consommation est basse mais augmente très fortement en période de consommation élévée, en hiver notamment, l’incitant à réduire sa demande.
On peut aussi s’attendre à un écrêtement des pointes journalières, c’est-à-dire à un aplatissement de la courbe de demande d’électricité.
Traditionnellement, la consommation d’électricité atteint son niveau le plus haut aux alentours de 8h, lorsque les entreprises démarrent leur activité. La réduction de l’activité économique et les mesures de confinement mises en place tendent ainsi à atténuer cette pointe de consommation journalière et à lisser la courbe de demande. « Le recours aux effacements tarifaires pour limiter les pointes de consommation apparaît désormais peu utile et pourrait, au surplus, entraîner une augmentation des factures des consommateurs concernés », indique par ailleurs la CRE.
Prix de l’électricité
La France est plutôt en surcapacité électrique et la température est assez clémente, d’autant que nous nous dirigeons vers le printemps. Il n’y a donc pas de crainte à avoir du côté de l’offre d’électricité. La demande en revanche risque encore de décliner fortement. Cela a et aura un effet sur le prix constaté sur le marché de gros de l’électricité – et par ricochet sur les recettes des producteurs et fournisseurs d’électricité (EDF et fournisseurs alternatifs).
L’appel des centrales sur le réseau se faisant par ordre de coût marginal croissant, les moyens de production dont le coût variable est le plus faible (renouvelable et nucléaire) sont utilisés en priorité pour satisfaire la demande d’électricité. Les centrales thermiques fonctionnant au gaz ou au charbon, dont le coût variable de production est sensiblement plus élevé, seront par conséquent les plus susceptibles d’être affectées par la diminution de la consommation.
Certes le prix du gaz est très bas puisqu’il suit celui du pétrole, lui-même en chute libre, mais la réduction du coût de production du kWh thermique ne modifiera pas le principe selon lequel la priorité est donnée aux énergies fatales (hydraulique au fil de l’eau, solaire et éolien) et au nucléaire. La baisse de la demande pourrait au contraire accélérer le recul, déjà amorcé, du charbon dans la production électrique en Europe.
Le prix de gros du kWh chutant, son prix TTC devrait baisser légèrement lui aussi pour le consommateur final. Rappelons que l’approvisionnement en électricité ne représente qu’un tiers de la facture que nous payons,le reste correspondant au prix du transport et de la distribution et aux taxes.
De façon concomitante, le prix de la tonne de CO₂ s’effondre sur le marché européen, passant en quelques semaines de 24 euros le 10 mars à 15 euros le 23 mars, du fait de la baisse de production d’électricité thermique et donc des émissions de CO2 en Europe.
Bien que le mix électrique français soit décarboné à plus de 90 %, cela devrait renforcer la baisse des prix de gros du fait des interconnexions avec les autres pays d’Europe de l’Ouest plus émetteurs de CO2.
Capitalisation boursière
La chute des recettes des producteurs et fournisseurs d’électricité se traduira par une baisse de leur valeur en bourse. La capitalisation boursière de ces opérateurs devrait suivre la tendance observée sur toutes les bourses mondiales.
Certains investissements dans la production d’électricité (centrales thermiques à gaz par exemple) vont devenir des « coûts échoués » dans la mesure où ils ne seront plus appelés à fonctionner qu’un faible nombre d’heures dans l’année, ce qui ne permettra pas d’assurer leur rentabilité.
À terme, la situation donnera sans doute lieu à des faillites pour les opérateurs les plus fragiles, ou du moins à un mouvement de fusions et acquisitions. C’est vrai à l’échelle mondiale, probablement en Europe aussi ; ce moins certain en France, au regard du poids de l’opérateur historique, qui demeure très largement public.
Une chute des investissements à venir
C’est sans doute en matière d’investissements qu’à terme les effets seront les plus lourds. Le déclin durable de la demande d’électricité, qui devrait se poursuivre si la France entre durablement en récession (taux de croissance économique négatif), s’accompagnera d’une chute des recettes des opérateurs et de leur trésorerie.
Il faut par conséquent s’attendre au report de certains investissements de rénovation dans le nucléaire mais aussi à la réduction des investissements dans de nouveaux projets (énergies renouvelables voire nucléaire nouveau).
De la même manière, la plongée des prix du pétrole renchérit considérablement le coût relatif des investissements dans les énergies bas carbone et risque d’affecter l’efficacité énergétique, faute de moyens financiers et parce que la facture d’électricité aura légèrement baissé pour le consommateur final. La lutte contre le réchauffement climatique et la réduction de la consommation d’énergie risquent de passer au second plan dans les prochains mois pour de nombreux agents économiques – à commencer par les décideurs publics.
Il est probable que pour toutes ces raisons, le processus de libéralisation du secteur de l’énergie risque d’être freiné et la réforme du marché de l’électricité reportée aux calendes grecques.
N’oublions pas non plus que l’électricité ne représente qu’un quart de la consommation finale d’énergie en France. Les produits pétroliers constituent l’essentiel de cette consommation (46 %). La situation des autres secteurs aura également un effet direct ou indirect sur le secteur électrique. Anticiper toutes les interactions est délicat d’autant que l’on ignore combien de temps durera la crise mondiale ainsi que ses effets à plus long terme sur l’économie.
Boris Solier, Maître de Conférences en économie, Chercheur associé à Art-Dev et Chaire Economie du Climat, Université de Montpellier et Jacques Percebois, Professeur émérite en économie, chercheur associé à la chaire Économie du climat (Paris-Dauphine), Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.