Regards croisés : "consommer local" et circuits courts
Publié par Quai des Savoirs, le 28 juillet 2020 2.3k
Dans le cadre de la programmation associée à l'expo-game "Code Alimentation" et en partenariat avec la médiathèque de Quint-Fonsegrives, devait avoir lieu le 28 mars dernier une rencontre sur le thème des circuits courts et du "consommer local" avec Melise Bouroullec, enseignante-chercheuse en économie des filières à l'INP Purpan, et Sylvain Joffre, chef étoilé du restaurant "En Pleine Nature" de Quint-Fonsegrives.
Ils ont accepté de s'entretenir avec nous et de répondre à quelques questions sur ce sujet.
Qu’est-ce qu’un circuit court ? Quels sont les circuits courts existants en Occitanie et qu’est-ce qui diffère d’un département à l’autre ?
Sylvain Joffre : Un circuit court c'est consommer un aliment qui a été produit proche de votre domicile et où le producteur a été rémunéré à sa juste valeur afin qu'il puisse poursuivre son activité avec sérénité. Pour moi les circuits courts sont partout, sur les marchés, certaines boutiques spécialisées et surtout directement chez le producteur.
Melise Bouroullec :
La
notion de circuit
court alimentaire est
très ancienne et dans un premier temps centrée sur la dimension
relationnelle des échanges entre producteurs et consommateurs et la
réduction du nombre d’intermédiaires : un
intermédiaire maximum. Aujourd'hui une proximité géographique
entre le producteur et le consommateur final est davantage
recherchée. De ce fait, la notion de circuit
alimentaire de proximité
tend
à s’imposer dans l’espace professionnel et dans
la recherche (voir figure ci-dessous).
Nous parlons de plus en plus de chaînes
alimentaires courtes de proximité (CACP), soit des circuits
d’approvisionnement impliquant un nombre limité d’opérateurs
économiques engagés dans la coopération, le développement
économique local et des relations géographiques et sociales
étroites entre les producteurs, les transformateurs et les
consommateurs (Commission européenne, 2011, révisé par le
Parlement européen, 2013). Cela intègre les circuits courts avec
aucun ou un intermédiaire (Chaffotte et Chiffoleau, 2007) ainsi que les circuits de
proximité qui prennent en compte une "proximité géographique" et une "proximité organisée" dans l'analyse des relations entre producteurs et consommateurs (Praly et al.,
2014). Les CACP recensent une diversité
d’initiatives comme des circuits de commercialisation ancrés dans la tradition rurale (vente à la ferme, les marchés etc.) jusqu’aux formes nouvelles ou en renouvellement (drives fermiers, plateformes, distributeurs automatiques etc.).
En
général, les CACP permettent aux producteurs de conserver une part
plus importante de la valeur ajoutée de leurs productions, et aux
consommateurs de participer au développement
et au maintien de l’activité agricole de leur territoire. En 2010,
en Occitanie, 1 exploitation sur 5 s’inscrivait dans une démarche
de circuit court. Des 14 503 exploitations mobilisant ce mode de
commercialisation, 80% mobilisent la vente directe et pour 41% des
exploitations les ventes en circuits courts représentent 75% de leur
chiffre d’affaires. Cependant, en Occitanie l’implication des
producteurs dans ces démarches n’est pas la même selon les
productions et les départements d’origine. Par exemple, 49% des
producteurs de miel et 46% des producteurs de légumes vendent en
circuits courts alors que pour les produits laitiers et ceux de
l’aviculture, seuls 8% des producteurs sont concernés. Selon
l’Agricospie (2019), même si les exploitations les plus nombreuses
en circuits courts sont les élevages bovin viande et les
viticulteurs, cela ne concerne qu’une partie des exploitations de
ces types (environ 20%). Si dans l’Aveyron 11% des exploitations
commercialisent en circuits courts, la place des circuits courts est
de 18% dans Gers et atteint 33% et 37% dans les Hautes-Pyrénées et
37% en Ariège respectivement.
Percevez-vous une différence entre les enquêtes sur le sujet et l’attente réelle/la demande des consommateur·trice·s (individuels, professionnel·le·s de la restauration, client·e·s des restaurants…) ?
Melise Bouroullec :
Les études montrent des chiffres enthousiastes sur la demande des
produits locaux. Selon l’enquête Arcane Research pour
l’Observatoire de la consommation responsable « Mes courses
pour ma planète » (2017), près d’un français sur quatre
est considéré localiste. L’étude Kantar (2019) montre que 78%
des consommateurs essaient d’acheter des marques locales le plus
souvent possible. Une sensibilité croissante à la traçabilité des
produits et au nombre d’intermédiaires est observée. En
2013, la consommation en circuits courts était estimée entre 6% et
7% des achats alimentaires en France (Loise et al. 2015). Selon
PIPAME (2017), en 2017 l’estimation reste entre 10% et 15%.
La
restauration collective constitue un autre levier de croissance
important. Elle représente 3 milliards de repas chaque année
(Xerfi, 2016). La restauration collective publique, en particulier,
constitue un levier important pour le développement des CACP. La loi
EGALIM date de 2018 et dispose que la restauration collective
publique utilise, au plus tard au 1er janvier 2022, au moins 50% de
produits « durables » et 20% issus de l’agriculture biologique.
Malgré le fait que le local et les circuits courts ne soient pas
directement cités, plusieurs dispositifs permettent de les
intégrer : d’une part les mentions valorisantes (produits
« fermier », « produit de la ferme »,
« produit de montagne », « issus d’une
exploitation de haute valeur environnementale » etc.) ;
d’autre part les clauses environnementales tels le coût du cycle
de vie du produit et ses externalités environnementales. Le mode de
transport et la distance parcourue pourraient être valorisés. La
saisonnalité, la fraîcheur, la traçabilité, la qualité
gustative par exemple peuvent être
utilisés. Cependant, la présence des CACP dans les achats de la
restauration collective est variable d’une ville à l’autre.
Plusieurs raisons expliquent la présence encore timide des CACP dans
ce marché. Du côté des producteurs, ils peinent à répondre aux
critères formulés par les pouvoirs prescripteurs. Du côté de la
commande publique, les collectivités connaissent encore plutôt mal
l’offre locale de producteurs en circuits courts.
Dans la restauration collective privée, l’offre commence à se structurer. Plusieurs restaurateurs s’approvisionnent auprès des producteurs au Grand Marché de Toulouse. D’autres se différencient en proposant des produits locaux et en développant des partenariats très rapprochés avec les producteurs.
Sylvain Joffre :
Selon moi, il faut que l'on apprenne à changer nos habitudes : pendant une
bonne partie du 20ème siècle on a cultivé la culture du tout, tout
le temps, on s'est déconnecté de la terre et les saisons ont
disparu. Actuellement la communication est bien présente sur le
sujet des circuits courts mais il faut réapprendre aux consommateurs
à acheter de manière cohérente et leur faire comprendre qu'une
tomate n'est bonne qu'en été.
“Manger local” est-ce une pratique récente en vogue ? Quelles motivations poussent les consommateur·trice·s à manger local ?
Sylvain Joffre : Manger local prend de plus en plus d'ampleur et c’est bien. Les consommateurs commencent à prendre conscience que manger un produit qui a été cultivé localement, dans de bonnes conditions, sans traitements, c'est bon pour leur santé et c'est bon pour la planète.
Melise Bouroullec : Parmi les facteurs qui expliquent l'évolution dans les pratiques alimentaires des consommateurs figure la perte de confiance dans les produits agroalimentaires (liée à la succession de crises sanitaires) et une volonté de contrer la fragilisation des producteurs en achètent leurs produits à un prix « juste ». Cependant, le comportement du consommateur n’est toujours pas cohérent. Il peut être soucieux des circuits courts le weekend et pendant les vacances ; mais ne pas se poser la question le reste du temps. Sa demande peut être contradictoire avec la répartition des produits sur un territoire. Si certains militent pour les circuits courts et les produits locaux, une prise de conscience et des changements dans le mode de consommation et d'achat d'une grande majorité de consommateurs sont encore nécessaires.
Pendant le confinement, les supermarchés ont annoncé leurs soutiens aux filières locales. Comment se traduit ce soutien ? Est-ce le premier pas vers une évolution des pratiques dans un futur proche ?
Melise Bouroullec : La crise sanitaire du Covid-19 a mis en tension les chaînes d’approvisionnement alimentaires, qu’elles reposent sur la proximité ou des filières longues. Les livraisons à domicile et les drives proposés par les fermiers ou bien les super-hypermarchés ont été pris d’assaut. Des voisins ou amis se sont organisés pour faire leurs courses. Les associations, déjà en place ou nouvellement créées, ont joué un rôle important dans le lien entre les producteurs et les consommateurs. Les collectivités locales se sont mobilisées pour aider à relocaliser l’alimentation et faire face aux précarités alimentaires.
À tous les niveaux, des questions et des leçons sont tirées de la
crise. Les producteurs basculent entre espoirs, encouragements et
incertitudes sur ce qui va rester de cette période. Les
consommateurs ont pu expérimenter des nouvelles pratiques culinaires
et d’approvisionnement, notamment en circuits courts. Si certains
reviennent vite à leurs habitudes d’achat, d’autres semblent se
soucier davantage de l’origine et de la qualité des produits
alimentaires consommés.
Sylvain Joffre :
Là c'est un sujet sur
lequel j'émets plus de réserve. Ici on va évoquer le problème de
la rémunération des agriculteurs. Les grandes surfaces passent par
des intermédiaires qui
négocient
les prix d'achat. On demande toujours au producteur de produire à
moindre coût tout ça au détriment de leur rémunération. C'est
quand même un des rares
métiers
qui ne décide pas du prix auquel il va vendre sa production auprès
des coopératives. A mon sens ce n'est plus possible de fonctionner
comme-ça, et malheureusement cela existe encore, un éleveur que je
connais a vécu cette expérience durant le confinement. Je ne juge
pas, je dresse juste un constat sur des pratiques qui mettent à mal
ce si beau métier. A nous consommateurs de faire les bons choix.
Pour aller plus loin :
Rencontre "Et si on mangeait tous bio et local ?" avec Vincent REQUILLART, économiste, directeur de recherche INRAE, Toulouse School of Economics Research (Université Toulouse 1 Capitole - CNRS - INRAE - École des hautes études en sciences sociales), Yuna CHIFFOLEAU, directrice de recherche au centre INRAE Occitanie-Montpellier (SupAgro Montpellier, CIRAD), Catherine DUFOUR, écrivaine, auteure de Science-Fiction.
https://www.echosciences-sud.f...
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