Commerce de viande sauvage : gare aux risques sanitaires !
Publié par IRD Occitanie, le 3 avril 2024 370
Coup double pour Philippe Gaubert, chercheur IRD et ses partenaires autour des risques infectieux associés à la consommation de viande d’animaux sauvages : une revue bibliographique qui recense les pathogènes de 168 espèces dans 32 pays et une enquête analysant les impacts de l’épidémie de COVID sur la dynamique des marchés de viande de brousse dans trois pays africains.
Gibier, viande de brousse, au nord comme au sud circulent tout ou partie de carcasses d’animaux chassés qui alimentent des étals locaux et jusqu’au commerce mondial. Enquête sur les organismes infectieux associés à cette ressource d’origine sauvage.
Primates, rongeurs, oiseaux, reptiles, tout se mange
On pourrait penser que les épidémies d’Ebola et de SRAS ou encore la pandémie de COVID-19 auraient légèrement refroidi les amateurs de chair de pangolin ou de chimpanzé… mais si on en croit l’enquête menée par une équipe internationale qui a passé en revue la bibliographie (2000-2022) sur les organismes infectieux préoccupants pour la santé publique associés à la viande de brousse, il n’en est rien. « Malgré les risques sanitaires et l’association avec ces épidémies ayant marqué les esprits, le commerce mondial de viande de brousse continue de prospérer, déclare Philippe Gaubert, biologiste de la conservation à l’UMR CRBE. Cette pratique constitue une menace importante pour la santé publique car il facilite la propagation d'agents pathogènes zoonotiques? par le biais d'activités à haut risque telles que la chasse, le dépeçage, le commerce et la consommation d'animaux sauvages. » Les 97 publications analysées identifient 114 genres pathogènes (15 virus, 40 bactéries, 54 parasites et 5 champignons) chez des animaux sauvages appartenant à 168 espèces de vertébrés (dont mammifères, reptiles et oiseaux), échantillonnés dans 32 pays. Parmi les genres identifiés, 32 % ont un potentiel zoonotique. Treize genres viraux, quatre bactériens et un parasitaire ont également été trouvés chez des vendeurs de viande de brousse, ce qui confirme le potentiel de propagation d'agents pathogènes du gibier aux humains liée à cette activité commerciale.
Mesures sanitaires pendant la pandémie de COVID-19 en Afrique
Une autre approche a été mise en œuvre pour évaluer les répercussions des mesures sanitaires prises pendant la pandémie de COVID-19 sur la filière de viande de brousse dans trois pays d’Afrique de l’Ouest et centrale : Bénin, Cameroun, Côte d’Ivoire. Des questionnaires adressés à 377 vendeurs ont permis de recueillir leurs perceptions sur la dynamique de ce commerce frappé par des interdictions nationales de diverses ampleurs et aux diverses conséquences socio-économiques. « Les vendeurs s’accordent généralement sur le fait que la pandémie a eu un impact négatif sur leurs activités et sur le nombre de clients, révèle Sery Gonedelé-Bi, généticien à l’Université Félix Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire). Cependant, nous avons observé de grandes divergences entre les dynamiques commerciales nationales. » Son pays a été durement touché par l'interdiction du commerce de viande de brousse et a perçu les mesures gouvernementales comme plutôt négatives, alors que le Cameroun n'a généralement pas subi d'arrêt temporaire de cette activité et s'est engagé dans le stockage de viande de pangolin (le mammifère sauvage le plus braconné au monde) tandis que le Bénin a souffert d'une chaîne d'approvisionnement affaiblie. Globalement, les vendeurs d’Afrique occidentale et centrale ne croyaient pas à l’implication des pangolins dans la pandémie, car selon eux « les gens ont toujours mangé du pangolin et n’ont jamais été malades ». Ceci souligne le fait que ces commerçants restent peu conscients des risques sanitaires liés à la consommation de viande sauvage.
Information, éducation et sensibilisation de la filière
La diversité des organismes infectieux associés à la viande de brousse mise en évidence dans la première étude pourrait orienter l’élaboration de politiques nationales de veille sanitaire. Cependant, l’utilisation d’approches de détection ciblées biaise probablement l’exploration de cette diversité, empêchant notamment la découverte de nouvelles maladies émergentes. « Étant donné que les mécanismes génomiques peuvent rapidement transformer une souche virale inoffensive en une maladie infectieuse émergente, nous recommandons que les futures campagnes de sensibilisation à la télévision et sur les réseaux sociaux – les principaux médias consultés par les vendeurs – abordent les questions liées à l’évolution microbienne et au changement d’hôte », concluent les auteurs de la deuxième étude. Le risque sanitaire mondial au cœur de ces deux publications devrait faire du commerce illégal de viande de brousse une priorité politique et scientifique.
Publications :
- Georgia Kate Moloney, Philippe Gaubert, Sophie Gryseels, Erik Verheyen, Anne-Lise Chaber, 2023. Investigating Infectious Organisms of Public Health Concern Associated with Wild Meat. Transboundary and Emerging Diseases, vol. 2023, 5901974 https://doi.org/10.1155/2023/5901974
- Philippe Gaubert, Chabi A.M.S. Djagoun, Alain Didier Missoup, Nazif Ales, Claude Vianney Amougou, Alain Din Dipita, Joël Djagoun, Koffi Jules Gossé, Cécilia Espérence Koffi, Edwidge Michèle N’Goran, Yves Noma Noma, Stanislas Zanvo, Maurice Tindo, Agostinho Antunes, Sery Gonedelé-Bi. 2024. Vendors’ perceptions on the bushmeat trade dynamics across West and central Africa during the COVID-19 pandemic: Lessons learned on sanitary measures and awareness campaigns. Environmental Science & Policy, vol.152, 202 https://doi.org/10.1016/j.envsci.2023.103649
Contacts scientifiques : Philippe Gaubert, IRD, CRBE PHILIPPE.GAUBERT@IRD.FR
Sery Gonedelé-Bi, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire SGONEDELE@GMAIL.COM
Contacts communication : Fabienne Doummenge, Julie Sansoulet COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR
Source : https://www.ird.fr/commerce-de...