Comment se prépare t-on à aller sur Mars… ou presque !

Publié par Estelle Frayssinous, le 14 janvier 2016   8.6k

Simuler la vie sur Mars pendant quinze jours au beau milieu du désert de l’Utah, voilà l’aventure peu banale à laquelle se préparent sept étudiants de l’école Supaéro de Toulouse dans le cadre du programme MDRS (Mars Desert Research Station).


Le programme de recherche MDRS permet à un équipage de six à sept personnes de simuler durant quinze jours la vie sur mars. Pour cela, l’équipage se rend dans une base spécialement aménagée, située en plein milieu du désert de l’Utah où les conditions de vie se rapprochent de celles de la planète rouge.

Se mettant dans la peau de véritables astronautes, les étudiants vont devoir mener une série d’expériences qu’ils auront pensées et élaborées durant des mois. Ce programme de recherche est porté par l’organisation internationale Mars Society qui a pour but de promouvoir l’exploration spatiale de la planète Mars auprès du public.

En 2014, sept étudiants de l’école ISAE Supaéro de Toulouse décident de tenter l’aventure et de candidater à cette mission.

Résultat, en 2016, c’est un équipage 100% Supaéro Toulouse qui partira aux Etats-Unis pour rentrer dans la station de l’Utah !


Camille Gontier, membre de l’équipage et ancien étudiant de Supaéro nous raconte comment lui et ses collègues se préparent t-ils à aller sur Mars... ou presque !11146219_561039417369965_397576461971106833_n.jpg

Comment définissez-vous le projet “Mars Desert Research” ?

Il s’agit d’un programme de recherche initié par l’organisation Mars society qui a pour but de susciter l’intérêt du public pour l’ exploration de la planète Mars. Pour cela, ils ont installé des bases analogues (c’est à dire des bases isolées ressemblant à un véritable habitat spatial et dans lequel toutes les conditions d’une vraie mission sont reproduites) un peu partout dans le monde : celle dans le désert de l’Utah où nous allons aller mais aussi en Australie, en Arctique, etc. (pour une liste complète, voir https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_Mars_analogs )

Celle de l’Utah est la seule qui soit continuellement ouverte aux étudiants , bien qu’elle accueille également des chercheurs professionnels et des ingénieurs chevronnés, c’est d’ailleurs la majorité des équipages ! Elle peut cependant accueillir des personnes aux profils très différents et pas forcément scientifiques . Par exemple, des journalistes peuvent se rendre sur la base pour suivre durant plusieurs jours le quotidien d’une rotation (cela a été le cas pour des journalistes de France 3 il y a quelques années, ou encore canal + pour nous cette année).

Nous sommes sept étudiants à aller là-bas pendant 15 jours pour mener la vie normale d’un équipage, à savoir :

- Faire des expériences

- Se comporter exactement comme si on était vraiment sur mars. Cela implique de simuler les conditions de vie imposées sur mars : on ne peut pas sortir de la base sans combinaison, on dispose d’un délai de 40minutes dans les communications etc.

- Faire face à des aléas, des imprévus. La Mars Society va en effet simuler des pannes électriques, des urgences médicales pour voir comment on peut s’en sortir.

Le désert de l’Utah a été choisi parce que paysage ressemble beaucoup à celui de mars justement.

Comment vous et votre équipe vous êtes-vous retrouvés au sein de ce programme mondial de recherche ?

Le principale relais Français qui nous a permis de connaître le programme est l’association française Planète mars. C’est la branche Française de la Mars Society , elle encadre notre préparation à la mission.

A Supaero, ce sont des étudiants belges qui ont importé ce programme. Ils venaient de l’UCL ( Université Catholique de Louvin) qui envoi chaque année depuis cinq ou six ans un équipage d’étudiants dans la base de l’Utah. Ils étaient surpris que personne à Supaero ne connaisse ce programme !

C’est comment ça que nous est venu l’idée de créer en mars 2014 l’association étudiante “ Mars Analog Mission” pour recruter des étudiants et former un équipage complet.

On avait postulé une première fois pour participer l’année dernière mais la Mars society n’a pas accepté notre candidature car aucun de nous n’avait encore intégré la MDRS et ils ne pouvaient pas envoyer un équipage entier qui n’avait pas d’expérience dans le domaine. Ils ont donc pris deux membres de notre équipage pour participer à la mission MDRS151 en mars 2015 au cours de laquelle ils ont été formés et encadrés par des vétérans de la MDRS.


Deux étudiants de supaero (Mehdi Scoubeau, en bleu à gauche et Mohammad Iranmanesh, en bleu à droite) lors de la 10401947_551691191638121_7575056010999551508_n.jpgMission MDRS 151.

Pour la prochaine édition prévue en février 2016 c’est l’assemble de notre équipage qui pourra donc partir sur la base.

L’équipage sera donc “100% Supaero”, c’est un sacré privilège !

Ce n’est pas la première fois que cette mission dispose d’un équipage uni-national et qui vient d’une seule école. Même si parfois la Mars society aime bien varier les profils et mêler les nationalités, les âges et les spécialités, il y a d’autres avantages à avoir un équipage qui soit issu de la même école et du même territoire. Cela permet d’avoir un soutient qui soit vraiment centralisé . On a en effet le soutient de tous les laboratoires de Supaero, mais aussi de nos professeurs référents.

Comment se prépare t on à aller simuler la vie sur Mars ?

C’est une préparation qui demande un an, mais un an ce n’est vraiment pas suffisant !

Déjà, il y a tout le volet scientifique, c’est à dire la préparation et l’organisation des expériences. C’est un travail très prenant car les expérimentations prévues sont poussées et complexes, ce n’est pas du bricolage !

Toutes les expériences que nous mettons en place demandent du matériel, il faut donc contacter les laboratoires et les entreprises pour qu’ils nous le prêtent. Ce sont par exemple des drones, des casques etc.

Essayage de scaphandre analogue de l'association Planète Mars10544764_514794331994474_3782173552365285047_o.jpg

Puis il y a les protocoles d’expérimentations eux-mêmes : il faut les établir très précisément pour qu’ils atteignent le même niveau de rigueur que ceux d’un projet de recherche mené en laboratoire.

Et en plus de tout ça, il y a une logistique assez importante : il faut préparer le voyage, le déplacement du matériel, démarcher des sponsors etc.

Donc en gros on ne chôme pas !

Concrètement, combien de temps cette préparation vous prend par semaine ?

Cela dépend de la période, mais je dirais qu’on y consacre tous une dizaine d’heures par semaine.

Ce qui nous complique cependant encore plus la tache c’est qu’on vient tous de Supaéro mais que nous ne sommes pas tous de la même promo. Il y a en donc certains qui sont encore à Supaéro en 2ème et 1ère année et d’autres comme moi qui ont finis Supaéro et qui font maintenant des stages un peu partout, à Paris, en Suisse, aux Etats-Unis, à Paris etc.

On ne peut donc pas se rassembler autant qu’on le voudrait.

Quelles expériences allez-vous précisément mettre en place ?

Nous prévoyons beaucoup de tests de matériel, notamment celui d’ un drone quadricoptère qui nous a été prêté par le DMIA (Département Mathématique, Informatique et Automatique de l’ISAE).

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Nous prévoyons de tester son utilisation pour communiquer entre membres de l’équipage. Sur mars il n’y a en effet pas d’antenne, ni de GPS donc le but c’est de trouver des moyens de communication pour les astronautes . On est donc en train d’essayer d’adapter des relais radios sur ce drone pour voir si on peut s’en servir là-bas pour communiquer entre nous quand nous sommes séparés par des “obstacles” tels qu’une colline par exemple.

On prévoit également de l’équiper de différentes caméras pour voir s’il peut aussi servir de guide à des astronautes.

C’est un drone entièrement conçu par le DMIA qui a accepté de nous le prêter pour qu’on puisse le tester en conditions analogues, parce qu’eux ne peuvent que le tester en conditions de laboratoire, ils n’ont pas accès à ce type d'environnement un peu extrême.

A côté de cela on va mener des expériences dans le domaine des facteurs humains. C’est une étude que l’on fait en partenariat avec le CAS (Centre Aéronautique et spatiale de Supaero) qui est très en pointe sur les questions de l’interaction entre l’humain et le matériel.

Concrètement, on va utiliser un électrocardiogramme pour mesurer l’activité attentionnelle d’un astronaute. On s’est en effet rendu compte en faisant des études sur des pilotes d’avion par exemple qu’ils avaient des capacités d’attention qui fluctuent en fonction du temps.

Notre but est donc de trouver des moyens permettant de détecter ces pertes d’attention qui peuvent conduire à des accidents.

On a déjà fait des expériences assez concluantes avec un “eye-tracker”, un dispositif qui mesure le taux de clignement, la taille de la pupille, la direction du regard etc. On s’est rendu compte que c’était assez efficace pour détecter des pertes d’attention. Notre ambition est de le refaire en utilisant un électrocardiogramme sur un astronaute en combinaison, quand il sortira de la base.

Enfin, un autre exemple de matériel testé : l’utilisation un ballon de sonde qu’on va pouvoir transporter et tester au cours d’une sortie extravéhiculaire et qui va transporter du matériel type caméra, instruments météo etc. Nous réutilisons pour cela un concept de ballon déjà conçu et étudié lors de précédentes simulations par l’association Planète Mars (voir notamment http://oewf.org/en/portfolio/austria-amadee-15/ )

Toutes ces expériences prévoient donc un gros travail de préparation . Il faut que tout soit préparé très longtemps à l’avance et que l’on s’entraîne à faire les manipulations que l’on devra faire sur place, tel que par exemple placer les électrodes sur l’astronaute portant l’électrocardiogramme. Il faut aussi se familiariser avec le fonctionnement de la base , s'entraîner à faire des réparation au niveau du tableau électrique par exemple.

Êtes-vous accompagnés et suivis tout au long de cette préparation ?

Heureusement oui ! Nous prévoyons au total sept expériences et le niveau de rigueur et de préparation souhaité par la Mars Society est aussi élevé que celui d’un vrai projet de recherche.

Pour vous donner une idée, ils exigent d’envoyer un premier compte rendu de la préparation de l’expérience plusieurs mois à l’avance, c’est de qu’on appelle un PRIF (PRIF : Preliminary Research Information Form). C’est un document dans lequel on explique :

  • Le but de l’expérience
  • Le protocole mis en place
  • Les documents prouvant la sécurité de l’expérience

Il faut surtout préciser impérativement pourquoi on a impérativement besoin d’aller à la station MDRS pour faire cette expérience et qu’est ce que cela apporte par rapport à une salle de laboratoire “normale” . Il faut donc justifier le fait qu’on a vraiment besoin du contexte de la base pour réaliser l’expérience.

Il s’agit du Conseil scientifique de la Mars Society qui est en charge d’évaluer chaque projets de notre expérience, de les approuver ou non et de nous guider tout au long de la préparation.

Ensuite, une fois la mission terminée il faut enregistrer toutes les données, les interpréter et écrire un compte rendu pour la Mars society.

Et une fois sur la base, comment se prolonge le suivi ?

Il vaut savoir que les conditions seront très similaires à celles de la vie sur Mars. Une fois là-bas on sera donc rationnés en nourriture, en eau, en électricité et surtout on aura un accès très restreint à internet et on ne pourra pas avoir de conversation de vive voix avec des personnes “extérieurs”.

L'étudiant Mohamed Iranmanesh lors de la Mission MDRS151

On est cependant tenu d’envoyer un rapport quotidien à la Mars Society qui fait le compte rendu de l’activité de la journée, du ressenti de l’équipe, de l’état de la station etc.

On fournit également quotidiennement un rapport plus technique sur le niveau d’eau et de nourriture restante, ainsi que le planning exacte des sorties extra-véhiculaires prévues pour le lendemain.

Comment financez-vous l’ensemble de cette mission ?

La Mars Society ne nous apporte pas de soutient mais on a un budget qui est globalement de 8000€ pour un équipage de 7 personnes et qui comprend les billets d’avions pour aller au États-Unis, à cela s’ajoute le transport du matériel qui est un excédent bagage.

De plus, il faut louer la station elle même ! Avec tout ce qui faut de nourriture, d’eau et d’électricité. On paye ça directement auprès de la Mars Society (la NASA prend en charge une partie de nos frais de fonctionnement dans la station) et c’est 500 dollars par personne pour les 15 jours.

Ensuite, il y a les frais annexes à savoir la nuit d’hôtel qu’on passe la veille avant de faire le trajet dans le dessert pour atteindre la station, l’achat des combinaisons, et enfin s’il nous reste un peu de sous, la conception de supports publicitaires pour communiquer un peu sur la mission.

On a réussi à atteindre 2000€ grâce à une campagne de crowdfunding. L’association Planète Mars nous a fait un don de 2000€ également. On a une stature d’association scientifique et technique auprès du bureau des élèves de Supaero et on a donc droit à une subvention de l’école qui devrait s’élever à environ 2 000€ cette année.

Et après et bien faudra mettre de notre poche pour payer le billet d’avion !

A coté de ça, on démarche des entreprises, on essaye de postuler à des prix offerts aux projets ingénieurs. On a notamment postulé à un prix porté par la société générale. Si jamais on est sélectionnés on espère avoir un soutient pour la mission de 2017 !

Oui car le but du jeu est vraiment d’avoir un équipage de supaéro qui parte chaque année dans la MDRS.

Présentation du projet MDRS lors de la conférence SpaceupX à Paris

Votre équipe est très présente sur le WEB (Une page Facebook, un compte Twitter, des vidéos Youtube, un site dédié) et vous renseignez beaucoup votre démarche de préparation, en quoi est-ce important pour vous ?

Il faut savoir que cette mission a selon nous trois objectifs principaux :

Le premier est effectivement de mener des expériences dans un environnement similaire à celui de mars. C’est l’objectif le plus évident.

Le deuxième objectif est de rassembler un maximum de données sur tout ce qu’on fait sur place. Cela peut paraître un peu étrange mais il faut vraiment qu’on mesure, qu’on chronomètre, qu’on pèse absolument tout. Par exemple, le temps qu’il faut pour mettre sa combinaison, le volume d’eau et de nourriture consommés par jour, le poids de l’équipement que l’on prend avec nous. Ça peut paraître un peu étrange mais tout cela va être envoyé à la NASA pour préparer de futures missions. Car rien ne peut être laissé au hasard, ils ont besoin de recueillir un maximum de données pour prévoir ce genre de mission sur Mars.

Le troisième objectif c’est de promouvoir l'intérêt du public pour l’exploration Marsienne et pour l’exploration spatiale en général. En plus de l’objectif technique et scientifique il y a un vrai objectif de communication scientifique. Ce n’est pas une mission imposée par la Mars Society, mais c’est une mission qui nous tient tous particulièrement à cœur. Notre but n’est pas seulement de faire des expériences mais être aussi capables d’en parler et pas forcément dans un jargon technique !

Tous ces supports nous permettent donc certes de chercher des sponsors et de communiquer mais surtout de partager notre passion, à savoir l’exploration spatiale, auprès de tout un public qui pourrait s'intéresser à ça. On a selon moi un véritable rôle de vulgarisation scientifique.

C’est d’ailleurs une problématique à laquelle je suis personnellement très sensible. En mai 2015, j’ai eu la chance d’être sélectionné pour la finale nationale du concours de communication scientifique FameLab. Cette expérience m’a réellement poussé à promouvoir l’aspect communication scientifique que l’on peut avoir dans ce genre de mission.

Envisagez-vous de partager cette expérience après la mission ?

Tout à fait ! On prévoit notamment en partenariat avec l’association Planète Mars de présenter les scaphandres qui sont utilisés lors de ce genre de missions, et de les exposer dans des écoles et des universités de la région Toulousaine .

Alain Souchier, fondateur de l’association Planète Mars a en effet développé des reproductions de scaphandres qui présentent les mêmes caractéristiques que des vrais. Ils pèsent le même poids et permettent les mêmes mouvements humains. Nous aimerions bien les présenter dans les écoles à partir de mars / avril de l’année prochaine.

Comment comptez-vous valoriser cette expérience à titre professionnel ?

Participer à une telle mission peut permettre de prouver à un futur employeur son intérêt pour l’exploration du spatial.

Par ailleurs, je pense qu’en tant qu’ingénieur ce type de mission nous pousse à nous intéresser à des problématiques auxquelles on ne se serait pas forcément penché .

Par exemple, le développement du drone m’a personnellement poussé à m'intéresser à l’électronique, au bricolage. Je n’avais jamais fait ça avant de m'intéresser au drone sur lequel on va travailler. J’ai donc du apprendre à souder, réparer des composants plus complexes que ceux que l’on manipule habituellement etc.

A moins de deux mois du grand départ, avez-vous le trac ?

Les conditions matérielles ne m’inquiètent pas. En tant que responsable des expériences ce qui m'inquiète plus c’est d’avoir des résultats très probants à montrer.

La mission de l’année dernière à laquelle a participé nos deux collègues a été un vrai succès et j’espère qu’on va pouvoir être à la hauteur. Dans ce genre de mission les grandes déroutes sont logistiques, et c’est cela qui peut-être m’inquiète le plus.

Que pensez-vous retirer de cette mission, d’un point de vue personnel ?

J’espère réellement qu’après la mission, on arrivera effectivement à se vendre, à se présenter et faire parler de nous. L’idéal étant vraiment que ça se pérennise et qu’il y est un équipage de Supaero qui parte chaque année !

On veut réellement défendre l'intérêt et l’utilité de ce genre de mission.

Je dirais que mon slogan est le suivant : “Il faut avoir la tête dans les étoiles mais les pieds sur Terre”

Un travail dans l’aérospatial relève effectivement de la passion, c’est quelque chose dans lequel on est tombé quand on était tout petits et qui nous est restés dans nos études et notre vie professionnelle.

Mais après, il ne faut pas oublier que cela doit toujours être rigoureux, professionnel et que ça doit vraiment avoir un impact concret. Nous ne faisons pas juste “ mumuse avec des robots”, on doit rendre des comptes précis à la NASA et aux laboratoires qui nous ont prêté le matériel pour que ces données servent à la préparation de futures missions.


Un grand merci à Camille Gontier pour ce témoignage !

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