Bien avant les dinosaures, du fromage fondu au coeur des Pyrénées !

Publié par Gaétan Link, le 4 août 2020   1.8k

Lorsque l'on observe une roche, on remarque toujours à quel point elle est solide et dure et elle nous paraît avoir toujours été ainsi. Et ce n'est pourtant pas le cas. Dans les Pyrénées, de nombreuses roches avaient autrefois autant de consistance que du fromage fondu ! Retour en arrière, il y a plus de 300 millions d'années, bien avant l'apparition des premiers dinosaures...

Roc de Frausa, Agly, Canigou, Trois-Seigneurs, Saint-Barthélémy, Arize... Autant de noms de sommets, de massifs ou de rivières emblématiques des Pyrénées orientales et centrales. Pour les géologues pyrénéens, ces noms le sont tout autant. En effet, les roches constituant ces montagnes présentent des singularités qui racontent une histoire particulière qui intrigue les géologues depuis plusieurs décennies.

La consistance d'un fromage fondu

Ces roches, appelées migmatites, sont caractérisées par une alternance entre des niveaux clairs et de niveaux sombres. Cette alternance témoigne de l'ancien état des migmatites : elles étaient partiellement fondues ! En conséquence, ces roches étaient constituées d'une fraction de roche liquide, le magma, et d'une fraction de roche encore solide. Cet état de la roche a été rendu possible par une très forte élévation des conditions de température dans lesquelles la migmatite se trouvait, généralement supérieures à 700 °C.

Migmatites du cap de Creus
Migmatite traversée par des veines de granite (veines blanc orangées). Les alternances entre les petits niveaux blancs et noirs dans les migmatites soulignent des plis orientés dans plusieurs directions. Ces plis témoignent d'une importante déformation, sans rupture, de la roche sous des conditions de haute température (> 650 °C). Photo prise au cap de Creus, Catalogne, Espagne. Par Gaétan Link, licence CC-BY-SA 4.0.

Les niveaux clairs, appelés leucosomes, correspondent aux anciennes poches de magma issues de la fusion de la roche. Les niveaux sombres, appelés mélanosomes, sont les parties de la roche qui sont restées à l'état solide. Cependant, du fait des conditions de température très élevées, ces parties solides n'étaient pas rigides, mais aussi molles que du fromage fondu ou de la pâte à tartiner ! Lorsqu'elles sont déformées, ces roches ne cassent plus, elles fluent. Ce type de déformation est le même que celui du fromage fondu ou de la pâte à tartiner lorsque l'on y plonge, puis en retire une cuillère, en formant des filaments étirés et des plis.

Fondue savoyarde
Le fromage retiré par la spatule en bois est étiré et forme de longs filaments. La matière constituant le fromage est déformée par fluage, sans se rompre. Lors de leur formation, les migmatites avaient une consistance et des caractéristiques de déformation très semblables. Par Camille Gévaudan, Wikimedia Commons, licence CC-BY-SA 3.0.

Mais alors, que s'est-il passé dans l'histoire géologique pour que les roches atteignent des conditions aussi extrêmes ?

Une chaîne de montagne plus imposante que l'Himalaya

Entre 370 et 270 millions d'années, pendant les périodes du Dévonien, du Carbonifère et du Permien, le rapprochement, puis la collision de deux grands continents, appelés Gondwana et Laurussia, amène à la formation du supercontinent unique Pangée. Cette collision entraîne la formation d'une gigantesque chaîne de montagne encore plus grande que l'Himalaya : la chaîne varisque (aussi appelée chaîne hercynienne). Cette chaîne s'étendait principalement sur un territoire correspondant au Nord-Ouest du Maghreb et à une grande partie de l'Europe, du Portugal jusqu'à la Bohême, en passant par la France.

Massifs varisques européens
Position des massifs européens issus de l'orogenèse Varisque ; les masses continentales sont placées dans leur position à la fin du Carbonifère (~ 300 Ma). Les Pyrénées en orange, au sud-ouest du Massif central. Par Woudloper (trad. Toony), Wikimedia Commons, licence CC-BY-SA 3.0.

Les Pyrénées, dont le paysage de l'époque devait probablement ressembler à celui que nous connaissons aujourd'hui (végétation tropicale et insectes géants mis à part), faisaient alors partie de la chaîne varisque, tout comme le Massif central ou les Ardennes. Il y a 300 millions d'années, la géodynamique de la chaîne varisque fait que les Pyrénées se retrouvent au-dessus d'une gigantesque plaque chauffante, constituée de roches portées à une température de plus de 1 200 °C à une profondeur d'environ 35 km (contre une température normale de 550-600 °C). Par conséquent, les roches pyrénéennes, réchauffées par le dessous, voient leur température augmenter très rapidement. Le thermostat de la plaque chauffante est si important qu'à une profondeur de 10-15 km, les roches atteignent des températures de plus 800 °C (à titre de comparaison, le forage soviétique sg3 dans la péninsule de Kola, l'un des plus profonds forages du monde avec une profondeur de plus de 12 km, avait atteint une température de 180 °C). Sous de telles conditions, les roches commencent à fondre et à former des poches de magma : ainsi se forment les migmatites.

Le glas des montagnes

Les migmatites sont des roches importantes pour les géologues, car elles sont les témoins de la fin des chaînes de montagnes. En effet, ces colosses de la nature reposent sur des fondations très fragiles et éphémères à l'échelle des temps géologiques. Quand les migmatites se forment dans la croûte moyenne (entre 10 et 30 km de profondeur), les montagnes situées au-dessus ne reposent plus sur une base solide et consistante. Elles s'effondrent alors sous leur propre poids, de la même manière qu'un immeuble sans fondation fini par s'effondrer. L'imposante masse qui fait la majesté des montagnes est également ce qui provoque leur chute.

Dans les Pyrénées, tout comme dans le Massif central, les migmatites témoignent donc de l'effondrement et de la fin de la colossale chaîne Varisque, entre 320 et 270 millions d'années. Après avoir été l'une des plus imposantes chaînes de montagne de la Terre, l'Europe devient progressivement une vaste pénéplaine, dont les massifs dits « anciens », comme le Massif armoricain, le Massif central ou encore les Vosges, sont les vestiges.

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