Avant la chute de l’astéroïde qui a causé leur extinction, les espèces de dinosaures étaient déjà sur le déclin
Publié par Université de Montpellier UM, le 20 juillet 2021 900
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Fabien Condamine, Université de Montpellier
Il y a 66 millions d’années, dans la péninsule du Yucatán au Mexique s’écrase un astéroïde d’environ 12 kilomètres de diamètre. Cet impact provoque une explosion dont on a peine à imaginer l’ampleur : l’équivalent de la puissance de plusieurs milliards fois celle de la bombe atomique larguée à Hiroshima. La plupart des animaux du continent américain sont tués immédiatement. L’impact déclenche également des tsunamis mondiaux. De plus, des tonnes et des tonnes de poussières sont éjectées vers l’atmosphère, plongeant la planète dans l’obscurité. Cet « hiver nucléaire » voit donc l’extinction d’un très grand nombre d’espèces végétales et animales. Parmi ces dernières, les plus emblématiques : les dinosaures. Mais avant ce cataclysme, comment se portait ce groupe ? C’est la question à laquelle nous avons essayé de répondre dans notre étude dont les résultats viennent d’être publiés dans la revue scientifique Nature Communications.
Nous nous sommes intéressés à six familles de dinosaures, les plus représentatives et les plus diversifiées de la période du Crétacé, notamment ces 40 derniers millions d’années. Trois étaient carnivores : les Tyrannosauridae, les Dromaeosauridae (comptant dans leurs rangs les fameux vélociraptors, rendus célèbres par les films Jurassic Park) et les Troodontidae (des petits dinosaures proches des oiseaux). Les 3 autres familles que nous avons étudiées étaient herbivores : les Ceratopsidae (représentés notamment par les Triceratops), les Hadrosauridae (la plus riche de toutes les familles en termes de diversité) et les Ankylosauridae (représentés en particulier par l’ankylosaure, une sorte de « tank » en armure osseuse avec une queue en massue).
Notre but était de déterminer à quel rythme ces familles se diversifiaient (formation d’espèce) ou s’éteignaient (disparition d’espèces). Nous savions que toutes ces familles avaient survécu jusqu’à la fin du Crétacé marquée par la chute de l’astéroïde.
1 600 fossiles analysés
Pendant cinq ans, nous avons compilé toutes les informations connues sur ces familles afin de tenter de déterminer combien et quelles espèces comptaient chaque groupe. Le travail était fastidieux, car nous avons inventorié la plupart des fossiles connus pour ces six familles, ce qui représentait plus de 1 600 individus pour environ 250 espèces. Plusieurs difficultés se posent pour chaque fossile : arriver à bien catégoriser l’espèce et le dater correctement.
Heureusement, ce travail a été réalisé avec d’éminents paléontologues (Guillaume Guinot, Mike Benton et Phil Currie). Dans le milieu scientifique, par souci de traçabilité, chaque fossile reçoit un numéro unique, ce qui nous permet de le suivre dans la littérature scientifique au fil du temps. C’était un travail de fourmi, car un premier auteur peut lui attribuer une date et une espèce, puis un autre va le réétudier et en faire une autre analyse, etc. On a donc dû prendre des décisions. Si nous avions trop de doutes, nous éliminions le fossile de l’étude.
Une fois chaque fossile bien catégorisé, nous avons utilisé un modèle statistique afin d’estimer le nombre d’espèces en fonction du temps, et ce pour chaque famille. Nous avons donc pu retracer au fil des millions d’années (de -160 à -66 millions d’années) les espèces qui apparaissaient et celles qui disparaissaient et estimer, toujours pour chaque famille, les taux de spéciation et d’extinction au cours du temps.
Pour estimer les taux de spéciation et d’extinction, plusieurs biais ont dû être pris en compte. Le registre fossile est en effet biaisé. Il est inégal dans le temps et dans l’espace, et certains groupes ne se fossilisent pas bien. C’est un problème bien connu en paléontologie lorsque l’on veut estimer la dynamique de la diversité passée. Compte tenu de ces problèmes, les modèles modernes et sophistiqués peuvent prendre en compte l’hétérogénéité de la préservation dans le temps et entre les espèces. Ce faisant, le registre fossile devient plus fiable pour estimer le nombre d’espèces à un moment donné. Mais il est important de rester prudent, car nous parlons d’estimations, et ces estimations peuvent changer avec un registre fossile plus complet par exemple, ou avec de nouveaux modèles analytiques.
Le déclin des herbivores a précédé celui des carnivores
Dans cette étude, nos résultats montrent que, 10 millions d’années avant la chute de l’astéroïde, à partir de – 76 millions d’années, le nombre d’espèces de dinosaures était en fort déclin. Ce déclin est particulièrement intéressant parce qu’il est mondial, et qu’il affecte aussi bien les groupes carnivores comme les tyrannosaures, que les groupes herbivores comme les tricératops. Il se retrouve également dans l’ancien (Europe, Asie, Afrique et Australie) et le nouveau monde (les Amériques). Il y a encore une certaine hétérogénéité dans la réponse. Certains ont fortement décliné comme les ankylosaures et les cératopsiens, et seule une famille (les troodontides) sur les six montre un très faible déclin, qui se situe dans les 5 derniers millions d’années.
Qu’est-ce qui a pu provoquer ce fort déclin ? À cette époque, la Terre a subi un refroidissement global de 7 à 8 °C.
Nous savons que les dinosaures ont besoin d’un climat chaud pour leur métabolisme. Comme on peut l’entendre souvent, ils n’étaient pas des animaux ectothermes (à sang froid) comme les crocodiles ou lézards. Ni endothermes (à sang chaud), comme les mammifères ou oiseaux. Ils étaient mésothermes, un système entre les reptiles et les mammifères et avaient besoin d’un climat chaud pour maintenir leur température et ainsi réaliser des fonctions biologiques de base comme les activités métaboliques. Cette baisse a donc dû les impacter très fortement.
Il est à noter que nous avons trouvé un déclin décalé entre les herbivores et les carnivores. Les mangeurs d’herbe ont décliné légèrement avant les mangeurs de viande. Le déclin des herbivores aurait provoqué celui des carnivores. Donc, d’après notre modèle, dès que des herbivores s’éteignent, les carnivores disparaissent, c’est ce que l’on appelle des extinctions en cascade. En effet, les herbivores sont des espèces clés dans les écosystèmes (même aujourd’hui dans les savanes en Afrique par exemple). Beaucoup d’espèces « gravitent » autour des espèces herbivores. Leur extinction entraîne souvent des extinctions d’autres espèces dépendant de ces herbivores.
La grande question qui reste en suspens : que se serait-il passé si l’astéroïde ne s’était pas écrasé ? Les dinosaures se seraient-ils éteints de toute façon, de par ce déclin déjà amorcé, ou auraient-ils pu rebondir ? Très difficile à dire. Beaucoup pensent que s’ils avaient survécu, les primates et donc les humains ne seraient jamais apparus sur Terre. Un fait important est qu’un éventuel rebond de la diversité peut être très hétérogène et dépendre du groupe, de sorte que certains groupes auraient survécu et d’autres non. Les hadrosaures, par exemple, montrent une certaine forme de résilience au déclin et auraient pu, peut-être, se rediversifier après le déclin.
Fabien Condamine, Chercheur au CNRS en Phylogénie et Evolution Moléculaire, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.