Atténuation communautaire de défis liés aux rongeurs en milieu urbain africain
Publié par IRD Occitanie, le 26 mai 2021 1k
Le Belmont Forum et ses partenaires*, dans le cadre de l’appel Pathways for Sustainability, financent le projet SCARIA. Cette initiative propose de développer des stratégies de lutte communautaire durable contre des problèmes de rongeurs dans les villes africaines.
Gauthier Dobigny, chercheur IRD à l’UMR CBGP, porteur du projet, répond à nos questions.
Quels sont les enjeux de ce projet ?
Les enjeux du projet concernent les impacts socioéconomiques et sanitaires des rongeurs. Ces derniers constituent le groupe de des mammifères le plus diversifié, ils sont présents dans tous les milieux et sur tous les continents. En particulier, beaucoup d’espèces se sont parfaitement adaptées aux milieux anthropisés, comme les agro-écosystèmes et les milieux commensaux. Les rongeurs sont généralement très prolifiques. Ils ont des dents à croissance continue, donc ils rongent en permanence et sont ainsi de très gros destructeurs de matériaux et d’infrastructures. Beaucoup sont granivores et consommateurs de végétaux, ce qui en fait de redoutables ravageurs des cultures et des denrées alimentaires stockées, aussi bien de façon industrielle que dans les ménages. Enfin, beaucoup d’espèces de rongeurs sont réservoirs de pathogènes humains et animaux. Dans les quartiers précaires des pays en développement, notamment en Afrique où nous travaillons, les rongeurs sont omniprésents, y compris à l’intérieur des maisons ; contrairement aux villes européennes où ils sont nombreux mais vivent généralement loin des hommes, dans les égouts par exemple. Dans les bidonvilles, il y a donc des risques sanitaires et d'insécurité alimentaire importants : quelles solutions peut-on tester pour limiter les interactions entre les rongeurs et les hommes dans ces quartiers précaires en Afrique ? Tel est l’enjeu de SCARIA.
Quelle en est l’originalité ?
L’idée originale est de travailler à la mise en place d’une lutte communautaire dans quatre quartiers précaires urbains d’Afrique, donc quatre contextes géographiques et socio-culturels différents :
- à Mekellé dans le nord de l’Ethiopie
- à Cotonou au Bénin
- à Niamey au Niger
- à Antananarivo à Madagascar
Nous avons choisi de miser sur une approche communautaire, appelée EBRM (Ecolologically-Based rodent Management) : elle consiste à s’informer auprès des habitants et, le cas échéant, leur faire davantage prendre conscience des enjeux que représentent les rongeurs dans leur environnement. Sur la base de leurs connaissances des pratiques et contraintes locales d’une part, et des connaissances scientifiques sur l’écologie des rongeurs d’autre part, une stratégie d’aménagement du milieu et de lutte collective est imaginée et mise en œuvre pour minimiser les dégâts des rongeurs de façon durable. Ce type d’approches a été développée initialement avec des communautés d’agriculteurs, donc en milieu rural. Mais il n’a quasiment pas été testé en milieu urbain, en particulier en Afrique. Le défi est d’autant plus grand que les villes constituent souvent des ensembles hétérogènes d’un point de vue socio-culturel, ce qui, sous certains angles, peut rendre plus délicates les actions communautaires. D’où l’originalité du projet SCARIA.
Sur quelles connaissances antérieures votre équipe s’appuie-t-elle ?
Dans les années 80-90, en Asie, la mise en oeuvre de stratégies EBRM dans les agro-écosystèmes a plutôt bien fonctionné. L’EBRM a également été expérimenté en milieu rural africain, notamment en Afrique de l’Est, en Afrique Australe ou plus récemment à Madagascar. Nous disposons donc de ces savoir-faire, qu’il reste néanmoins à adapter aux contextes urbains.
Dans les 4 quartiers africains visés, nous avons déjà une bonne idée de la diversité des rongeurs et souvent de quelques-uns des risques sanitaires associés. Cela dit, l’écologie des rongeurs en ville est étonnamment peu documentée. Nous savons qu’ils se reproduisent toute l’année, qu’ils côtoient les habitants au quotidien et que ces derniers se plaignent massivement des nuisances induites. Il n’y a pas de lutte coordonnée contre ces rongeurs, et chacun se débrouille un peu au jour le jour pour tenter d’en limiter le nombre dans les maisons – souvent sans grand succès. Nous savons enfin que nous avons affaire à des espaces urbains informels qui bénéficient donc peu de la puissance publique (ex. aménagement limité de la voierie, d’accès à l’eau ou à l’électricité, pas de gestion des déchets). Ce sont des environnements dégradés, densément peuplés, souvent par des populations très pauvres et où des ressources alimentaires sont présentes un peu partout à ciel ouvert : un paradis pour les rongeurs. Toutes ces réalités devront être prises en compte dans la construction des stratégies locales d’EBRM.
Comment se partage le travail de recherche avec le/les porteurs Sud ou les différents acteurs ?
Les 7 partenaires officiels** accompagnant le CBGP vont recevoir des financements directement du Belmont Forum et seront chargés de coordonner les actions menées dans chaque pays par leurs équipes ainsi que d’autres structures locales. Ces structures sont de nature variée, ce qui constitue autant un défi qu’une stimulation pour notre consortium. Par exemple au Bénin, à travers l’Université d’Abomey-Calavi, nous pourrons collaborer avec une ONG locale « La Vie Nouvelle » largement impliquée dans le développement communautaire, mais aussi avec l’hôpital de Cotonou qui sera chargé de certaines analyses biomédicales. Au Niger, le Service de la Protection des Végétaux (Ministère de l’Agriculture) est partie prenante. Dans tous les pays, il est prévu de travailler avec le réseau Open Street Map pour élaborer des cartographies participatives. Ainsi, ce sont 11 partenaires qui pourront contribuer au projet dans chaque zone. Les personnes ressources sur le terrain seront les mieux placées pour mener les enquêtes socio-économiques. Les suivis épidémiologiques et d’écologie de la santé seront l’affaire des experts biomédicaux. Tous ces acteurs participeront aux réunions de co-construction de l’EBRM proprement dite. Pour les aspects d’animation et de communication, nous sommes largement aidés par MetaMeta, une structure basée aux Pays-Bas et en Ethiopie et spécialisée dans le développement à base communautaire.
Quels sont les résultats attendus ?
Les résultats attendus sont de deux natures :
- Faire une cartographie des paysages, produire des données écologiques sur les rongeurs (diversité, mobilité, etc) et effectuer des relevés épidémiologiques sur les rongeurs et les habitants pour faire un état des lieux de la situation, et établir des indicateurs socio-écologiques pour suivre et évaluer les stratégies EBRM qui seront implémentées.
- Tisser pendant 2 ans un lien de confiance entre les différents acteurs et les habitants, puis identifier avec précision des actions concrètes et adaptées à chaque contexte qui pourraient être mises en place pour limiter les contacts hommes-rongeurs et les nuisances socio-économiques associées.
L’objectif du projet SCARIA, en plein accord avec le texte de l’appel d’offre, est donc de poser les bases d’une recherche interventionnelle, et donc d’un volet totalement opérationnel (ici, l’implémentation de l’EBRM proprement dite) qui fera, lui, l’objet d’une seconde réponse à un appel d’offre du Belmont Forum censé succéder à celui-ci.
En quoi votre recherche répond-elle à la science de la durabilité ?
Cette initiative est pluridisciplinaire puisqu’elle fait dialoguer les expertises et les disciplines via des volets biomédicaux, d’écologie des populations, de cartographie, de sociologie, etc. Elle s’appuie également sur des intervenants et acteurs variés, académiques, opérationnels mais aussi et surtout des représentants des communautés locales que nous tenons à replacer au centre de la réflexion. Elle répond également à 4 Objectifs et 5 cibles du Développement Durable (ODD) qui sont interconnectés :
- ODD 2 Lutte contre la faim, cible 2.11.
- ODD 3 Bonne santé et bien-être, cible 3.32.
- ODD 4 Accès à une éducation de qualité, cible 4.73.
- ODD 11 Villes et communautés durables, cibles 11.34 et 11.65.
En ce sens, le projet SCARIA s’inscrit pleinement dans une démarche scientifique de type durable : la mise en œuvre et le test de solutions basées sur la science et co-construites avec un maximum d’acteurs, à la poursuite des ODD.
* Future Earth, le Groupe d’observation de la Terre (GEO) et douze partenaires dont l’ANR et AllEnvi.
** Karmadine Hima, Abdou Moumouni University, Niger Gualbert Houemenou, University of Abomey-Calavi, Benin Yonas Meheretu, Mekelle University, Ethiopia Sani Ousmane, Centre for Medical and Health Research (CERMES), Niger Soanandrasana Rahelinirina, Pasteur Institute of Madagascar, Madagascar Vohangy Soarimalala, Vahatra NGO, Madagascar Luwieke Bosma, MetaMeta Research, The Netherlands
Le Service Partenariat et Contrats de Recherche (SPCR) Occitanie assurera la contractualisation de ce projet avec l'ANR.
Contact science : Gauthier Dobigny, IRD, UMR CBGP GAUTHIER.DOBIGNY@IRD.FR
Contacts communication :
Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR
Source : https://www.ird.fr/attenuation...