A part coûter « un pognon de dingue », à quoi sert la recherche fondamentale ?

Publié par PLISKINE ROBERT, le 8 avril 2024   710

A part coûter « un pognon de dingue », à quoi sert la recherche fondamentale ?

"Des chercheurs qui cherchent, on en trouve. Des chercheurs qui trouvent, on en cherche."
Célèbre phrase attribuée à De Gaulle, qui en bon militaire Saint-Cyrien n'aimait pas les intellectuels, surtout scientifiques. En réalité, ce qui est authentique est :

« Tout enseignant, tout chercheur bénéficie, après un certain délai, de la sécurité d’un emploi dans l’établissement où il exerce ses fonctions. Autrement dit, il pourra rester chercheur même s’il ne trouve rien et surtout à partir du moment où il ne sera plus d’âge à rien trouver. » Annotations sur une copie du projet de Loi d'orientation daté du 13 août 1968, qui prouvent pour le moins une certaine méfiance vis-à-vis des chercheurs.

N'étant ni militaire ni chercheur salarié, donc ayant gardé « ma liberté de pensée », quelle(s) réponse(s) donner à cette question et en corollaire, à une autre :

« A part faire vivre les chercheurs et les Centres de Recherche, pourquoi dépenser autant d’argent, “un pognon de dingue” ? »

J'en vois au moins deux :

- Aller plus loin dans la connaissance par la recherche ou l'exploration est un besoin fondamental de l'être humain, sans a priori de but autre ni de rentabilité. C'est déjà d'avoir goûté au fruit de l'Arbre de la Connaissance. Devant chaque limite de la connaissance ou géographique, Homo Sapiens Sapiens se demande ce qu'il y a au-delà et a besoin d'y aller pour trouver.

- La recherche fondamentale permet de comprendre les phénomènes, et cette compréhension est la base de la Recherche Appliquée qui, ajoutée à son imagination et son intelligence naturelle, va lui permettre d'inventer de nouveaux objets et/ou des solutions à ses problèmes (réels ou supposés.

Pour céder à ma manie de toujours illustrer mes dires par des exemples réels, voici 3 exemples.

A l'Ecole Primaire, j'avais un instituteur très en avance sur son temps. Pauvre homme, j'étais sa terreur : à 8 ans, (1952) j’ai commencé ma carrière d’emmerdeur public à vocation scientifique. Il était toujours inquiet quand j’allais poser une question pendant le cours, et pourtant je levais le doigt. Exemple :

« Monsieur, vous nous dites que, plus on monte en montagne, plus il fait froid. Mais pourtant on se rapproche du Soleil et hier vous avez dit que le Soleil était très chaud. Comment ça se fait ? »

« Pourquoi le ciel est-il bleu le jour, noir la nuit, et de toutes les couleurs du jaune au rouge le soir, alors que le Soleil est tout blanc ? ». J’ai dû attendre d’être en Maths Spé pour avoir la réponse.

Mais je me souviens de trois de ses remarques :

- Avec les nouveaux microscopes on a trouvé dans les noyaux des cellules de la mouche drosophile des curieux objets qui prennent bien les colorants. On les a appelés : “chromosomes” qui veut dire “corps de couleurs” en Grec. Certains savants pensent que c'est le support de l'hérédité, pourquoi les enfants ressemblent à leurs parents.

- Il y un géographe allemand appelé Wegener qui prétend que la Terre n'a pas toujours eu cette configuration de ses continents, que les continents ont bougé et bougent encore, et que c'est l'explication des tremblements de terre et des volcans. Mais on n'a pas de preuve, si c'est vrai c'est tellement lent qu'on n'arrive pas à le mesurer.

- Il parait qu'en Amérique il y aurait quelque part une machine qui fait les calculs plus vite que la machine à calculer de Pascal, mais je n'en suis pas sûr. Alors, apprenez bien vos tables de multiplication et à faire les 4 opérations, car vous en aurez toujours besoin.

Quelle était l'utilité de chercher la constitution des cellules ? la structure de la Terre ? la manière d'automatiser les calculs ? Aujourd'hui, alors que nous profitons au quotidien des retombées de la Recherche Fondamentale contenue dans ces 3 questions, plus personne (ou presque...) ne se pose la question. Mais à cette période de proche après-guerre, dans une France ruinée et ravagée, qui se remettait avec peine de ses divisions entre collaborateurs, résistants et indifférents, les gens "raisonnables" se demandaient s'il n'y avait pas d'autres urgences à résoudre. Comme aujourd’hui et comme si Homo Sapiens était raisonnable...

Il est passionnant de consulter les livres scolaires séparés d'une génération d'élèves.

En biologie, on passe de la Recherche Pure "Il existe des chromosomes" à "Ces chromosomes contiennent une molécule appelée ADN dont on ignore la structure et comment elle est en rapport avec l'hérédité", à "Crick et Watson ont trouvé la structure de l'ADN, composé d'un arrangement en double hélice de 4 molécules très simples" à "La structure de l’ADN explique la reproduction sexuée des êtres vivants" à "Chaque être vivant a son ADN, qui est unique", à "La classification des espèces vivantes se fait par leur ADN", puis la Recherche Appliquée "On peut identifier avec certitude (?) (toujours mettre un ? après "certitude" en science) un être vivant, et donc faciliter l'identification criminelle et éviter les erreurs judiciaires", "On peut modifier l'ADN pour guérir des maladies génétiques".

En géographie on passe de la Recherche Pure : "La Terre est constituée de 5 continents bien différenciés" à "L'Antarctique est un 6° continent", à "La Terre a été constituée d'un seul continent, la Pangée, qui s'est fracturée en divers continents qui dérivent", à "La dérive des continents se fait grâce à des fractures de l'écorce terrestre", à "Ces fractures constituent des lignes avec des tremblements de terre et des volcans", "Comment les séismes nous apprennent la structure de la Terre ?" à la Recherche Appliquée "Comment prévoir les séismes et les éruptions volcaniques et s'en prémunir", "Relation entre séismes sous-marins et tsunamis", "Comment utiliser les méthodes sismiques pour la recherche minière et pétrolière".

En "calcul" les progrès ont été si prodigieux et si rapides dans plusieurs disciplines en parallèle, que ce n'est plus entre deux générations qu'il faut passer d'une Recherche à l'autre, mais en décennies, et encore moins. Recherche pure, Pascal "Comment fonctionne le mécanisme de la pensée pour calculer ?" et presque simultanément, Recherche Appliquée, à 19 ans il crée la "Pascaline", sa machine à calculer, voulant soulager la tâche de son père qui devait remettre en ordre les recettes fiscales de sa province ; elle permettait d’additionner et de soustraire deux nombres d'une façon directe et de faire des multiplications et des divisions par répétitions. Les limitations pratiques et le fonctionnement laborieux de cette machine nous font sourire. Sauf qu'il s'agit d'un bouleversement de la pensée, surtout religieuse : la faculté de calculer, attribuée jusque là à l'âme humaine considérée comme un souffle de Dieu (qui - selon la Bible qui à son époque était à prendre au pied de la lettre pour sa propre sécurité – a animé, donné une âme, à Adam en lui soufflant dans la bouche), n'était que le processus d'un ensemble d'engrenages. La pensée d'origine divine ramenée à une machine ! Quel scandale ! Mais scandale qui a permis de poursuivre la Recherche Pure dans la plus pure et abstraite des matières, les Mathématiques et la Recherche Appliquée pour la création d’automates.

Et là, ô prodige de la diversité de l'esprit humain ! il y a eu les développements parallèles (des parallèles qui pour une fois ne cessaient de se rejoindre) de la recherche pure sur la matière (la physique sur la lumière polarisée, sur l'électricité, sur les ondes de Maxwell, et la chimie sur les bizarres terres rares, les cristaux liquides), celle sur l'abstraction pure (les maths avec l'algorithmique, l'algèbre de Boole) et celle sur l'électronique (utilisation des semi-conducteurs, le concept de circuits intégrés, de microprocesseurs...), les 3 unies pour former les bases d'une Recherche Appliquée et la création d’un nouveau monde : l'Informatique.

Une dose de tension électrique sur des cristaux liquides éclairés en lumière polarisée, et on a les écrans LCD. La mise en évidence physique par Hertz des "ondes de Maxwell" et la technique pour les créer et les utiliser ont permis la radio, la télévision, le WI-FI et le Bluetooth, sans compter Internet qui par satellites qui permet aux chercheurs (et aux trouveurs !) du monde entier de travailler ensemble pour continuer à fusionner les résultats théoriques de la Recherche Fondamentale en un ensemble prodigieux. Sans oublier les scanners qui permettent de suivre en continu la décomposition du cerveau de ceux qui travaillent trop dans ces domaines.

Mais, pour en revenir à la question fondamentale du début : « pourquoi dépenser autant d’argent, un "pognon de dingue” ? », il faut la transformer en « comment trouver ce pognon de dingue à dépenser ? »

C'est là qu'intervient la Politique, au sens noble que lui donnait Platon le créateur du mot "Art de faire vivre ensemble les hommes dans la cité" : la Recherche Pure nécessite maintenant des appareils de plus en plus complexes et de plus en plus chers, imaginés et utilisés par des savants (définition : ceux qui savent déjà beaucoup et qui veulent en savoir encore plus) qui eux aussi coûtent de plus en plus cher, non par leurs salaires résolument modestes que par leurs exigences techniques. Il faut prendre des décisions pour financer des appareils gigantesques comme le LHC Large Hadron Collider pour étudier des objets de plus en plus minuscules ; sans compter les négociations internationales pour unifier et simplifier les procédures et, entre la France et la Suisse (qui ne fait pas partie de l'Union Européenne) faire que, dans le LHC, l'accélérateur de particules le plus grand et le plus puissant du monde qui consiste en un anneau de 27 kilomètres de circonférence passant sous la frontière franco-suisse, les particules circulant à une vitesse proche de celle de la lumière puissent traverser 2 fois à chaque tour la frontière sans subir les formalités douanières. Remarque idiote ? Pas tellement. Se rappeler que lorsque Armstrong a rapporté de la Lune des échantillons de cailloux lunaires, il a dû en sortant des installations de la Nasa remplir... un formulaire douanier pour l'importation aux USA d'objets en provenance d'un territoire sans accord douanier avec les USA. Authentique ! A rapprocher de l’obligation pour son second Aldrin de remplir une note de frais détaillée pour le taxi qu’il avait emprunté le jour du départ de son domicile au pas de tir pour que cette dépense soit imputée au budget de la conquête de la Lune. Aussi authentique !

Les décisions de telles recherches dont on ignore si elles vont aboutir et si elles vont avoir une quelconque utilité pratique, définition de la Recherche Pure, ne peuvent se prendre que dans 3 cas :

- Une situation de guerre où, "quoi qu'il en coûte", il faut être plus fort que l'adversaire. C'est le projet "Manhattan" aux USA durant la seconde guerre mondiale, et qui a permis - outre la bombe - de faire avancer la physique nucléaire et ses applications civiles dans l'énergie.

- Une opération de prestige national (souvent à visées militaires subliminales) : c'est la conquête de la Lune par la NASA qui a permis le développement de la micro-informatique et des fusées, dont les retombées sur la vie quotidienne de tous sont innombrables, de l'ordinateur domestique au GPS.

- Un miracle : une coopération internationale pacifique de nombreux pays et de nombreux savants (voir plus haut la définition) dans le seul but de comprendre et de progresser, c'est le CERN à Genève, qui a fait progresser toutes les techniques de l'ultra-vide aux électro-aimants supraconducteurs, des méthodes de creusement de tunnels (spécialité technique des Suisses) à la pratique de l'Anglais comme langue de travail.

A quoi sert la Recherche Fondamentale ? Si ce n'était qu'à faire travailler ensemble un grand nombre d'humains de tous pays et de toutes cultures avec de gros moyens simplement pour faire progresser la connaissance et prouver que c'est possible de le faire, ce serait déjà sa justification.

Et en plus, elle rapporte !